L’économiste Pierre Fortin critique la politique d’immigration actuelle

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Transcription

— Est-ce que l’immigration est l’une des grandes solutions à la pénurie de main-d’œuvre dont on parle ? Bon et puis, est-ce que l’immigration est l’une des grandes solutions à la pénurie de main-d’œuvre dont on parle ? La politique d’immigration au Canada est en tout cas dommageable pour l’ensemble du pays et pour le Québec notamment, selon l’économiste Pierre Fortin. Dans le cadre d’une étude préparée pour le ministère de l’Immigration du Québec, Pierre Fortin affirme que le Québec devrait avoir le contrôle total, entier de son immigration. On le rejoint ce soir. Pierre Fortin est professeur émérite au département des sciences économiques de l’ESG UQAM. Pierre Fortin, bonsoir.

— Bonsoir.

— Vous posez un regard quand même sévère dans l’étude sur l’approche, sur la gestion de l’immigration du gouvernement fédéral. Est-ce qu’Ottawa se trompe, selon vous, sur toute la ligne présentement en misant sur l’immigration pour assurer la croissance, et la prospérité du pays ?

— Oui, on pense qu’avec 450 000 et éventuellement 500 000 immigrants nouveaux par année, on va réussir à faire un Canada qui, premièrement, va être de beaucoup plus grande taille, qui va être plus riche, qui va être plus puissant dans le monde. Et cette espèce de grande fierté d’être Canadien qui pourrait être améliorée avec le temps et l’objectif final, c’est sur le plan démographique, on veut être 100 millions de Canadiens à l’année 2100 alors qu’on est présentement 38 millions.

— Et donc, on présente ça comme étant une solution quand même, une solution économique, une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Est-ce que ça en est une ?

— Oui, il y a trois choses qui sont recherchées. 

  • Premièrement, que beaucoup plus d’immigration aiderait à résoudre des problèmes de pénurie de main-d’œuvre. 
  • Deuxièmement, que ça réduirait le vieillissement de la population parce que les immigrants, en moyenne, sont d’âge un peu plus jeune que la moyenne de la population. 
  • Et puis, troisièmement, que le niveau de vie progresserait plus rapidement. La croissance du PIB par habitant serait plus élevée. 

Alors quand on passe en revue la littérature scientifique sur ces trois points-là, on se rend compte qu’aucun de ces… aucune de ces trois affirmations-là ne trouve un appui de la part des recherches existantes. 

Premièrement, le PIB par habitant, le revenu par habitant et relativement insensible à l’immigration. Prenez juste, par exemple, la croissance économique dans la région de Québec, la région métropolitaine de Québec, c’est la plus élevée au Canada depuis 20 ans. Or, à Québec, il n’y a à Québec presque aucun immigrant qui arrive. Seulement 7 % de la population immigrante. Alors que, à Vancouver, par exemple, à l’inverse, on a 45 % de la population qui est d’origine immigrante, la croissance économique par habitant, la croissance, le niveau de vie est plus faible qu’à Québec. Donc ça ne veut pas dire que l’immigration est négative pour la croissance économique, mais ça veut dire qu’elle ne pousse pas dans la direction d’une croissance économique par habitant, du niveau de vie qui soit plus rapide. 

— Mais quand on a 1 million de postes vacants. C’est ce dont on parle ce soir, il y a 1 million de postes vacants. C’est un nombre record. Ça prend des bras pour les combler [pourvoir], ces postes vacants. Les immigrants ne représentent pas la première solution ?

— Non. Le taux de postes vacants au Québec est inférieur au taux de postes vacants aux États-Unis et est inférieur au taux de postes vacants à Colombie-Britannique, par exemple. Oui, on a un taux de postes vacants qui est relativement élevé au Québec. C’est la première génération de gens d’affaires qui font face à ce problème-là. Parce qu’autrefois, le taux de chômage au Québec était toujours dans les deux chiffres. On avait des 10, des 12 % de chômage. Alors il n’y avait jamais de manque de main — d’œuvre. Il y en avait toujours de disponibles, qui était en chômage et qui était prête à entrer au travail. Mais maintenant, il faut changer notre point de vue. L’économie du Québec, ce n’est pas une économie qui traîne en arrière. C’est une économie qui est très dynamique et en fait, quand on regarde les villes au Canada, c’est les villes du Québec et les villes de la Colombie-Britannique qui sont les plus dynamiques sur le plan économique. Et donc, quand le chômage est bas, le taux de postes vacants est forcément plus élevé. Nous, c’est la première génération qu’on a ça. Nos gens d’affaires sont en état de choc à cause de ça et ils doivent évidemment utiliser bien d’autres moyens que seulement l’immigration. Ça prendrait à mon avis un pacte économique entre les gens d’affaires et le gouvernement du Québec pour déterminer, bon, oui, on fait venir des immigrants, on s’assure que la composition de l’immigration est bien adaptée aux besoins réels. On cherche tous les moyens de réduire le temps d’attente, d’améliorer l’adéquation entre les gens qui viennent et les besoins de nos entreprises, on fait tout ça, mais on ne peut pas penser réussir ça si on fait passer le taux d’immigration, par exemple, de 50 000 par année à 100 000 par année. 

— OK. 

— Ça va être le chaos social, je veux dire… Puis là, l’opinion de la majorité des Québécois de leurs entreprises va devenir très négative. Aussi, on est plus sensibles au risque social qu’il y ait de monter l’attitude de la population interne contre l’immigration.  Au Québec, à l’heure actuelle, nos gens sont plus favorables à l’immigration que dans le reste du Canada. On est plus favorable à l’immigration au Québec…

— Et il ne faut pas que ça change.

— … que dans le reste du Canada. Mais si on pousse trop fort, il y a danger, avec trop d’immigrants, et ça, c’est le grave danger qui menace le reste du Canada.

— OK. 

— Le danger que ça attise la xénophobie et éventuellement le racisme et qu’on recule finalement à 20 000 ou 10 000 immigrants par année plutôt que de rester plus haut.

— Absolument. Merci beaucoup pour cette analyse avec nous ce soir.

 

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