« Une génération hypersensible » : Wokisme dans les écoles d’art, de cinéma et de théâtre… Quand les étudiants déboulonnent Godard, Koltès ou Tchekhov, et remettent en question la parole des enseignants

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Accusées de sexisme ou de postcolonialisme, dans les écoles d’art, de cinéma et de théâtre, les icônes d’hier sont aujourd’hui « déconstruites » et la parole des enseignants est remise en question.

Lundi 5 décembre 2022, à la Fémis, la grande école parisienne de cinéma, Nicole Brenez tient un cours sur l’art et la manière de conclure un film. La directrice du département Analyse et culture cinématographique projette la fin de Sombre (1998), de Philippe Grandrieux : un féminicide, analyse-t-elle, après avoir averti que l’extrait contenait des images violentes. Tollé des étudiants qui quittent la salle. « Le viol n’est pas un motif narratif, il n’est pas un pivot dramaturgique, il n’est pas une pulsion de mort qui existe en chaque être humain »,écrivent, deux jours plus tard, les élèves de première année, dans un long mail interpellant l’ensemble de la Fémis. « Le viol est une construction sociale largement acceptée, normalisée, esthétisée et érotisée. Il est temps d’en parler comme tel. » Signé : « Les femmes de la promotion Kelly Reichardt… »

(…)

Aux Beaux-Arts de Marseille, c’est Le Mépris (1963), de ce même Godard, qui a mis sur la sellette Didier Morin, professeur de cinéma et de lettres pendant un quart de siècle. « Depuis quelque temps, pendant les projections, j’entendais un brouhaha dans le fond de la salle, je croyais que c’était de l’inattention, mais, ce jour-là, j’ai compris… » Ce jour-là, « elles » se sont levées et ont débranché le projecteur.

C’était en 2019. Exit Brigitte Bardot dans le plus simple appareil roucoulant « Tu les aimes mes fesses ? Et mes seins ? ». Spécialiste de Pier Paolo Pasolini et de Jean Genet, Didier Morin pousse un soupir sans fin : « Et encore, je n’ai jamais montré Une sale histoire (1977), de Jean Eustache, où Michael Lonsdale raconte comment il est devenu voyeur grâce à un trou percé dans les toilettes des femmes… Je me serais fait incendier. »

« Une génération hypersensible »

Partout, des profs sur le gril. En février 2020, à Paris-VIII, une historienne travaillant sur les représentations de l’affaire Dreyfus met le film de Roman Polanski à son programme. La séance est interrompue. Un an plus tôt à la Sorbonne, Les Suppliantes, d’Eschyle, sont bloquées parce que le metteur en scène, Philippe Brunet, spécialiste de la Grèce antique dont il dit suivre la tradition, a maquillé une Danaïde couleur cuivre : délit de « blackface ».

Ici, c’est un linguiste tenant une conférence anti-écriture inclusive qui est arrosé d’urine ; là, une professeure qui écrit « chère madame » à ses élèves se retrouve attaquée parce que le « chère » est jugé familier. « C’est une génération hypersensible », se désole un professeur confronté à une étudiante horrifiée par la photo de Richard Avedon, Dovima with Elephants (1955), qui heurte ses convictions animalistes. Combat de nègre et de chiens (1979), la pièce de Bernard-Marie Koltès, reste elle en travers de la gorge d’élèves de Paris-III. La liste est sans fin.

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C’est ainsi que les rebelles d’hier, dans leur refus de tout diktat, se retrouvent en première ligne : « Quand le wokisme est arrivé, j’étais plein d’espoir, cela allait apporter de l’air frais,témoigne le plasticien Jean-Luc Verna, qui enseigne le dessin aux Beaux-Arts de Cergy (Val-d’Oise). Puis c’est devenu une idéologie, et enfin du marketing. Cela donne des groupes fermés, beaucoup d’entre-soi, les queers avec les queers, les racisés avec les racisés. Ces gens non binaires ont une vision très binaire. Quid du droit au flou ? Je n’en peux plus des “alphabet people” [référence à l’acronyme LGBTQIA+ : lesbiennes, gay, bisexuels, transexuels, queer, intersexe, asexuel]. C’est le monde d’Internet, des catégories, qui crée de la souffrance pour ceux qui n’entrent pas dans le cadre… Tout ça, ce sont des élèves qui érigent des pyramides de pouvoir. Plus ils réclament de l’horizontalité, plus ils recréent de la verticalité. »

En octobre 2022, il était invité à donner une conférence devant trois cents personnes à la Villa Arson, à Nice, où il a passé vingt-cinq ans. « Moi qui suis une vieille pédale maquillée, qui leur ai pavé le chemin, j’ai senti du flottement quand j’ai dit qu’avant d’être homosexuel, j’étais un homme, et avant d’être un homme, un artiste. Que je n’étais pas fier d’être homosexuel : je ne l’ai pas choisi, comme je n’ai pas choisi d’être blanc. Et que j’accepterai de porter le drapeau arc-en-ciel lorsqu’il comprendra une couleur pour les hétérosexuels… » Le Niçois s’est pris une bronca.

(…) Le Monde

 

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