Les Tunisiens ont peur du grand remplacement, eux aussi!

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Un vent de panique identitaire souffle sur la Tunisie. Alors que les vagues d’immigrés se multiplient, le président Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019, a dénoncé un véritable complot contre la nation tunisienne, qui mettrait en péril sa dimension « arabo-islamique ».


Ils viennent de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Mali, du Niger. En 2021, d’après l’Institut national de la statistique, ils étaient un peu plus de 21 000, soit tout juste 0,2% de la population totale du pays, contre 10 000 en 2016. Des estimations plus récentes, proposées par des ONG, estiment qu’ils sont désormais entre 30 000 et 50 000. À l’inverse du Maroc et de l’Algérie, la Tunisie n’avait jamais connu de présence notable de ressortissants subsahariens sur son territoire, abstraction faite des descendants d’esclaves, qui représenteraient 10 à 15% de la population tunisienne.

L’espoir d’une traversée vers l’Europe

Beaucoup de ces migrants sont en transit. Ils s’installent quelque temps en Tunisie, notamment dans le sud du pays, espérant pouvoir y préparer un nouveau voyage vers la rive nord de la Méditerranée. Il faut aussi compter les étudiants d’Afrique noire qui se sont installés dans la soixantaine d’établissements universitaires ouverts ces dernières années. Parmi eux, certains finissent par trouver un travail et s’établissent durablement en Tunisie. Après tout, la natalité tunisienne s’est stabilisée depuis plus de deux décennies, et avec 2,1 enfants par femme, elle s’est rapprochée des standards européens. Dans le même temps, la Révolution de 2011 n’a pas tari l’émigration, bien au contraire : avant le Covid, entre 36 000 et 40 000 tunisiens quittaient le pays chaque année. Bien que le pays ne soit guère épargné par le chômage, certains secteurs comme l’agriculture, le bâtiment et la restauration souffrent d’un manque cruel de main d’œuvre.

Un grand remplacement sauce harissa ?

Alors que la présence de ces populations subsahariennes était jusque-là taboue dans la société tunisienne, elle est désormais au cœur de l’actualité depuis que le président Kaïs Saïed s’est exprimé en des termes virulents, le mardi 21 février 2023, depuis son palais de Carthage. Dénonçant des « hordes de migrants clandestins » à l’origine de « violences, de crimes et d’actes inacceptables » et « un plan criminel préparé depuis le début de ce siècle pour métamorphoser la composition démographique de la Tunisie », il a affirmé son souhait de mettre fin rapidement à cette immigration, assimilée à « une volonté de faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique ».

A lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Eva B***, étudiante en droit tunisienne installée à Paris, nous a confié qu’elle partageait les appréhensions du président Saïed : « En Tunisie, les exactions causées par les immigrés subsahariens commencent à s’accumuler. Je suis inquiète pour mes proches restés là-bas. Nous avons observé comment la France a évolué depuis 30 ans, avec la montée du multiculturalisme, et nous craignons de connaître une situation équivalente. Nous autres Tunisiens, nous n’avons pas envie d’être métissés: nous sommes là depuis 3 000 ans, et nous avons envie d’être là encore 3 000 ans ».

Dominique Sopo, antiraciste sans frontières

La position musclée du président Saïed n’a pas manqué de faire réagir au-delà des frontières carthaginoises. Le Monde a évidemment mobilisé tout ce que la terre compte d’anthropologues spécialistes pour établir une analogie entre les propos du président tunisien et le discours de certaines formations de droite en Europe: « Kaïs Saïed s’approprie un discours d’extrême droite sur la migration qu’il n’aurait jamais toléré si celui-ci avait été prononcé en Europe sur la migration irrégulière des TunisiensEn prenant pour bouc émissaire la communauté subsaharienne sans s’attaquer de fond à la question migratoire, il s’ancre dans une logique populiste et opportuniste », indique la chercheuse Kenza Ben Azouz dans les colonnes du journal de gauche [1]. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, est quant à lui sorti de son habituel périmètre franco-français pour aller détecter les indices de racisme sur la rive sud de la Méditerranée :

Dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, Sopo précise sa pensée : « En qualifiant les Subsahariens d’ « Africains » et en semblant s’exclure de cette dernière dénomination, Kaïs Saïed dit en creux une certaine représentation de la Tunisie et de l’Afrique, nourrie d’un mépris de la première pour la seconde »[2]. Dominique Sopo préfère miser sur « la longue tradition d’accueil » de la Tunisie pour que la société civile ne suive pas le chef d’État, lequel a par ailleurs largement rogné les acquis démocratiques de la Révolution de 2011.

Sur le terrain, pourtant, la situation se tend, et déjà, des groupes de Tunisiens se forment et s’arment de bâtons et de couteaux pour aller déloger manu militari des groupes de migrants subsahariens de leurs maisons dans les quartiers populaires de la banlieue nord de Tunis.


[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/22/en-tunisie-le-president-kais-saied-s-en-prend-aux-migrants-subsahariens_6162908_3212.html

[2] https://www.jeuneafrique.com/1421242/politique/linsoutenable-sortie-de-route-raciste-de-kais-saied/

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