La guerre russo-ukrainienne, tout en restant limitée à ces deux pays, aura une influence majeure sur la transformation de l'ordre mondial et changera les contours de la stratégie de politique étrangère de la Russie. La Russie et l'OTAN se retrouveront dans l'esprit des années 1945-50, et l'Europe perdra son autonomie stratégique. C'est ainsi qu'Andrei Sushentsov, directeur de programme du Club Valdaï, esquisse l'avenir. Nous poursuivons cette réflexion par une présentation de la pensée stratégique russe.
Au cours des trente dernières années, la logique des relations entre la Russie et l'Occident s'est construite sur le postulat que Moscou acceptait toute initiative de l'OTAN visant à modifier l'équilibre des forces en Europe. La Russie a souvent dû céder, ce qui a progressivement érodé ses positions stratégiques non seulement sur le continent mais aussi le long de ses frontières immédiates.
"C'était vrai jusqu'au moment précis où l'Occident a décidé de faire entrer l'Ukraine dans le monde transatlantique, et pendant des années, Kiev a construit sa politique sur la résistance à la Russie."
Certains experts comparent la relation entre Moscou et Kiev à celle des États-Unis et de Cuba. D'une part, Cuba se voulait à l'avant-garde de la lutte contre le capitalisme mondial et, d'autre part, elle s'intégrait étroitement dans la vie socio-politique américaine. D'une part, elle acceptait l'utilisation d'armes nucléaires soviétiques pour affronter les États-Unis, et de l'autre, elle ne disposait pas des capacités militaires nécessaires pour combattre Washington. Cependant, cette comparaison a ses limites:
"Contrairement à Cuba, par exemple, l'Ukraine s'est engagée dans un armement intensif et est devenue un acteur militaire majeur en Europe de l'Est. Ce sera un défi sérieux pour l'Europe, aussi bien si l'Ukraine gagne que si elle perd."
Tout cela grâce à l'OTAN dominée par les Anglo-Saxons, qui a transformé les forces armées ukrainiennes en une armée de qualité nouvelle. Selon diverses sources, la taille de l'armée ukrainienne en temps de paix a atteint 250’000 hommes, soit un quart des forces armées russes. Et si l'on ajoute à cela les réservistes et autres membres des forces de l'ordre ukrainiennes, le nombre peut atteindre un million, ce qui est comparable à la taille de l'armée russe. Aujourd'hui, toute cette force est déployée sur la ligne de front, et ceux qui survivent auront une valeur de combat sérieuse.
Ajoutez à cela l'insoluble conflit socioculturel en Ukraine entre les personnes ayant une identité pro-russe et celles dont la vision du monde se rattache à l'idéal national ukrainien occidental. La puissance de ce dernier a prédéterminé une guerre civile avec la partie orientale du pays. Ensuite, pendant huit ans à partir de 2014, la région du Donbass a subi une pression militaire constante de la part de Kiev.
"Ce conflit a préfiguré à la fois la radicalisation des personnes ayant une identité russe dans le Donbass et le comportement de plus en plus agressif des pro-occidentaux qui perçoivent la Russie comme une menace existentielle."
Les seconds ont déjà commencé à considérer la victoire sur la Russie comme le but de leur vie, dans l'idée que cela contribuerait à la résolution du conflit dans l'est du pays.
Cet ensemble de contradictions s'apparente davantage à la confrontation entre l'Inde et le Pakistan, qui sont en guerre depuis plus d'un demi-siècle pour la propriété du Jammu-et-Cachemire. Les deux pays sont nés du démantèlement de l'Inde britannique. Pour le Pakistan, l'émergence d'un État est directement liée à son inimitié avec l'Inde. Les deux États ont simultanément créé des armées sérieuses dotées d'une capacité de frappe nucléaire. Le Pakistan a commencé à nouer des relations avec des États hostiles à l'Inde dans le but d'équilibrer la menace de New Delhi.
"Moscou a vu l'Ukraine comme un pays antagoniste du même genre, reconnaissant que Kiev pourrait dans quelques années recevoir des pays de l'OTAN une quantité importante d'armes, suffisante pour infliger de graves dommages au Donbass et à la Russie elle-même."
La Russie s'est vue confrontée à un sérieux défi stratégique. L'horizon temporel des négociations avec l'Occident et Kiev s'est rétréci à mesure que l'Ukraine se dotait du potentiel militaire nécessaire pour résoudre le conflit dans l'est du pays. Simultanément, le sentiment anti-russe se développait très rapidement.
La combinaison de ces facteurs permet de comprendre pourquoi la Russie a réagi calmement aux demandes d'adhésion des deux pays nordiques à l'OTAN. Si l'on compare le potentiel militaire de la Finlande et de la Suède, il est clair qu'il est nettement inférieur à celui de l'Ukraine. En outre, contrairement à l'Ukraine, il n'existe pas de différences socioculturelles entre la Russie et les pays nordiques qui pourraient conduire immédiatement à une escalade du conflit militaire.
"Bien que ce conflit reste une confrontation armée entre deux pays, il aura une influence majeure sur l'évolution de l'ordre mondial et changera le cours de la stratégie de politique étrangère de la Russie."
Laissons de côté certains facteurs inconnus de la nouvelle équation mondiale. L'avenir de l'ONU et la place qu'y occupera la Russie ne sont toujours pas clairs. Comment l'économie et la logistique mondiales fonctionneront-elles ? Où et comment les ressources énergétiques russes seront-elles exportées ? L'Union européenne restera-t-elle aussi stable et durable sur le plan économique qu'elle l'était avec les ressources russes bon marché ?
"Il est clair que les relations de la Russie avec l'Occident sont en train de changer qualitativement. La Russie et les pays de l'OTAN seront désormais des ennemis dans l'esprit de la seconde moitié des années 1940, à l'époque de l'émergence d'un ordre mondial bipolaire dur."
Mais les contours de l'évolution des relations entre les États-Unis et l'Europe sont également visibles. Les Européens n'ont désormais aucun choix de partenaire, contraints de se concentrer uniquement sur les États-Unis et, en l'absence de possibilité de diversification stratégique, de se soumettre à la discipline de l'OTAN. N'ayant aucun moyen de coopérer avec la Russie, ils devront compter sur la défense militaire américaine, qui leur revient beaucoup plus cher. De ce point de vue, l'Europe perdra son autonomie stratégique, ce qui risque d'être une des principales conséquences de la crise en cours.
Source: https://moszkvater.com/europa-elvesziti-strategiai-autonomiajat/
Traduction: Albert Coroz
https://resistancerepublicaine.com/2022/09/30/interview-exclusive-rr-de-steffen-kotre-le-gouvernement-allemand-fait-fausse-route-sur-lukraine/
L’Europe ne peut pas perdre quelque chose qu’elle n’a jamais eu !!!!