Une simulation du sapin de verre et d’acier place Pey-Berland, à Bordeaux, réalisée par l’artiste Arnaud Lapierre. Pour une « communication inclusive », la Commission européenne a proscrit des mots comme « Noël ». Revenant sur de multiples exemples similaires dans les villes écologistes, Anne-Sophie Chazaud montre que les élus progressistes s’évertuent à déconstruire cette fête traditionnelle. Anne-Sophie Chazaud est chercheuse et essayiste, auteur de Liberté d’inexpression, des formes contemporaines de la censure (éditions de l’Artilleur, 2020).
Se pencher sur les inepties foisonnantes et non dénuées d’inventivité produites par la plupart des élus écologistes (lesquels se préoccupent en réalité bien peu d’écologie), c’est un peu comme goûter avec émerveillement et gourmandise aux joies quotidiennes d’un calendrier de l’avent : à chaque jour son petit plaisir, sa petite décision ridicule, sa volonté pathétique de provoquer, son désir infantile de choquer le bourgeois (et le populo tant honni), son obsession à déconstruire les codes et les repères traditionnels, en particulier lorsqu’ils ont trait à l’ancrage historique chrétien (horresco referens !) de la France (rien que des gros mots !). Et les déclarations ou décisions grotesques se succédaient ainsi en une sorte de concours secret que semblaient se livrer ces édiles, concours dont le vulgum pecus ignorait les règles obscures et dont le prix du gagnant était peut-être un Clitoris d’Or — en pâte à sel — fabriqué grâce aux dons de sorcellerie de Dame Sandrine Rousseau, qui sait…
La conquête accidentelle [par les écologistes] pour cause de Covid de seulement 8 villes (sur 42) de plus de 100 000 habitants avec un taux d’abstention record de 56 % et une légitimité plus que ténue (en raison même des circonstances dans lesquelles s’est déroulé ce processus électoral, entre confinement et peur panique) a néanmoins fait pousser des ailes à ces exécutifs locaux qui, aussitôt aux manettes, ont donné le ton sur un mode bien peu rassembleur et volontiers idéologique, où l’arrogance le dispute bien souvent à la simple bêtise, lesquelles nuisent du reste toutes deux à la cause environnementale à laquelle chaque être humain normal ne peut qu’être sensible.
Il y eut par exemple l’empressement à se jeter sur l’écriture inclusive, ce charabia en réalité excluant pour tous ceux qui connaissent des difficultés de lecture et cognitives (mais qu’à cela ne tienne puisqu’il ne s’agit là de rien d’autre que d’un signe extérieur de richesse culturelle témoignant du désir malsain d’insécuriser la langue), il y eut les déclarations loufoques sur la 5G (servant, comme chacun sait, selon l’inénarrable maire de Grenoble Éric Piolle à « regarder du porno dans l’ascenseur »), les interdictions de survoler Lyon pour la Patrouille de France, les déclarations imbéciles sur le Tour de France et tant d’autres sottises.
Il y eut également toute une nébuleuse sémantique de nouvelles appellations au sein des exécutifs locaux laissant penser qu’on se trouvait plongé au cœur de quelque improbable dictionnaire oulipien donnant à penser que ces élus avaient pris tous les mots qu’ils connaissaient et les avaient mélangés au hasard avant de les affecter à leurs équipes, comme le rappelait avec drôlerie Judith Waintraub dans ces colonnes : « À Strasbourg, la “ville résiliente” et la “ville inclusive” ont chacune leur adjointe. Bordeaux annonce la couleur avec une première adjointe “en charge [responsable] des finances, du défi climatique et de l’égalité entre les femmes et les hommes”, une autre “chargée de la démocratie permanente, de la vie associative et de la gouvernance par l’intelligence collective”, un adjoint à “l’urbanisme résilient”, des conseillers municipaux délégués à la “sobriété du numérique” et la “résilience alimentaire”, à l’“économie circulaire”, au “zéro déchet” et au développement d’une “monnaie locale” ».
Au milieu de ce charabia récurrent et de ces décisions burlesques, la question de Noël revenait régulièrement comme une épine (de sapin) dans le pied de nos apprentis politiques. L’on se souvient notamment que l’an dernier, à la même époque, le maire de Bordeaux Pierre Hurmic avait déclaré tout de go : « Nous ne mettrons pas des arbres morts [sic] sur les places de la ville. Ce n’est pas du tout notre conception de la végétalisation. Fin 2020, nous adopterons la charte des droits de l’arbre ».
Et, en effet, il y a quelques jours, ce fut affaire faite puisque notre édile manifestement plus concerné par les droits des arbres — qui, par définition, n’ayant pas de conscience, ne peuvent être des sujets de droit, quelle que soit l’immense considération qu’on leur porte comme c’est le cas de l’auteur de ces lignes qui leur prête peut-être même une âme secrète… — que par le droit de ses administrés à vivre en sécurité, a signé mercredi une Déclaration des droits de l’arbre (sic), annonçant également une série de mesures pour végétaliser sa ville (ce qui fait toujours un peu peur désormais, connaissant la propension des élus écologistes à disperser de-ci de-là en tous coins de leurs villes des litières en copeaux de bois — en arbres morts, donc — où les animaux et les enfants attrapent des échardes et des microbes). Pas d’arbres morts, donc, l’expression avait amusé toute la France.
Derrière toutefois le grotesque, se manifestait un ordre du jour idéologique que l’on ne pouvait éluder : il s’agissait bien évidemment, aussi, de ne pas célébrer Noël de manière traditionnelle. Ajoutons d’ailleurs que les spécialistes de la filière bois s’en étaient fortement émus, faisant observer la bêtise y compris écologique de cette mesure : « S’il a un cerveau, il faut que le maire de Bordeaux apprenne à réfléchir. Le sapin de Noël c’est comme le blé, on plante et on récolte. Il n’y a pas de déforestation. Eux dans le bordelais, ils produisent de la vigne, ils coupent les grappes de raisins. Nous, c’est exactement la même chose », faisait ainsi observer Gérard Maternaud, producteur de sapins. Trop compliqué à comprendre, visiblement.
Afin de montrer que la grogne des citoyens avait été tout de même vaguement entendue au sujet du respect d’une tradition certes chrétienne, mais surtout éminemment populaire, le maire de Bordeaux a cette fois-ci décidé qu’il y aurait un sapin, mais en verre et en acier (ce qui donne bien le sentiment du rapprochement avec la nature et de la végétalisation) et relevant davantage de la commande artistique que de la tradition de Noël.
Nous tenons ici à dire qu’il ne s’agit nullement, comme beaucoup l’ont fait en réaction à cette annonce, de critiquer de façon réflexe la création proposée par l’artiste designer Arnaud Lapierre. À titre personnel, nous trouvons cette œuvre belle, appréciant particulièrement les jeux de lumière rendus possibles par la magie du verre, matière fascinante entre toutes. Notons d’ailleurs que l’artiste défend bien son œuvre avec de solides arguments, et nous ne souhaitons par conséquent pas ici hurler avec les loups de l’antimodernisme primaire ; notons également que cette œuvre est inspirée d’une création de plus petite taille, déjà réalisée pour la ville de Saint-Pétersbourg (pour le musée d’art moderne), disposant d’une structure d’acier et de panneaux de verre, à la façon de miroirs sans tain, de couleur émeraude, toutes les matières étant recyclées et recyclables, l’œuvre pouvant par ailleurs être réutilisée plusieurs années. Arnaud Lapierre a travaillé avec la métallerie bordelaise, un atelier de ferronnerie local, aucune pièce n’étant fabriquée à plus de 50 kilomètres de Bordeaux. Tout ceci est beau et bon, sur le plan créatif.
Pourtant, si l’on se reporte au profil Instagram du studio de design d’Arnaud Lapierre, on peut certes contempler (avec plaisir) les images de l’œuvre ainsi réalisée en Russie, mais agrémentée d’un commentaire qui a retenu notre attention. On y lit en effet (nous traduisons de l’anglais) que ce « cône » est « décontextualisé de tout signe théologique ». Nous y voilà donc, il suffisait de chercher un peu…
L’on ne dénie pas à l’artiste le droit de produire cette « expérience ». L’on conteste en revanche la volonté avérée, mais quelque peu dissimulée (mal) par les édiles locaux de proposer un sapin de Noël qui d’une part n’est pas un sapin dans sa dimension naturelle et traditionnelle (populaire) et qui en outre est conçu spécifiquement pour vider ce dernier de son contenu chrétien (pas d’étoile sur le sommet, naturellement) : « Creating a Christmas tree experience for the city »… Faut-il rappeler que dans Christmas, il y a « Christ » ?
Il semble d’ailleurs que Noël pose de graves problèmes existentiels au Wokistan, d’une manière générale et en dehors des pitreries bordelaises. Ainsi découvrait-on récemment que la commissaire européenne à l’égalité Helena Dalli avait publié un guide intitulé Guidelines for Inclusive Communication (recommandations pour une communication inclusive) dans lequel, sur pas moins de 18 pages, sont données des préconisations sémantiques ayant pour but de modeler idéologiquement les esprits selon le vent néo-progressiste qui souffle en permanence sur les institutions de l’Union européenne et leur sinistre agenda de déculturation.
Entre autres considérations absurdes (comme celle par exemple de proscrire le trop genré « Mesdames, messieurs »), la notion même de Noël y est désormais clairement énoncée comme devant être bannie puisqu’elle semble présupposer que tout le monde est chrétien — alors même qu’il s’agit simplement d’assumer les origines et la tradition culturelle européenne qui apprécie visiblement tout particulièrement de se tirer des balles dans le pied et de se haïr elle-même. Il convient, dit ce nouveau Petit Livre Rouge, de dire plutôt « vacances » que Noël. De fait, nous devons l’admettre, il s’agit bien de vacance, dans le sens étymologique du vide, de la viduité d’un message dont le sens même n’est plus rien d’autre que le vide qui le constitue. Célébrons le vide dans la joie et la bonne humeur !
Rappelons par conséquent, à toutes fins utiles, qu’outre le sens religieux initial de Noël, il n’est pas nécessaire d’être croyant pour célébrer de manière populaire la naissance d’un petit enfant, l’espoir de toute civilisation comme de tout individu au cœur de l’hiver (réel ou métaphorique) — et de la mort qu’il représente —, de célébrer l’humilité de tous se prosternant devant l’innocence de la vie (une notion qui devrait pourtant parler aux écologistes), en particulier en ces temps de morbidité collective que nous traversons, qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour célébrer le plaisir de l’unité soit familiale, soit amicale et, pour un temps, celui de la trêve, de la concorde et de la paix. Cela s’appelle l’esprit de Noël et les élus écologistes devraient peut-être essayer, cela détendrait tout le monde.
À Besançon, dans le même temps, une polémique se faisait jour, car l’on découvrait les illuminations des commerçants de la ville intitulées (dans une typographie assez laide, soit dit en passant), cette étonnante incantation festive souhaitant à chacun un « Fantastique décembre ». Si cette énième incongruité d’un monde déboussolé ne peut être imputée à la maire (écologiste) de la Ville, mais bien à l’Office du Commerce et de l’Artisanat de Besançon (OCAB) qui avait choisi ce vocable en 2019 pour désigner l’opération des fêtes de fin d’année, nous n’y voyons cependant pas là une quelconque excuse valable. Que le mot « Noël » soit présent dans diverses activités proposées au long de ce « fantastique décembre » n’a pas d’importance : la question est bel et bien de savoir ce que l’on affiche, ce que l’on dit et quel est le message qu’on envoie, en somme, quel est l’arbre (de Noël innomé) qui cache la forêt du renoncement.
Croyant déjouer la polémique lancée à ce sujet par le député Éric Ciotti, beaucoup ont trouvé dans le fait que cette initiative venait des commerçants et non de l’élue écologiste, la preuve que celui-là avait tort lorsqu’il y dénonçait le signe d’une volonté de déconstruction des traditions. Nous pensons qu’en réalité c’est pire. Pire, car cela vient de la loi du marché directement, et même plus des injonctions de quelques idéologues déboussolés. La loi du marché, qui s’adapte servilement avec sa main invisible à la pression des minorités dont on craint qu’elles ne s’offensent (violemment, peut-être ?) de ce que, dans un pays de tradition chrétienne, l’on souhaite Noël lorsque c’est Noël.
Alors, l’on se censure, l’on s’autocensure et l’on trouvera bien toujours quelques élus complaisants (de tous bords) et quelques bouffe-curés ventripotents adeptes d’on ne sait trop quelle théorie bancale de la mystérieuse « tenaille identitaire » pour s’en réjouir, ceux-là mêmes qui se lancent en décembre à la chasse aux santons comme d’autres traquent le petit gibier de contrebande. Et l’on ne doit jamais oublier cette si lumineuse phrase de Roland Barthes qui rappelait que « le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire : c’est d’obliger à dire ». Obliger à dire « Fantastique décembre » ou « Très joyeuses vacances » en un jeu pervers et faussement ingénu.
Reste en guise d’espoir et de socle le bon sens populaire, la « foule sentimentale » si poétiquement chantée par Alain Souchon, qui jamais ne s’émouvra pour célébrer un simple mois du calendrier non plus qu’une vacance de toute signification.
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