Le gouvernement se penche mercredi sur la demande des Pays-Bas, qui souhaitent acquérir 96 tanks détenus par Ruag. L’issue reste ouverte, mais les signaux sont loin d’être au vert
La dernière séance du Conseil fédéral avant les vacances d’été ne sera pas de tout repos. Ce mercredi, le gouvernement se penchera sur l’un des sujets les plus sensibles du moment: la réexportation d’armes pour aider l’Ukraine, attaquée par la Russie. Cette fois, Berne doit trancher sur une demande de Ruag, soutenue par les Pays-Bas. L’entreprise fédérale souhaite revendre 96 chars de combat Leopard 1 à son fabricant allemand, tandis que La Haye se propose de financer l’opération. Une fois remis à jour, les (vieux) engins seraient ensuite expédiés à l’armée ukrainienne.
Pour le Conseil fédéral, la question n’a rien d’une sinécure. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement s’en tient à une interprétation stricte de la neutralité suisse, s’interdisant toute exportation d’armement en direction des deux belligérants. Il a déjà douché l’Allemagne, l’Espagne et le Danemark, qui désiraient faire parvenir à Kiev leur matériel de fabrication helvétique. Cela lui vaut une vive pression des partenaires européens, qui l’appellent à faire preuve de davantage de solidarité, à l’heure où la Russie de Vladimir Poutine foule aux pieds le droit international en agressant son voisin.
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Le cas des 96 tanks Leopard 1 s’inscrit dans ce contexte. Quel verdict sortira de la séance gouvernementale? Selon certains acteurs, l’issue est loin d’être scellée. Les positions des ministres n’ont certes pas fondamentalement évolué; une majorité de quatre (les deux socialistes et les deux UDC) contre trois continue de désapprouver sur le fond les envois d’armes en Ukraine. Mais certaines opportunités existent pour progresser vers un oui.
### Des chars qui n’ont jamais vu la Suisse
Un argument est avancé dans l’administration: ces 96 chars Leopard 1 n’ont jamais touché le territoire suisse. Conçus en Allemagne, ils ont trouvé preneur auprès de l’armée italienne. Ce n’est qu’en 2016 que Ruag les a rachetés, espérant retirer d’appréciables montants du commerce des pièces de rechange. Hormis l’entreprise fédérale, dont elle est l’actionnaire unique, la Confédération n’a donc pas de lien avec l’armement en question.
Responsable du dossier, le ministre de l’Economie, Guy Parmelin, jouera un rôle de premier plan. Son parti, l’UDC, demeure farouchement opposé au nom de la neutralité intégrale. Mais, élément nouveau, au sein de son Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), certains se déclarent favorables à la transaction. Avec un objectif: réduire la pression occidentale, et soulager l’industrie d’armement, qui craint de perdre des marchés sous l’effet des refus répétés du Conseil fédéral. Guy Parmelin est donc coincé entre deux feux.
### Un report après l’été?
Du côté des partisans du oui, des espoirs se sont fondés sur une expertise juridique du Département fédéral de justice et police, dont le _Tages-Anzeiger_ a dévoilé le lancement la semaine dernière. Ces travaux devaient déterminer jusqu’à quel point Ruag doit être considérée comme une entreprise étatique. Selon nos informations, les juristes fédéraux arrivent à la conclusion que le groupe possède bel et bien un caractère public_._ Ce qui empêche le Conseil fédéral d’autoriser la réexportation des chars Leopard 1 sans arrière-pensée liée à la neutralité. Des sources proches du dossier évoquent à présent deux scénarios: soit Guy Parmelin, fidèle à la ligne de son parti, préconise un refus auprès de ses collègues ministres; soit le Vaudois renonce à soumettre l’objet durant la dernière séance du gouvernement, avec pour conséquence un report de la décision après les vacances d’été.
Mais aucune de ces deux variantes ne devrait diminuer la pression européenne. Désireux de réexporter les chars Leopard 1, les Pays-Bas se montrent insistants, comme d’autres pays avant eux. L’Ukraine ne manque pas non plus de solliciter la Suisse, à l’image du discours tenu en visioconférence par l’homme fort de Kiev Volodymyr Zelensky devant le parlement fédéral il y a tout juste deux semaines.
### Un premier oui aux Etats
Ce n’est pas par hasard qu’aux Chambres, la majorité du Parti socialiste, du Centre et du Parti libéral-radical ont lancé ces derniers mois des projets pour favoriser les réexportations d’armes en Ukraine. Lors de la session de juin, le Conseil des Etats a prononcé le premier oui sur la question – à confirmer toutefois par le Conseil national.
De même, le Conseil fédéral a récemment fait un pas en avalisant l’envoi de 25 chars de combat Leopard 2 en Allemagne. Là encore, le parlement doit valider. Un cas à ne pas confondre avec la demande néerlandaise pour les 96 Leopard 1, car Berlin avait promis de ne pas transférer les engins en Ukraine, et de les conserver pour son propre usage ou pour reconstituer les stocks d’autres armées européennes.
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### Une évolution des positionsLa Suisse officielle bouge un peu. Certains, opposés initialement aux exportations d’armes, ont revu leur doctrine. Le PS en est l’exemple le plus frappant, même si son groupe parlementaire est partagé. «Ce qui prime pour la neutralité, c’est le respect du droit international, et de ne pas traiter l’agressé et l’agresseur de la même façon. Si la Russie gagne cette guerre, ce serait un problème pour l’Europe, la Suisse, la démocratie», argumente Samuel Bendahan (VD), vice-président des socialistes.
Egalement prudent en matière de neutralité, le sénateur libéral-radical Olivier Français (VD) a évolué au fil des mois de guerre. «Si on veut tenir compte de nos intérêts géopolitiques par rapport à l’UE, il faudra dire oui à la réexportation des chars Leopard 1 demandée par les Pays-Bas. Nous devons anticiper et ne pas fermer les yeux sur ce type d’armement inutile pour nous. J’ai de moins en moins d’états d’âme avec la neutralité stricte, quand on voit les événements et les atrocités en Ukraine.»
D’autres partis, comme les Vert·e·s pacifistes et l’UDC souverainiste, demeurent à l’inverse de fervents détracteurs des exportations d’armement. Sénateur UDC, Werner Salzmann (BE) le martèle: «Ruag est une entreprise publique suisse et il est donc impossible d’autoriser la transaction en raison de la neutralité. La pression extérieure n’a rien à voir avec nos lois, et elle n’a pas à nous dicter notre conduite. Dans une telle crise, nous avons besoin de faire montre de solidité et de colonne vertébrale.»
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