« C’était un délire d’une génération de féministes » : ces femmes qui regrettent de ne pas être mère

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Les années passant, des femmes vivent amèrement leur choix de ne pas avoir eu d’enfant. Écartelées entre une volonté d’indépendance et un désir de maternité, elles posent un regard critique sur leur décision.

Quand elle était petite, Julie [prénom modifié] adorait les bébés. Née d’une mère féministe et d’un père qui a pris la poudre d’escampette, la fillette passe des heures à coudre des vêtements pour enfants. « J’ai toujours su que je voulais être mère », confie-t-elle. Mais à 20 ans, elle rêvait d’émancipation, et entra dans un mouvement féministe « égalitariste ». Cheveux courts peints en bleu, Julie se forma à « déconstruire le couple, et à tout faire comme les hommes. On était assez misogynes. »

Que pensait-on des nourrissons dans le milieu ? « Avoir un enfant était associé à la soumission de la femme à son mari, explique cette graphiste de 31 ans, qui a hésité à se faire ligaturer les trompes. Tout était fait pour désacraliser la maternité. » La jeune fille enfouit son désir d’enfant. Quand elle a vingt-trois ans, Julie tombe enceinte. Elle subit un avortement : « J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre. Personne ne m’avait dit que ça allait être si dur. Surtout qu’au fond de moi, je pense que je le voulais ce bébé. Mais on me disait que ce n’était qu’un amas de cellules. »

Aujourd’hui, Julie a quitté ce groupe féministe et ne partage plus grand-chose avec ses adeptes. Sa longue chevelure encadrant son visage poupon et ses jupes fleuries en témoignent. La jeune femme, célibataire après une relation de six ans avec un homme, voit passer les années avec une pointe d’angoisse. « Quand je me suis retrouvée seule à 29 ans, j’ai paniqué en me disant qu’il fallait tout recommencer. On m’a fait croire que j’avais le temps, que ma jeunesse était infinie », regrette-t-elle.

Les enfants, pour Louise, qui a fêté ses 63 printemps en avril dernier, ça n’a jamais été son truc. Non qu’elle ne les aime pas, au contraire. Elle n’était simplement pas faite pour ça. Mais après la mort de sa mère, le regret se fait ressentir. « J’ai pensé à la relation merveilleuse que j’avais eue avec elle, j’étais sa fille unique, confie-t-elle depuis Berthier-sur-Mer, petite bourgade du Québec. Je l’ai aimée tendrement. Depuis qu’elle n’est plus là, je me dis que je suis sans doute passée à côté de quelque chose de très beau en n’ayant pas d’enfant. »

Grande amoureuse des animaux, cette végétarienne qui a travaillé au service de personnes handicapées pendant 35 ans, aurait aimé apprendre à sa descendance « des valeurs de respect et de compassion envers le vivant ». « Quand je vois des jeunes qui ont des enfants, je les trouve chanceux de pouvoir leur transmettre des choses dès leur enfance. »

Le regret de ne pas laisser quelque chose après elles est ce qui est le plus prégnant chez ces femmes qui n’ont pas donné la vie. « C’est même la cause principale », abonde Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages sur le couple et la famille. L’analyste reçoit dans son cabinet un grand nombre de femmes autour de la quarantaine, confrontées au regret de ne pas avoir d’enfant. « Ces femmes arrivent au bout d’un entonnoir, et vivent cela avec beaucoup de souffrances, relève-t-il. Très profondément, il y a dans la maternité cette idée que la vie prend un sens différent à partir du moment où l’on se décentre de soi-même. »

Jeunes filles de 40 ans

La majorité des femmes nullipares qui viennent le consulter ont vaguement pensé à la maternité, mais n’en ont jamais fait une priorité. Elles ont attendu le bon moment, le bon père, le bon partenaire, ce qui ne s’est pas fait. Et il y a celles, moins nombreuses, qui ont refusé la maternité parce qu’elles se trouvaient très heureuses sans enfant. Jusqu’à 38 ans, elles se sont senties jeunes filles, dans une quête de plaisirs et de découvertes. Mais parallèlement, leur cycle s’est essoufflé. Quand elles comprennent que la ménopause approche, c’est paradoxalement à ce moment qu’elles veulent créer une famille. « Elles ont oublié leur horloge biologique », explique Serge Hefez. Car la fertilité féminine est optimale entre 18 et 31 ans, d’après l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). À partir de cet âge-là, le taux de fertilité commence à diminuer, et encore plus à 35 ans. Au-delà, l’insuffisance ovarienne est la première cause d’infertilité pour les femmes.

Si elles repoussent de plus en plus le moment d’avoir des enfants (en 2022, les femmes françaises avaient en moyenne leur premier enfant à l’âge de 31 ans, contre 26,5 ans en 1977 selon l’Insee), c’est parce que la place de l’individu contemporain dans la société a radicalement changé. « Jusque dans les années 50, le destin d’un homme ou d’une femme était d’appartenir à un groupe ou à une caste, estime Serge Hefez. L’adhésion à une famille signait l’appartenance dans une société. » Avec l’égalité progressive des sexes, les femmes ont acquis leur individualité, mais le paient parfois cher : « Toutes les patientes quadragénaires que je rencontre essaient de négocier leur indépendance et leur désir de maternité. Elles comprennent que leur émancipation peut se retourner contre elles-mêmes. »

Sacrifices et responsabilités

Pour Marie-Estelle Dupont, psychologue, psychothérapeute, auteur de Réussir son divorce (Larousse, 2023) et L’Anti-mère (Albin Michel, 2022), le regard que pose la société sur la maternité est révélateur : « Qu’est-ce qu’on véhicule auprès de nos jeunes comme image du couple, de la famille et de la liberté ? On ne cesse de leur dire qu’ils vont connaître des crises à répétition, on ne leur transmet que des messages de désespoir. Ils entendent à longueur de journée “si tu fais un bébé, tu tues un arbre”. Je peux comprendre qu’ils ne veulent plus donner la vie. »

Il suffit de voir la médiatisation récente autour de très jeunes femmes qui se font ligaturer les trompes. Ou d’éplucher les innombrables témoignages sur les réseaux sociaux de femmes qui affirment leur refus d’avoir des enfants… ou qui regrettent d’en avoir. Car donner la vie fait redevenir la mère dépendante et vulnérable, cela réveille son propre rapport à sa dépendance. Pour autant, « on n’explique pas assez qu’un enfant est une coopération entre deux adultes qui s’aiment, que c’est le fruit d’une complémentarité, poursuit la psychologue. Donc quand on leur transmet des messages très négatifs sur les sexes et l’avenir de la planète, c’est normal que des femmes aient du mal à se projeter là-dedans. »

La plupart d’entre elles posent un regard ambivalent sur la possibilité qu’elles ont de s’accomplir autrement que par la famille. Aline*, une de ses patientes sans enfant, lui a un jour affirmé : « Je me suis fait avoir par la société, qui m’a dit que pour être libre, je devais avoir une carrière ». Sandra*, une autre femme qui s’est consacrée à son travail toute sa vie, lui a confié : « Je comprends que j’ai une vie qui n’a aucun sens. On m’a vendu que la réussite, c’était d’avoir un job, mais c’était un délire d’une génération de féministes wonder woman des années 90. »

L’ex-féministe Julie abonde : « La société a essayé d’édulcorer la maternité, comme on édulcore la mort. On la cache car devenir mère implique des sacrifices et de grandes responsabilités, de la souffrance aussi. Les femmes l’ont oublié. »

Ne pas avoir exploré ce lien de filiation et ce qu’il implique de tendresse, de souvenirs et de mémoire peut être très douloureux : « C’est une partie d’elles qu’elles ont l’impression de ne pas connaître, décrypte Marie-Estelle Dupont. Le fait de devenir parent est un changement identitaire, c’est très particulier et mystérieux. Souvent, la non-maternité réveille chez les femmes une angoisse de mort, le vieillissement est doublement vertigineux, car il n’y a pas la consolation de continuation après soi. »

Le féminisme a jeté la mère à la trappe

Selon Marie-Estelle Dupont, « on a jeté la mère à la trappe dans cette histoire de féminisme. On a fait la femme mais la mère a disparu. Une société juste pourrait permettre à la femme de choisir de travailler dans le monde extérieur ou travailler à éduquer ses jeunes enfants. » De moins en moins de femmes choisissent de rester chez elles pour élever leurs enfants. En 2014, elles n’étaient plus que 22 % à souscrire au modèle de la mère au foyer, contre 43 % en 2002 (l’Insee).

Pourtant, « c’est un travail d’élever sa progéniture, martèle la psychologue. On pourrait rémunérer les femmes qui éduquent leurs enfants. » La présence du père après l’accouchement, permettant à la mère d’être épaulée et de reprendre le travail plus sereinement, joue également un rôle dans le choix d’avoir un enfant. En 2021, le congé paternité est passé à 28 jours, contre 14 auparavant. Mais pour 54 % des 25-34 ans, c’est encore insuffisant, selon le 2e baromètre OpinionWay pour Familles Durables (2023).

Pour contourner les limites de la nature, certaines femmes se tournent vers la PMA, avec ou sans père. Elles s’emparent alors d’une avancée de la science, « qui les rend heureuses, mais qui en même temps les fatigue, car elles élèvent leur enfant seules. La multiplication des choix de la femme est exaltante, mais peut être épuisante », estime Serge Hefez.

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par Jean-Jules II le

    Ah, que voudraient-elles bien… et encore (Trop tard – Zu spät – Tropo tarde – Too late – Слишком поздно – (Malheureusement, aucune traduction disponible en rhéto-romanche)… le beurre de karité qui les maintiendrait de bon teint, gorge ferme et du pneu rien qu’autour des jantes de la bagnole ! — Ce n’est guère possible. Or, une femme fidèle à son époux (Ô, n’exagérons rien, se produisent des coups de canif dans le contrat de part et d’autre… L’essentiel étant de n’introduire aucune pathologie somato et/ou psycho au sein du foyer. Au reste, nous ne sommes plus des gamins), cultivée, diligente auprès de ses enfants… elle ne vieillit jamais ; jolie fille, belle femme, grand-maman adulée par son entourage, à commencer par son mari fidèle à toujours…—, l’argent du beurre : «On pourrait rémunérer les femmes qui éduquent leurs enfants.» (Marie-Estelle Dupont, psycho thérap … (avec ou sans L ?) eutre), et se taper le crémier.
    C’est tout de même incroyable, hallucinant, qu’après 1945, sont apparues des générations qui ignorent que nous n’avons que ce que nous méritons. Autrement dit, que nous récoltons ce que nous avons semé… chichement ou abondamment, selon nos moyens, nos dispositions. Ce qui vaut, bien entendu pour les mâles lambda et combien d’hommes-soja actuels dénués de puissance ? Point n’est besoin de découvrir cela dans les étoiles et espérer quelque «avancée de la science, « (…) qui les rend heureuses, mais qui en même temps les fatigue, car elles élèvent leur enfant seules » (C’est compréhensible, il y a de quoi fatiguer car, si le père n’est point mort à la guerre ou le fil de son destin net tranché par les moires, c’est criminel !)
    L’âge idéal, pour une jeune fille, afin de participer à la fondation d’un foyer, c’est entre seize et vingt-deux ans. Évidemment, à seize ans, cela suppose un socle culturel et des acquis cognitifs, émotionnels, remarquables quoique nullement exceptionnels. Donc, il faut jouer sur les limites selon les dispositions personnelles : dix-huit, vingt, vingt-quatre ans… guère au-delà. Mais, ce qu’il y a d’intéressant, c’est que dans cette “fourchette”, chaque grossesse régénère, à la source, les beautés, charmes et intuitions féminines… et virilise son «homme» moralement et intellectuellement. Expérience faite. À vingt-deux ou vingt-quatre ans, vous voilà pourvue d’un bonus équivalant à deux voire quatre ans pour chaque conception. Autrement dit à trente-cinq ans, vous pourriez jouir d’un âge biologique plus jeune d’une dizaine d’années. Intéressant ! Non ? Les gosses, si leurs parents ne sont guère des abrutis, dès onze ans sont des petit(e)s d’homme n’exigeant plus guère de maternage, ni, de temps à autre, quelque sévère claque paternelle. Confrontation, partage, communication ; sport et randonnées sans trop de confort (d’après Jean-Arthur Rimbaud, “Le Bateau ivre”).
    Mais qu’est-ce qu’on leur a appris à l’école ?.. depuis la dite Libération ?
    Ainsi, à partir de la trentaine, plus ou moins, rien ne vous empêche de vous la faire en Saint Nicolas de Flüe, à la pêche ou philosophe, voire de fonder, avec l’aide empressée de vos gosses, ce qui viendra détrôner enfin les Gaffa et autre Pharma. La vie est belle, encourageante… mais non sans imagination, selon Jack London («Construire un feu»).

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