Théoda, qui venait d'un autre village, un village au fond d'une vallée dont nous ne pouvions voir que la porte, avait épousé mon frère de son plein gré.
Quand elle commence son récit, Marceline n'a que sept ans, l'âge de raison. Elle est alors la huitième de onze enfants, qui seront bientôt douze.
Son frère Barnabé, celui que Théoda a épousé de son plein gré, a alors vingt-deux ans: Comme tous les paysans, il en paraissait davantage.
Les Romyr, comme les autres, ont deux villages, allant de l'un à l'autre suivant les saisons, déménageant, emménageant sept fois durant l'année:
L'un près du fleuve, dans les vignes et les vergers: Pragnin. L'autre à deux heures de marche au-dessus: Terroua.
Dans ce microcosme chrétien d'une cinquantaine de familles, où le fleuve est le Rhône, tout le monde se connaît et rien ne reste secret.
En revenant par le bois entre Pragnin et Terroua, un jour d'avril, Marceline, attirée par des gémissements, fait une découverte qui lui pèse:
En-dessous de moi, au creux d'une combe, je vis un homme et une femme mêlés l'un à l'autre.
Ce n'était plus un homme et une femme, mais un nouvel être: Rémi et Théoda.
Un temps, elle refuse de comprendre. Un jour un regard de Rémi vers Théoda lui fait comprendre ce qu'elle ne pouvait ni ne voulait admettre:
Ils étaient ensemble.
Dans ce roman, Corinna Bille1 raconte les travaux et les jours dans le double village, au fil des saisons, jalonnées d'événements religieux.
Marceline perçoit une nette différence entre ce qu'éprouvent les amoureux qu'elle connaît et ce couple diabolique incarné par Théoda et Rémi:
En eux s'exaspérait un désir de mort, un sentiment monstrueux que je ne pouvais définir.
Sans les avoir jamais revus ensemble, elle pressent qu'ils sont une menace pour eux tous, a peur mais n'a pas le courage de prévenir Barnabé.
Ce pressentiment funèbre se réalise, car, un jour, Barnabé disparaît. Heureusement que son autre frère Léonard, parti courir le monde, revient...
Francis Richard
1- Son nom de naissance est Stéphanie Bille. Le nom du village de sa mère s'appelait Corin...
Théoda, S. Corinna Bille, 272 pages, Zoé (édition originale aux Portes de France, Porrentruy, 1944 / Paris, 1946)
Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard
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