LFI et Civitas : le bon et le mauvais antisémite

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Mardi 8 août, Caroline Yadan, députée Renaissance, ironisait sur le fait que Jean-Luc Mélenchon saluait la décision du ministre Gérald Darmanin d’engager la dissolution de Civitas à la suite de l’intervention de Pierre Hillard proposant de déchoir les Juifs de leur nationalité :

« Magnifique récupération de @JLMelenchon et belle tentative de dédouanement. Bien tenté. Et la dissolution de LFI pour lutter contre l’antisémitisme c’est une idée aussi non ? »

Il s’en est suivi un torrent d’indignations et d’insultes de militants de gauche, beaucoup estimant que cela reviendrait à supprimer la première opposition en France, et démontrerait le vrai visage du macronisme : la tentation du parti unique.

La séquence mérite quelques réflexions.

Aucune personne honnête intellectuellement ne pouvait interpréter le tweet de la députée comme une autre chose qu’une boutade provocatrice.

Cependant, Caroline Yadan pose une très bonne question en filigrane : comme il y aurait de bons et mauvais chasseurs, existerait-il de bons et mauvais antisémites ?

Les propos de Pierre Hillard sont évidemment extrêmement choquants, et les dénoncer vigoureusement est nécessaire si nous voulons éviter un élargissement de la fenêtre d’Overton sur la question de l’antisémitisme. Mais nous pouvons aussi nous rassurer du fait de la faible portée de Civitas (1000 adhérents d’après Pierre-Yves Camus), et du caractère si grotesque de la proposition qu’elle ne peut que provoquer l’indifférence des Français. On peut d’ailleurs penser que ces propos seraient passés inaperçus s’ils n’avaient pas été prononcés au cœur de l’été, au moment où manquent polémiques et actualités pour alimenter la scène politico-médiatique.

En revanche, nous devrions tous être inquiets des dérapages trop fréquents de Jean-Luc Mélenchon et de son parti sur la communauté juive et l’aveuglement de ses militants, tous prompts à justifier ses propos, quitte à pointer du doigt les organisations juives…

S’il n’appelle pas à déchoir les Juifs de leur nationalité, la communauté et ses instances sont régulièrement prises pour cible : attaques répétées contre le CRIF depuis 2019, accusé de ne pas choisir les bonnes options politiques, alors qu’il n’en choisit précisément aucune mais s’inquiète des dérapages récurrents de l’extrême gauche, désignation des élites juives britanniques comme responsables de la défaite de Jeremy Corbyn, remise au goût du jour de la rhétorique du peuple déicide

Sans parler de la proximité de la France Insoumise avec des personnalités notoirement antisémites et de leurs thèses, comme Houria Bouteldja et Jeremy Corbyn lui-même. La dangerosité particulière de cet antisémitisme latent de la gauche radicale repose d’une part sur une forme de modération des propos et leur justification raisonnables destinées à les rendre acceptables, une partie de la pensée anticapitaliste ayant toujours été ambiguë sur l’antisémitisme ; et d’autre part dans la portée non-négligeable dont la parole politique de Jean-Luc Mélenchon.

Ceci étant dit, faut-il dissoudre Civitas et/ou la France Insoumise ?

« La liberté complète de contredire et de désapprouver notre opinion, est, écrit John Stuart Mill, la condition même qui nous permet d’affirmer sa vérité dans des vues pratiques ; et un être humain ne peut avoir d’aucune autre façon l’assurance rationnelle d’être dans le vrai. »

Autrement dit, aucune vérité ne peut être rationnellement démontrée s’il n’existe pas la liberté de la contredire.

L’affaire Dieudonné a amplement démontré le mauvais usage de la Justice, puisque chacun de ses procès, perdus, confortait le sentiment de ses adeptes que le pouvoir était sous « emprise des Juifs ». Dans une démocratie, exprimer ses opinions, même les plus stupides et les plus nauséabondes, tant qu’il ne s’agit pas d’appel à la violence, doit être considéré comme un droit absolu. Et la France Insoumise ne se trompe pas quand elle dit que sa dissolution porterait atteinte à notre démocratie. Malheureusement, ils ne voient pas que ce principe s’applique également à Civitas, contre lesquels ils appellent à la censure.

Enfin, on ne peut pas ignorer que cette prompte réaction de l’exécutif était une manière de donner le change à la dissolution des Soulèvements de la Terre, et éviter ainsi toute accusation de deux poids deux mesures. Du point de vue libéral, beaucoup considèreront que la dissolution est une mesure aussi liberticide qu’inutile, puisqu’elle frappe collectivement la liberté de s’associer plutôt que l’individu auteur du délit, sans empêcher ces individus de s’organiser par d’autres moyens, notamment grâce à tous les outils qu’offre le numérique comme les cagnottes.

Mais on pourrait aussi estimer que la personnalité juridique d’une association n’existe que par la reconnaissance que lui confère l’État, et que dès lors, l’État ne devrait pas octroyer cette reconnaissance à une association ayant pour but affiché de porter atteinte aux droits individuels dont la protection doit être le but premier dans une démocratie libérale.

Certes, le débat juridique sur le caractère fictif ou réel de la personnalité morale n’est pas encore éteint, mais on ne peut ignorer que c’est cette reconnaissance étatique qui donne aujourd’hui une liberté d’action concrète à la personne morale.

Cela étant, la blockchain pourrait changer la donne en permettant de se passer de l’État pour authentifier la relation contractuelle liant les sociétaires. En tout état de cause, du point de vue « fictiviste », on pourrait juger illogique que la collectivité reconnaisse Les Soulèvements de la Terre, dont l’unique objet est la coordination d’action de sabotage sur des biens d’autrui. Que les propos inacceptables de Jean-Luc Mélenchon ou de Pierre Hillard portent atteinte à des droits individuels ou puissent être reprochés à toute leur organisation est bien plus discutable…

Quoi qu’il en soit, on peut s’inquiéter d’une tendance lourde à la dissolution comme un pis-aller compensant la faiblesse du discours politique.

 

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