Alors que Geoffroy Lejeune a été licencié du magazine Valeurs actuelles, où il occupait le poste de directeur de la rédaction, le voilà maintenant pressenti pour prendre la tête du Journal du dimanche (JDD). Au grand dépit de ses équipes de journalistes, qui se disent sidérés et se sont mis aussitôt en grève, craignant une « croisade réactionnaire » au sein de leur rédaction.
Si l’on peut tout à fait comprendre leur ressenti et considérer comme légitime une telle expression de leur mécontentement et de leurs inquiétudes, ce qui est en cause est davantage le déséquilibre devenu traditionnel – si on élargit les réactions à l’ensemble des médias – entre la capacité à être scandalisé par des événements lorsqu’ils se situent dans le « camp » de la droite plutôt que lorsqu’ils le sont dans le « camp » de la gauche (la politique est très guerrière, là où certains d’entre nous préférerons plutôt le simple débat démocratique). Ce deux poids deux mesures ne date hélas pas d’hier.
Le camp du Mal
Dans cette vision très binaire, tout ce qui se situe « à droite » ou est considéré comme tel (car il n’est pas rare pour les gens situés très à gauche d’avoir une vision très restrictive de la gauche) représente bien souvent le Mal, qu’il convient donc généralement de dénoncer, de décrédibiliser, de caricaturer, ou de houspiller autant que faire se peut, afin d’intimider ceux qui seraient tentés de s’en rapprocher d’un iota.
Dans l’affaire du licenciement de Geoffroy Lejeune, nous sommes ici dans le cadre de choix éditoriaux. Un organe de presse appartient à un propriétaire. Et il est en principe géré à la manière d’une entreprise. Il peut donc sembler a priori légitime qu’un groupe comme Valmonde -propriétaire du magazine Valeurs actuelles – décide à un moment donné de se séparer de certains de ses salariés. Ici, pour des raisons apparemment stratégiques et de ligne éditoriale (en simplifiant, car je ne connais pas le détail de ce qui s’est réellement déroulé en coulisses, la politique ayant là aussi certainement joué son rôle).
De la même manière, un autre patron de presse, Vincent Bolloré, à qui appartient le Journal du dimanche, est libre d’employer qui il veut. L’affaire, on l’a insinué, est probablement assez politique, et le capitaine d’industrie a certainement jugé qu’il n’y avait pas de raison de laisser à la gauche (et ses journaux, pour beaucoup, subventionnés) le monopole de la liberté d’expression à géométrie variable. D’autant qu’il a dû considérer qu’il s’agissait d’un jeune journaliste indépendant et réputé brillant (y compris par ses ennemis, je pense, qui le jugent d’autant plus « dangereux »). N’en déplaise aux journalistes du JDD qui, même si on peut les comprendre, sont en théorie toujours libres de partir.
Le deux poids deux mesures
Revenons sur le « deux poids deux mesures ».
De quoi est « accusé » Geoffroy Lejeune ? De défendre des analyses proches de celles d’Éric Zemmour, qualifiées par conséquent – avec cet art traditionnel de la gauche de catégoriser les gens – « d’extrême droite ».
Par nature, la presse ne peut prétendre à la neutralité. Tout journal défend donc une ligne éditoriale qui suit forcément certaines orientations, même si l’on encourage une certaine diversité de points de vue au sein de cette ligne. Il n’est donc pas très difficile d’avoir une idée – même si leur métier est avant tout le journalisme – de vers où balance le cœur de tel ou tel journal. La gauche, à ce titre, semble loin d’être lésée. Et un journal comme Libération a beau jeu de dénoncer un prétendu « mouvement de pure extrême droitisation des médias », dont ce dernier événement dont il est question serait « la preuve ».
À souligner que, comme de nombreux Français l’ont souvent constaté et le déplorent régulièrement – leur confiance en la presse étant de plus en plus sujette à caution – le travail des journalistes n’est pas toujours très scrupuleux. Or, s’il y a bien une journaliste dont je salue personnellement la qualité du travail (quels que soient ses thèmes de prédilection, qui déplaisent naturellement à beaucoup de gens de gauche), c’est Charlotte d’Ornellas qui, avec beaucoup de dignité, a choisi de quitter elle aussi la rédaction de Valeurs actuelles, faisant preuve d’un courage dont peu pourraient se targuer.
Il se trouve que, contrairement à Geoffroy Lejeune que je connais moins, j’ai assez régulièrement eu l’occasion de suivre ses éditoriaux vers 19 h 30 sur cette chaîne elle aussi exécrée qu’est CNews, et je suis à chaque fois impressionné par son vrai travail de journaliste, très précis et factuel, qui fonde ses points de vue. Cela me fait d’autant plus de peine de la voir étiquetée aussitôt, sans autre forme de procès, de « figure médiatique d’extrême droite ». Une manière bien spécifique à la gauche (si tolérante) d’étiqueter ses opposants pour mieux les rendre par avance inaudibles…
Une violence plus ou moins légitimée
Là où le bât blesse, c’est que cette gauche si vertueuse – ou qui se croit telle – a un rapport très trouble à la violence et à la liberté d’expression ; sans doute un héritage de la Révolution française, à moins que ce ne soit dans ses gènes.
Que ne s’offusquera-t-on lorsque des personnes présumées « d’extrême droite » s’expriment ou sont représentées dans les médias. Quelles réactions outrées aura-t-on à l’annonce de la dissolution du groupe « Soulèvements de la Terre », pourtant auteur régulier de violences incontestables, quand les mêmes ont applaudi à la dissolution du groupe « Génération Identitaire » (auquel je me suis peu intéressé, mais dont je ne saurais citer des violences manifestes). Avec quelle absence de remords une Sandrine Rousseau prompte aux « débordements » réguliers se livre aux condamnations sommaires les plus décomplexées. Avec quel incroyable manque de pudeur les « plus grandes consciences » de la gauche vont convertir un acte héroïque peu ordinaire en satire, là encore en y attachant de manière obsessionnelle le nom de Bolloré…
En revanche, on n’hésitera pas à se livrer à une véritable chasse à l’homme lorsqu’il s’agit de délivrer les universités du risque droitier (bien limité, à vrai dire). Ou à défendre la dictature des minorités. Pas plus qu’on ne sourcillera outre mesure à l’annonce de l’assaut extrêmement violent de militants prétendument « antifascistes » contre un hôtel et des personnes, à l’occasion d’une séance de dédicace d’un livre du pestiféré Éric Zemmmour, en quelque sorte illégitime car catégorisé lui aussi comme « d’extrême droite », et donc à bannir, comme tout ce qu’il représente, aux yeux de ses ennemis. Que ne dirait-on si des propos aussi violents que ceux tenus à l’égard du même Éric Zemmour par un militant cégétiste (donc situé du bon côté politique) avaient été tenus par une personne engagée à droite ? Comment comprendre qu’une « responsable » comme Sophie Binet en vienne à transformer les faits en changeant, selon toute vraisemblance, « Auschwitz » par « Vichy » et en intervertissant ainsi le sens de l’attaque, pour défendre un militant pourtant coupable d’un acte antisémitite bien évident ?… Et nous pourrions bien sûr multiplier les exemples.
Un « grave danger pour la démocratie » ?
En conclusion, et bien que je ne me présente pas comme un partisan ni d’Éric Zemmour, ni de Marion Maréchal, pas plus qu’un admirateur particulier de Geoffroy Lejeune que je connais insuffisamment pour me prononcer (je m’adresse, ce faisant, à ceux qui souhaiteraient moi aussi me catégoriser), je déplore cette chasse aux sorcières permanente qui pollue les débats et est un obstacle au jeu démocratique tel qu’il devrait se dérouler.
La liberté d’expression est précieuse et c’est elle qu’il s’agit de défendre. Lorsque je lis des réactions au tweet de Sophie Binet dans lesquels on inverse la situation en qualifiant de « grave danger pour la démocratie » la plainte plus que légitime d’Éric Zemmour contre ce militant cégétiste qui a tenu des propos clairement inacceptables, il y a de quoi s’interroger.
Et, je le répète – pour en revenir au point de départ de cette chronique – si les journalistes du JDD sont tout à fait en droit de réagir et de manifester leur mécontentement à l’égard de la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de leur journal, il ne s’agira pas là non plus d’une atteinte à la démocratie si elle est confirmée. Ils devront composer avec, garder leur style et leur déontologie, ainsi que leur savoir-faire, tout en s’adaptant au mieux à la ligne éditoriale, et sans jamais se pervertir. Et contrairement à ce qui est affirmé par le journaliste de Libération cité plus haut, on ne pourra pas pour autant parler de « droitisation des médias », tout au plus d’un léger rééquilibrage (à supposer que la ligne change réellement), même si cela déplaît à cette gauche (pas toute, bien évidemment) si démocrate et tolérante… tant que seules ses idées sont représentées.
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