La Tyrannie du divertissement, d’Olivier Babeau

Francis Richard
Resp. Ressources humaines
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Notre époque est malade du temps libre. Et nous ne le savons pas.

Une telle phrase, placée au début de l'introduction de La Tyrannie du divertissement ne peut qu'attirer l'attention du lecteur et l'inciter à poursuivre sa lecture, ne serait-ce que pour savoir.

Après un rappel historique, et préhistorique, sur l'occupation du temps par les hominidés puis par les hommes, Olivier Babeau en vient au trois usages des loisirs, inaugurés par l'Antiquité:

Temps libre pour les autres, temps pour soi et temps pour rien.

 

LA TRILOGIE

Le temps pour les autres est ce qu'il appelle le loisir aristocratique. Il s'agit de tenir son rang. Cette sorte d'oisiveté est en conséquence le contraire de l'inactivité et de la liberté.

Le temps pour soi est ce qu'il appelle le loisir studieux. Il s'agit de travailler sur soi, ce qui demande un effort: Un être humain ne le devient qu'au prix d'un apprentissage exigeant.

Le temps pour rien est ce qu'il appelle le loisir populaire. Il s'agit de se divertir. C'est aujourd'hui le loisir le plus courant, caractérisé par la satisfaction immédiate et sans lendemain.

 

LE GRAND RETOURNEMENT

La répartition idéale de ces temps libres serait par tiers, selon l'auteur. Car chacune des trois formes est indispensable. Mais une  révolution s'est accomplie depuis deux siècles et accélérée:

L'existence est devenue un long espace de loisirs interrompus par quelques moments de travail.

Après la Grande Guerre, se produit le grand retournement: La classe autrefois oisive se met au travail. Et la classe laborieuse, elle, conquiert petit à petit ce temps libre dont elle avait été sevrée.

 

DU BON USAGE DU TEMPS LIBRE

L'usage de son temps libre devient le principal levier de la lutte des places.

Pour réussir il ne suffit plus d'être né. Depuis la Grande Guerre, le loisir bourgeois revient à capitaliser son temps, c'est-à-dire à convertir son temps disponible en un actif valorisé: le savoir.

Dans un monde de plus en plus complexe, la culture générale devient de plus en plus utile. Il ne suffit plus d'emmagasiner des savoirs, il faut synthétiser, choisir, ne pas être influençable:

La capacité à mettre les savoirs en relation, à faire preuve de créativité face aux procédures, est précisément la capacité dont les machines sont dépourvues.

 

LA FABRIQUE DES INÉGALITÉS

Dis-moi quel usage tu fais de ton temps libre, je te dirai qui tu deviendras.

Ce pourrait être un résumé du propos de l'auteur. La différence de patrimoine ou de revenu n'explique plus les inégalités: L'argent n'est qu'un facteur parmi d'autres, et pas le plus déterminant.

Un facteur déterminant est le mérite qui n'est pas synonyme de l'effort fourni, mais synonyme de la compétence. La seule égalité à promouvoir étant l'égalité en droits, pas l'égalité de conditions.

Sur la chance et le capital biologique, il n'y a pas de prise. Mais il est possible de changer l'environnement de départ1. Si le capital social et culturel est déterminant, l'effort ne l'est pas moins:

Si la progression sociale existe bel et bien, le déclassement est plus facile qu'auparavant.

 

L'HÉGÉMONIE DU DIVERTISSEMENT

Le loisir studieux est discrédité, de même que l'effort, alors qu'ils sont des conditions de la réussite, tandis que les loisirs, au sens du divertissement sont présentés comme de la culture:

La massification du temps libre est parvenue à faire de la culture un produit de consommation. Or ce dernier est par définition détruit.

Les écrans dévorent le temps libre. Ils font tomber dans la facilité. Ils étourdissent par de courtes sollicitations. Ils rendent dépendants. Ils font perdre le sens du temps, de la lenteur, de la durée.

Y résistent le mieux ceux qui ont appris à repousser la jouissance immédiate, à se fixer des buts déjouant la pente des instincts, à s'inscrire dans un carcan volontaire de normes de comportement:

L'attention perdue, c'est de la profondeur envolée. Les heures excessives de divertissement sont prises sur celles qui auraient dû être dévolues à d'autres activités.

 

CONCLUSION

L'acquisition des compétences déterminant notre place dans la société dépend de notre capacité à mobiliser notre liberté afin d'éviter la dilapidation de notre temps. Défi en apparence dérisoire mais redoutable en pratique: il nous faut réapprendre l'art difficile d'occuper notre temps libre.

 

Francis Richard

 

1 - Sa part non génétique.

 

La tyrannie du divertissement, Olivier Babeau, 288 pages, Buchet-Chastel

 

N.B. :

Olivier Babeau est présent au Salon du Livre de Genève qui se tient à Palexpo du 22 au 26 mars 2023:

- Il participe le 22 mars 2023, de 15h à 16h, sur la scène du Forum, à une rencontre sur le thème: Jeu et divertissement: maladie du siècle ou puissance créatrice?

- Le même jour, de 16h30 à 17h30, il dédicace son livre sur le stand des Éditions Noir sur Blanc, C327.

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

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