Même les luttes bien intentionnées peuvent mal finir. Érigé en norme après la Seconde guerre mondiale, l’antiracisme est en passe de sombrer dans un véritable chaos idéologique, et les universités nord-américaines ne sont pas en reste dans ce travail de sape.
Université inclusive
Le journal Le Monde vient de révéler un document stupéfiant, émis par la direction du California Community Colleges (CCC), l’organisme qui gère les cycles courts de l’enseignement supérieur public en Californie.
Ce document est destiné à mettre en œuvre la politique DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Pour ce faire, tous les personnels « doivent démontrer qu’ils travaillent, enseignent et dirigent dans un environnement diversifié qui célèbre et inclut la diversité ».
Un engagement individuel est attendu. Il ne s’agit pas d’une simple recommandation, puisque les personnels seront évalués sur leurs compétences et résultats en matière de DEI. Le ton est très vite donné : il est notamment précisé qu’ils doivent être conscients que les identités sont « diverses et fluides », fondamentales pour les individus, et qu’elles sont à l’origine des « structures d’oppressions et de marginalisation ».
L’antiracisme au soleil de la Californie
Le document est accompagné d’un glossaire qui est un monument en soi. Tout le vocabulaire woke y figure : racisme structurel, identité de genre, privilège blanc, discrimination, racisme voilé, inclusion, micro-agression, etc. Sa lecture étant vivement conseillé pour qui souhaite disposer d’un condensé de l’idéologie woke.
On peut y déceler cinq idées principales.
Le racisme est partout
C’est ce que soulignent notamment les articles sur le « racisme structurel » et le « racisme institutionnel ». Le racisme imprègne les institutions et les mentalités. Même s’il est difficile de localiser précisément la « domination blanche », celle-ci « se diffuse et infuse dans tous les aspects de la société ». Elle est donc présente dans l’histoire, la culture, la vie politique et l’économie.
Le racisme est à sens unique
Il concerne uniquement l’attitude des Blancs à l’égard des minorités de couleur. Aucune remarque ne concerne le racisme qui pourrait émaner des minorités vers la majorité, ou entre les minorités elles-mêmes. La notion de « privilège blanc » illustre bien ce caractère unidimensionnel du racisme. Seuls les Blancs sont frappés par le mal ; tous les autres groupes en sont épargnés.
La population se divise en deux : les racistes et les non-racistes
Le texte l’affirme explicitement : « les personnes sont antiracistes ou racistes ». Il n’existe donc ni situations intermédiaires ou équivoques ni attitudes contradictoires ou plurielles dans le rapport que chacun peut avoir avec autrui. On est soit du côté du Bien, soit du côté du Mal ; on est pur ou impur.
L’antiracisme nécessite d’effectuer une conversion personnelle
Il doit se traduire par un engagement total. Ceux qui prétendent être non-racistes sont dans le déni des problèmes. Un antiraciste authentique est celui qui commence par confesser ses torts : il doit admettre qu’il a lui-même été raciste. Une fois converti, il doit mettre toute son énergie dans la lutte pour abattre le racisme systémique. Un prosélytisme authentique est la seule manière de racheter ses errements passés et de montrer que l’on est passé du côté des purs.
Il ne faut pas céder aux sirènes des faux arguments
Les faux arguments sont le rejet de la discrimination positive et la défense de la méritocratie. La politique de traitement préférentiel est une bonne chose. Ceux qui s’y opposent en parlant d’un « racisme inversé » sont dans l’erreur. Ce sont les opposants à la discrimination positive qui sont les vrais racistes car ils sont aveugles au racisme structurel. Il en va de même pour la méritocratie, qui est un concept fallacieux et pervers. Le mérite est une notion faussement neutre : elle relève de « l’idéologie de la blanchité » (ideology of Whiteness) et ne fait que protéger le privilège blanc, donc le racisme systémique.
Désastreuse université
Qu’un tel recadrage idéologique puisse intervenir au pays de la liberté, dans sa partie la plus riche et la plus avancée, ne peut manquer de surprendre.
Bien sûr, on comprend que la société américaine soit marquée par l’histoire de la ségrégation raciale et qu’elle peine à sortir de ses fractures. Mais sachant que ces questions sont sensibles et âprement controversées, on aurait pu s’attendre à ce que les autorités universitaires fassent preuve de tact et de retenue, en tout cas qu’elles sortent des lectures dogmatiques, et proposent au minimum quelques arguments factuels.
Or, elles font exactement le contraire, ce qui est particulièrement inquiétant sur l’état des universités américaines.
Composition des étudiants de première année à l’UCLA par ethnicité/race (2022).
Africain Américain 8 % Indien américain ou Natif Alaska 1 % Asiatique 38 % Hispanique 22 % Blancs 27 % Inconnus 4 % Total 100 % Source : UCLA
Car la lutte contre le racisme ne justifie pas tout. Elle ne doit pas conduire à renoncer à l’objectivité et à la rigueur. Un simple regard sur la composition des étudiants de l’UCLA (université de Californie) apporte un autre éclairage. Certes, les Noirs sont faiblement représentés (8 %), mais les Blancs sont devenus minoritaires (27 %) : ils sont largement devancés par les Asiatiques (38 %), et la part des Hispaniques ne cesse de progresser pour se situer juste derrière celle des Blancs (22 %).
On ne voit pas comment un système prétendument gangréné par le racisme des Blancs pourrait accepter une telle remise en cause de la prééminence de ses membres.
L’ennemi Blanc
Loin de tenir un propos apaisant et objectif, le CCC désigne clairement un ennemi : les Blancs.
Dans le glossaire, la « Suprématie blanche » (White Supremacy) est présentée comme « un système d’exploitation et d’oppression à l’égard des nations et des peuples de couleur » qui a été instauré par « les nations blanches du continent européen dans le but de maintenir et défendre leur bien-être, leur pouvoir et leur privilège ».
Ce raccourci historique est déjà très discutable, mais il laisse entendre que rien n’a changé, ce qui sous-entend que ce terrible système d’oppression est toujours en place.
Les étudiants sont donc invités à communier dans la détestation des Blancs. Aussi déroutant que cela puisse paraître, tous les thèmes du discours raciste, qui sont dénoncés à juste titre, sont appliqués aux Blancs : l’essentialisation, la stigmatisation, la haine viscérale et la logique du bouc émissaire. En somme, après avoir identifié les caractéristiques du racisme, le glossaire DEI les transpose sans difficultés aux Blancs. Cette évidente contradiction ne saute pas aux yeux des auteurs.
L’université, école de la haine ?
Au-delà de l’aspect stupéfiant de ce document, on se demande sur quoi peut déboucher une telle rhétorique ? Quel programme d’action est-elle en mesure de tracer ?
Si le racisme imprègne profondément les mentalités, on voit mal ce qui pourrait permettre d’y échapper. Si le racisme est partout, à quoi bon agir ?
Le mouvement antiraciste est alors condamné à se radicaliser : seule une lutte totale, de type révolutionnaire, peut être à la hauteur de la situation. Ce faisant, le mouvement antiraciste est condamné à se refermer sur lui-même. Curieusement, le glossaire commence par le mot « Allié ». Il indique que, dans le cas de la lutte contre l’oppression raciale, les alliés « sont souvent des Blancs qui travaillent à mettre fin à l’oppression systémique des gens de couleur ».
Mais comment convaincre les Blancs de rejoindre une cause qui les insulte et qui fait d’eux l’incarnation du mal ? Du reste, les Blancs ne vont-ils pas se mettre à penser que l’antiracisme est devenu une nouvelle idéologie totalitaire et raciste qui menace la démocratie elle-même ?
Faillite de l’université
L’hypothèse d’une régression intellectuelle de l’université doit être prise au sérieux. Les manifestations de sympathie à l’égard du Hamas qui ont récemment été observées sur plusieurs campus, y compris à Harvard, ne sont pas faites pour rassurer.
Ce soutien à un mouvement terroriste a un mérite : il fait tomber les masques. Il dévoile toute l’hypocrisie qui se cache derrière le discours lénifiant sur la création d’un environnement bienveillant et inclusif à l’égard des étudiants. La création de Safe space, le bannissement des prétendues « micro-agressions » et autres discours de haine n’empêche aucunement de laisser s’exprimer la haine à l’égard des juifs sans que les directions universitaires n’y trouvent rien à redire.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Il reviendra aux historiens de demain de résoudre cette énigme. Certains ont pointé le rôle de la féminisation de l’enseignement supérieur en expliquant que les hommes ont moins peur du conflit et des idées offensantes, alors que les femmes sont surtout attachées à la compassion et à la protection des groupes vulnérables, mais il est évident que cette explication est insuffisante.
Toutes les universités américaines ne sont évidemment pas sur le même plan. Il n’empêche que la Californie n’est pas n’importe quel État, et il se pourrait bien qu’elle représente l’avant-garde d’un mouvement plus large. L’enjeu est de savoir comment s’en protéger.
Extrait de: Source et auteur
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