« Il est à espérer que le temps où il aurait fallu défendre la « liberté de presse », comme l’une des sécurités contre un gouvernement corrompu ou tyrannique est révolu. On peut supposer qu’il est aujourd’hui inutile de défendre l’idée selon laquelle un législatif ou un exécutif, dont les intérêts ne seraient pas identifiés à ceux du peuple, n’est pas autorisé à lui prescrire des opinions, ni à déterminer pour lui les doctrines et les arguments à entendre ».
Ces mots sont ceux de John Stuart Mill, au début du deuxième chapitre de son célèbre ouvrage De la liberté, paru en 1859.
Un peu moins de deux siècles plus tard, ils n’ont pas pris une ride. En effet, des députés de tous bords (à l’exception de ceux du Rassemblement national, exclus par le fameux « arc républicain ») préparent une proposition de loi reprenant une idée de l’association QuotaClimat et du think-tank Institut Rousseau : expurger de l’espace médiatique tout ce qui s’apparenterait à du climatoscepticisme.
Pourquoi existe-t-il des ennemis de la liberté ?
On ne pourra pas feindre l’étonnement, tant ce genre de mesures, qui relèvent pour beaucoup d’une mauvaise blague tant leur dangerosité est de l’ordre de l’évidence, sont en fait soutenues de longue date par de nombreux militants de l’écologie politique. Si la proposition de loi a peu (si ce n’est aucune, merci à l’État de droit) de probabilités d’aboutir, le mépris des libertés qu’elle traduit mérite qu’on s’y attarde.
D’abord, pour mieux les combattre, il convient de ne pas caricaturer ces ennemis de la liberté.
S’ils veulent la restreindre, ce n’est pas par pur sadisme ou volonté machiavélique de faire le mal. C’est même tout le contraire. Ce qui pousse certains à donner si peu d’intérêt à la liberté, c’est bien la conviction, profondément enracinée, de faire le bien et de servir l’intérêt général. Les attitudes illibérales et autoritaires gagnent ainsi en légitimité parce qu’elles servent, pensent-ils, une cause juste et supérieure. Il y a là presque une constante anthropologique : plus l’humain est persuadé de faire le bien, plus ses barrières morales sautent.
Comprendre cela, c’est comprendre qu’il n’y aura jamais de sociétés humaines sans velléités autoritaires. Les ennemis de la liberté ont toujours existé, et ils existeront toujours.
John Stuart Mill le savait et, bien qu’il estimât la défense de la liberté d’expression comme une évidence dont on pouvait supposer qu’il est « aujourd’hui inutile de défendre », il n’a jamais cessé d’argumenter en sa faveur, conscient qu’elle n’était jamais définitivement acquise.
Pourquoi une telle proposition ?
Pour réfuter convenablement une telle proposition, il convient d’abord d’essayer d’en comprendre honnêtement les motivations, sans caricatures.
Sur la page d’accueil du site de l’association QuotaClimat, un chiffre est mis en avant :
« Seuls 11 % des Français déclarent se sentir « tout à fait » informés sur le changement climatique », suivi de la phrase suivante : « Pourtant, les médias jouent un rôle crucial dans la formation des perceptions, de la compréhension et de la volonté du public à agir vis-à-vis du changement climatique, d’après le rapport du GIEC ».
Pour ces activistes, le combat de l’écologie politique est avant tout un combat culturel.
Comprendre : si les sociétés humaines sont encore loin de régler le problème environnemental, c’est en raison d’un manque de volonté politique qui prend racine dans l’insuffisance d’éducation des citoyens sur la question climatique.
Cette logique s’inscrit dans un paradigme politique et philosophique plus large (le post-structuralisme, nous y reviendrons) qui donne un rôle prépondérant aux imaginaires sociaux et culturels dans le combat politique, et que l’on pourrait grossièrement résumer de la façon suivante : pour changer le monde, il faut en premier lieu changer les perceptions. Que ce soit pour l’écologie, la lutte antiraciste ou le combat féministe, ce qui compte, c’est de gagner cette bataille culturelle.
De cette vision théorique découle une pratique militante. Le rôle de ces combattants de la vertu est de pénétrer ce qu’il y a de plus intime et précieux, l’inconscient des individus, afin de déconstruire les idées jugées néfastes, et les remplacer (reconstruire) par des idées plus justes.
Comprise ainsi, une telle proposition prend tout son sens.
Ses défenseurs soutiennent qu’en supprimant l’expression d’idées climatosceptiques, nous allons à terme éliminer ces idées de l’imaginaire collectif. Les citoyens, conscientisés sur l’importance du combat climatique, consentiront d’autant plus facilement aux efforts exigés par une politique de décroissance. Les politiques restrictives en faveur du climat ne seront pas seulement acceptées, elles seront même souhaitées par les citoyens, et ainsi pourra advenir l’utopie d’une sobriété heureuse et non contrainte. Dit plus simplement, pas de Gilets jaunes avec des citoyens informés.
Cette candeur serait touchante si elle n’était pas dangereuse et inefficace.
Du relativisme épistémologique à la déconstruction militante
Cet exemple illustre d’abord la principale faiblesse de la traduction militante du post-structuralisme, courant philosophique développé dans les années 1960-1970 et qui trouve ses origines dans la réception et la réinterprétation des œuvres des auteurs de la french theory. En effet, ce courant de pensée défend une forme de relativisme épistémologique en affirmant que tout savoir est nécessairement socialement construit et historiquement situé.
Or, il y a là contradiction performative (affirmation qui entre en contradiction avec le fait qu’on ait pu l’énoncer) car si tel est le cas, alors l’affirmation selon laquelle « tout savoir est socialement construit et historiquement situé » est elle-même subjective et relative à un contexte, à un rapport de force, à une conjoncture historique et donc… devient elle-même irrecevable.
Ce débat épistémologique n’intéresserait que les chercheurs en sciences sociales s’il n’avait pas de traduction politique et normative.
En effet, c’est le passage du champ scientifique et descriptif au champ politique et militant qui pose problème, car il transforme un outil conceptuel utile en une arme militante profondément liberticide. De la déconstruction de la modernité occidentale, on arrive inéluctablement à la reconstruction d’une société plus désirable.
C’est à ce moment que l’on retrouve la contradiction performative citée plus tôt.
Si l’on applique à l’action de ces militants une grille de lecture post-structuraliste, nous sommes obligés d’arriver à la conclusion que le déconstructeur autoproclamé, tout humain qu’il est, est aussi subjectif que l’individu (ou que la société) qu’il déconstruit. Dès lors, il perd toute légitimité dans son œuvre puisqu’il ne fait que remplacer une subjectivité par une autre, tout aussi arbitraire.
John Stuart Mill écrivait déjà : « Bien que chacun se sache faillible, peu sont ceux qui jugent nécessaire de se prémunir contre cette faillibilité. »
Voilà le principal péché des déconstructeurs qui, s’ils étaient plus cohérents et humbles, devraient être des libéraux convaincus, et admettre ainsi que, toute personne et tout pouvoir étant par essence subjectifs et arbitraires, alors aucune conception du monde portée par un individu ou un groupe d’individus ne saurait légitimement s’imposer au reste de la société. Leur naïveté est ici de croire en l’infaillibilité de leur morale et de leur vision du monde au point d’adhérer à un projet prométhéen aux antipodes de la prudence épistémologique promue par les auteurs dont ils se revendiquent.
Cet hubris militant se mue donc en projet politique tyrannique. Et un regard vers l’histoire du XXe siècle nous rappelle qu’une des priorités des régimes illbéraux est de restreindre la liberté d’expression.
C’est sur cette pente glissante que s’engagent, peut-être involontairement, les députés à l’origine de ce projet.
« Certes, mais c’est un mal nécessaire… »
Si cette dérive totalitaire ne suffisait pas à convaincre, il est possible d’invoquer d’autres arguments.
Certains pourraient avancer que la perte de cette liberté est un mal nécessaire, tant le péril climatique qui nous attend est un danger plus grand encore. Si « la fin justifie les moyens » (logique politique profondément dangereuse et contestable), il faut au moins être sûr que les moyens vont permettre d’atteindre la fin visée.
Dans le cas qui nous intéresse, une telle mesure serait totalement inefficace.
La logique des discours à caractère conspirationniste et complotiste est de considérer leur marginalité comme une preuve supplémentaire de la véracité de leurs propos. Plus ils se sentent oppressés par ce qu’ils identifient être le système ou le « discours officiel », plus ils se persuadent que c’est parce qu’il y a intérêt à les faire taire.
Comment imaginer une seule seconde qu’une telle loi aurait d’autres conséquences que le renforcement de la conviction des climatosceptiques ? Si l’objectif est de faire reculer ces idées, on ne pourrait pas moins bien s’y prendre…
De la censure des discours antiscientifiques à la censure politique…
Un second problème se présente lorsque l’on entre dans les détails de l’applicabilité d’une telle proposition de loi.
La principale difficulté sur les questions écologiques est que dans les discours médiatiques et politiques (qu’ils soient très, peu ou pas du tout écolo), il n’est fait aucune distinction entre ce qui relève du factuel (descriptif) et ce qui relève du politique (normatif). Ainsi, des militants écologistes instrumentalisent les résultats de la science afin de donner un surplus de légitimité à leur discours. Combien de fois avons-nous entendu des militants citer les travaux du GIEC sans qu’ils n’aient jamais lu une seule page d’un rapport ?
Ce mélange des genres rend tout contrôle irréalisable, parce que la définition de ce qu’est un propos climatosceptique est floue. Comment s’assurer que l’organe de contrôle qui sera chargé de censurer les discours climatosceptiques saura faire la différence entre un propos climatosceptique et une critique de l’écologie politique ?
Le risque est de censurer des propos politiques en considérant qu’en partant du descriptif (la réalité scientifique du changement climatique d’origine anthropique et son impact sur les sociétés dans le court, moyen et long terme) on ne puisse tirer qu’une seule et unique conclusion normative (le discours politique de la décroissance).
On glisserait inévitablement de l’interdiction de contester des faits de nature scientifique à l’interdiction de contester leur interprétation politique et normative.
De la nécessité de ne pas faire de la question climatique un dogme mort
Un des arguments principaux invoqué par Mill pour défendre la liberté d’expression, c’est que sans elle, « quelque peu disposé qu’on soit à admettre la possibilité qu’une opinion à laquelle on est fortement attaché puisse être fausse, on devrait être touché par l’idée que, si vraie que soit cette opinion, on la considérera comme un dogme mort et non comme une vérité vivante, si on ne la remet pas entièrement, fréquemment, et hardiment en question ».
Si « celui qui ne connaît que ses propres arguments connaît mal sa cause », comment espérer lutter convenablement contre les discours climatosceptiques ? Sans possibilité de contester un savoir, ce dernier se transforme nécessairement en dogme mort. Pire, il perd de sa vitalité, tombe dans l’inertie, car plus personne ne prend la peine de le défendre en le confrontant à ses contradictions. C’est au contraire quand une « croyance lutte encore pour s’établir » qu’elle s’exprime avec tout son dynamisme et sa force.
Personne n’a intérêt à faire du changement climatique un dogme mort.
Plutôt que de vouloir les censurer, les écologistes devraient en fait remercier les climatosceptiques :
« S’il y a des gens pour contester une opinion reçue ou pour désirer le faire si la loi ou l’opinion publique le leur permet, il faut les en remercier, ouvrir nos esprits à leurs paroles et nous réjouir qu’il y en ait qui fassent pour nous ce que nous devrions prendre davantage la peine de faire, si tant est que la certitude ou la vitalité de nos convictions nous importe ».
Entre relativisme et consensus scientifique : un équilibre précaire
Mill défend enfin un dernier argument : les savoirs en conflit peuvent se partager la vérité.
Il faut ici ne pas comprendre à l’envers ce qu’a voulu exprimer le philosophe anglais. Ce n’est aucunement un relativisme épistémologique considérant que tout savoir a la même valeur.
La méthode scientifique, si elle n’a pas vocation à faire émerger la vérité métaphysique universelle, est un processus de découverte et de production de connaissances qui sont estimées comme étant le plus probablement vraies tant qu’aucune contestation scientifique ne soit venue les invalider.
Ainsi, Mill ne serait pas opposé au concept de « consensus scientifique », dont on rappelle à nouveau qu’il n’est pas un synonyme de « vérité métaphysique », mais désigne simplement l’état le plus avancé de la science à un moment donné, basé sur un accord général de la communauté scientifique. La théorie de l’évolution, ou la théorie de la gravitation universelle, sont deux exemples de consensus scientifiques. Cela ne signifie pas qu’ils ne pourront jamais être remis en cause un jour, mais que pour le moment, aucune contestation convaincante (c’est-à-dire vérifiée par les pairs) n’a été produite.
La science ne dit pas le vrai, elle n’offre que des fenêtres de vue pour appréhender le réel avec le plus de justesse possible.
Mill ne dit pas autre chose, et c’est pour cette raison qu’il écrit que « dans l’état actuel de l’esprit humain, seule la diversité donne une chance équitable à toutes les facettes de la vérité », et enfin que « les dissidents ont quelque chose de personnel à dire qui mérite d’être entendu, et que la vérité perdrait quelque chose à leur silence ».
Conclusion
Pour toutes ces raisons, la censure des idées dites climatosceptiques serait un désastre pour notre liberté d’expression, nos démocraties, mais aussi et surtout pour la cause de l’écologie politique.
On ne sauvera pas l’humanité des périls climatiques en réduisant les libertés collectives et individuelles. Il ne suffit pas de les protéger, il faut les cultiver et ainsi tirer profit de l’extraordinaire richesse de la singularité et de la diversité de chaque individu, seul moyen de sortir par le haut de la crise environnementale.
L’optimisme naïf n’est pas de fonder ses espoirs dans les vertus de la liberté, du progrès et de la science, mais plutôt de croire qu’un régime illibéral (dont les exemples d’échecs ne manquent pas…) pourrait, au prix de nombreux sacrifices, être une solution à la fois souhaitable, applicable et efficace.
Extrait de: Source et auteur
Qui nous le garanti (à 100%) ?
”il faut au moins être sûr que les moyens vont permettre d’atteindre la fin visée”
Le réchauffement climatique n’est pas une urgence !
Le CO2 est le gaz de vie !
Sans CO2 pas de photosynthèse, pas de vie végétale ni animale et encore moins de vie pour les Humains …
Les variations climatiques varient, ont varié dans le passé et varieront dans le futur !!