Sergueï Garmonine, ambassadeur de Russie à Berne: «Une médiation suisse est hors de question»

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L’ambassadeur de Russie à Berne explique que la Suisse reste un pays «inamical» et ne peut à ce titre prétendre à un rôle de médiateur ou de représentation. Il qualifie d’«absurdes» les accusations d’espionnage russe en Suisse

En mars 2022, la Russie rangeait la Suisse au rang des pays «inamicaux» suite à la reprise des sanctions européennes par Berne dans le but d’affaiblir la capacité militaire de Moscou. Depuis l’agression russe contre l’Ukraine, les relations bilatérales se sont dégradées, de nombreux différends s’accumulent et le dialogue devient compliqué. L’accès à l’information en Russie et sur la Russie est par ailleurs de plus en plus limité.

Sollicité pour une rencontre, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Berne, Sergueï Garmonine, n’a pas donné suite mais a répondu par écrit aux questions du Temps.

**Le Temps: La Russie considère-t-elle toujours la Suisse comme «inamicale»?**

**Sergueï Garmonine:** Les critères selon lesquels la Confédération a été incluse en mars 2022 dans la liste des Etats et territoires étrangers qui mènent des activités inamicales à l’encontre de la Fédération de Russie ou de personnes morales ou physiques russes n’ont pas changé. Notre position est donc restée inchangée. Malheureusement, nous n’observons aucun changement positif dans la position des autorités officielles suisses qui pourrait conduire à une modification du statut «inamical» de la Suisse.

![Sergueï Garmonine, ambassadeur de la Fédération de Russie à Berne. — © Ambassade de Russie](https://letemps-17455.kxcdn.com/photos/1529180f-118e-47cb-a016-bd1353f456e9 "Sergueï Garmonine, ambassadeur de la Fédération de Russie à Berne. — © Ambassade de Russie")

**Les Suisses sont-ils vos ennemis?**

Il n’y a pas lieu d’exagérer. La Suisse figure sur la liste susmentionnée des Etats hostiles et rien de plus. Nous continuons à nous engager en faveur d’un développement global des contacts humains. Ce n’est pas la Russie mais les autorités suisses qui limitent les contacts entre leurs citoyens et les représentants russes et qui interdisent aux fonctionnaires locaux d’assister à des événements organisés par des institutions russes en Suisse, à l’instar de leurs principaux partenaires des Etats-Unis et de l’Union européenne (UE).

> La Suisse figure sur la liste des Etats hostiles et rien de plus.

**Avez-vous été surpris que le Conseil fédéral reprenne les sanctions européennes?**

La voie des sanctions est en principe une impasse. Il serait préférable que Berne s’en tienne à sa position antérieure, qui consiste à ne pas autoriser le contournement des régimes restrictifs, que nous considérons toujours comme illégitimes, plutôt que d’adopter entièrement les sanctions de l’UE. Il est de notoriété publique que la Suisse n’a pas maintenu sa position antérieure, qu’elle tenait depuis 2014, précisément sous la pression de l’Occident collectif – il n’a fallu que quelques jours en février 2022 pour que le gouvernement suisse change de position.

**Avez-vous essayé de convaincre les autorités suisses qu’elles faisaient fausse route?**

Bien sûr, et nous continuons à le faire dans le cadre de nos contacts permanents à différents niveaux, tant à Berne qu’à Moscou. Mais comme le dit le proverbe russe, «la charrette est toujours là».

**Selon un rapport du Service de renseignement de la Confédération, sur les 220 personnes ayant une accréditation diplomatique ou consulaire russe à Genève ou à Berne, il est «très probable qu’un tiers au moins travaille encore pour les services de renseignements». Que répondez-vous?**

Nous considérons que ce qui est écrit dans le rapport est totalement absurde. Ce n’est pas la première fois que leurs auteurs effraient les Suisses avec la fameuse «menace d’espionnage» du côté russe. Les membres des missions diplomatiques russes à Berne et à Genève se consacrent exclusivement au travail diplomatique. Leur nombre total, compte tenu du statut multilatéral du site de Genève, est comparable à celui des autres grandes puissances.

**Que pensez-vous de la neutralité suisse?**

Nous constatons avec regret l’érosion de la neutralité traditionnelle de la Suisse, qui s’en trouve complètement dépréciée. Pendant longtemps, elle a été la clé de la prospérité de la Confédération. Bien sûr, Berne a le droit de décider de modifier le statut et sa propre interprétation de la neutralité, mais les interprétations sont subjectives. Tôt ou tard cependant elles entreront en conflit avec sa définition juridique internationale inscrite dans les conventions de La Haye.

**Que pensez-vous du refus du Conseil fédéral d’autoriser ses voisins à réexporter des munitions suisses pour l’Ukraine?**

Nous suivons de près le débat dans les cercles publics et politiques locaux sur la possibilité de réexportation vers l’Ukraine, par des pays tiers, d’armes de fabrication suisse achetées antérieurement. Nous savons que les autorités de la Confédération subissent une pression croissante de la part des pays occidentaux. Nous espérons qu’elles feront preuve de clairvoyance politique et qu’elles ne suivront pas les forces qui cherchent à aggraver le conflit.

Lire aussi: Un diplomate russe «constructif» en Suisse, pays considéré «inamical»

**La Suisse peut-elle être le lieu de futures négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine?**

La représentation et la médiation suisses sont hors de question. La Suisse a malheureusement perdu son statut d’Etat neutre et ne peut plus agir en tant que médiateur ou représentant d’intérêts. L’UE a reconnu la Suisse comme pays partenaire dans le domaine des sanctions contre la Russie. Berne voit cela d’un bon œil. Il est totalement incompréhensible de vouloir offrir une médiation, une représentation ou d’autres «bons offices» au vu de la position des autorités suisses.

**Que dites-vous aux Suisses qui sont tentés de se rapprocher de l’OTAN par crainte de la Russie?**

Je rappelle que la Russie n’a jamais menacé la Confédération. Au contraire, notre pays a joué un rôle décisif dans la formation de l’Etat suisse et lors du Congrès de Vienne en 1815 la Russie est devenue, avec les autres grandes puissances, le garant de sa neutralité perpétuelle. Ioannis Kapodistrias, diplomate russe de premier plan et premier envoyé russe auprès de la Confédération, a participé à l’élaboration de la Constitution suisse. Les Suisses ne doivent pas avoir de doutes sur les intentions de notre pays. Mais le rapprochement de la Confédération avec l’OTAN, auquel certaines forces extérieures et intérieures la poussent, ne sera évidemment pas bon pour nos relations.

**Quels sont vos contacts avec les autorités suisses?**

Notre dialogue n’a pas été interrompu même si, pour des raisons compréhensibles et qui ne sont pas de notre initiative, son niveau a quelque peu baissé. Nous apprécions le professionnalisme de nos collègues du DFAE et d’autres ministères et départements et restons en contact permanent avec eux sur des questions d’intérêt mutuel, tant à Berne qu’à Moscou.

Lire aussi: Les antennes genevoises des universités moscovites

**Des hackers identifiés comme pro-russes par les spécialistes de la cybersécurité ont bloqué la semaine dernière de nombreux sites en Suisse, y compris de la Confédération. Est-ce que vous condamnez ces actes?**

La Russie n’a cessé de prôner un comportement responsable dans le cyberespace, la coopération internationale dans le domaine de la sécurité de l’information et l’élaboration de normes universelles contraignantes dans ce domaine. Nous avons présenté des initiatives similaires aux Nations unies, et l’une d’entre elles a même été soutenue par les Etats-Unis. En ce qui concerne les «cyberattaques» qui ont eu lieu, nous pensons qu’il pourrait bien s’agir d’une opération sous un faux drapeau et qu’il serait imprudent d’en rejeter la responsabilité sur la Russie sans présenter de preuves concrètes.

**Les membres de l’UDC ont déserté le parlement fédéral lors de l’allocution du président Zelensky. Etes-vous satisfait de cette démarche du plus grand parti de Suisse?**

D’après ce que l’on sait, la fraction suisse de l’UDC a fait valoir que la présence de Zelensky au parlement était contraire aux principes de neutralité et pouvait être interprétée comme une tentative d’ingérence dans les affaires intérieures de la Confédération. Il appartenait aux députés suisses de rester dans la salle ou de la quitter. L’ambassade ne commente pas de telles actions.

**Avez-vous des contacts avec des élus de l’UDC?**

L’ambassade est prête à entretenir des contacts avec des parlementaires représentant non seulement l’UDC mais aussi d’autres formations politiques si elles sont intéressées.

**Voyez-vous de la russophobie en Suisse?**

Malheureusement de telles manifestations ont eu lieu en Suisse et se sont récemment intensifiées de façon notable, y compris, comme nous l’avons déjà noté, «grâce» aux médias locaux. Des menaces continuent d’être proférées à l’encontre de l’ambassade et du personnel des institutions russes en Suisse. Il y a même eu des cas de vandalisme: profanation répétée d’un mémorial à Andermatt en l’honneur des participants à la marche de Souvorov et d’une église orthodoxe russe à Genève. L’année dernière, des représentations d’artistes russes et d’ensembles de renommée internationale, y compris des tournées de l’orchestre du Théâtre Mariinsky dirigé par Valery Gergiev et du pianiste virtuose Dmitri Matsuev, ont été annulées.

**Que pensez-vous de l’état des relations économiques?**

Dans l’ensemble, les indicateurs du commerce bilatéral ont jusqu’à présent moins souffert que notre commerce avec l’UE. Dans le même temps, nous devons noter que l’adoption par Berne du paquet de sanctions de l’UE a mis de nombreuses entreprises russes opérant sur le marché suisse au bord de la survie. La majorité des entreprises suisses, grandes et moyennes, maintiennent une présence sur le marché russe.

**Craignez-vous que les avoirs russes gelés en Suisse, qu’ils soient d’Etat ou privés, puissent être confisqués au profit de la reconstruction de l’Ukraine?**

Cela devrait être effrayant pour ceux qui vont enfreindre leur propre loi. Il a déjà été déclaré officiellement et souligné à plusieurs reprises que nous considérons la confiscation comme un vol.

**Vous avez régulièrement fustigé les médias suisses, y compris «Le Temps», pour leur couverture du conflit ukrainien. Ne comprenez-vous pas leur rôle critique?**

Nous ne comprenons pas et n’acceptons pas la déformation des faits, encore moins les accusations sans fondement. Malheureusement, dans la majorité des médias suisses, qui publient des documents émanant clairement d’une voix qui n’est pas la nôtre, nous sommes confrontés exactement à ce type de manque de professionnalisme, de parti pris et d’insultes à l’encontre de notre pays, de ses dirigeants et de ses citoyens, auxquels nous ne pouvons que réagir. Le rôle essentiel des médias n’est pas d’attiser les passions ou même la haine, mais de transmettre des informations véridiques au public.

> Nous ne comprenons pas et n’acceptons pas la déformation des faits, encore moins les accusations sans fondement.

**Comment qualifieriez-vous les relations passées de la Russie et de la Suisse?**

Nous avons toujours considéré la Suisse comme un partenaire privilégié. Pour sa part, la Confédération a inclus la Russie dans ses concepts de politique étrangère, au même titre que les autres pays BRICS, parmi les pays avec lesquels la Suisse devrait chercher à établir un partenariat stratégique. Les décisions irréfléchies de ces dernières années d’adopter des régimes de sanctions illégales contre notre pays, à notre grand regret, ont fondamentalement changé la situation.

**Comment voyez-vous l’avenir des relations bilatérales?**

Cela dépendra entièrement de la clairvoyance des hommes politiques suisses et de leur capacité à dépasser les pressions extérieures au nom des intérêts nationaux et à développer la coopération avec notre pays sur une base mutuellement bénéfique et mutuellement respectueuse. Pour notre part, nous y sommes prêts.

Lire aussi: Ambassadeur russe: «Cette fois, la Suisse a choisi une autre voie»

 

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Un commentaire

  1. Posté par antoine le

    ”La représentation et la médiation suisses sont hors de question. La Suisse a malheureusement perdu son statut d’Etat neutre …’
    Merci aux politicards du Conseil Fédéral (M. Cassis) de s’être laissé manipulé par la bien-pensance …

Et vous, qu'en pensez vous ?

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