En matière sociale et politique, la France a vu se mettre en place un ordre qui, loin d'impressionner par sa modernité, est régulièrement comparé à l'Ancien Régime, entre déficit démocratique, reproduction des élites, pensée unique, panne de l'ascenseur social.
Si les institutions de la France sont comparées à celles de ses voisins, la France n'est pas une démocratie:
Sa constitution est celle d'un régime autoritaire, une monarchie républicaine qui tend à devenir de plus en plus absolue, et que guette une nouvelle Révolution.
LA DÉMOCRATIE FONCTIONNELLE
Ce qui caractérise les institutions des voisins de la France:
- La séparation nette entre le chef de l'État et le chef du gouvernement:
. le premier représente le temps long et est soit un héritier royal, soit élu par le Parlement;
. le second représente l'exécutif et est un chef partisan, il préside le Conseil des ministres.
- Deux chambres1:
. la chambre basse, élue au suffrage direct, est celle de la réactivité et du débat;
. la chambre haute, élue au suffrage indirect, est celle du temps long et de la réflexion.
LA VeRÉPUBLIQUE CONTRE LA DÉMOCRATIE
Avec l'élection du Président au suffrage universel direct, la Ve République n'est plus une démocratie fonctionnelle:
- le chef de l'État est le chef de l'exécutif - il préside le Conseil des ministres - mais n'est pas responsable devant le Parlement;
- le chef de l'État, aussi légitimé par le suffrage direct que l'Assemblée nationale, peut dissoudre celle-ci.
En pratique il n'y a pas de séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif:
Le Président est le chef véritable du gouvernement, le gouvernement n'est responsable que devant le Président, et le Parlement tient sa légitimité élective du Président.
C'est pourquoi, avec cette distribution des pouvoirs et des autorités, la pratique constitutionnelle en France est plus proche de celle qui a cours dans la Russie de Vladimir Poutine que de n'importe quel de nos voisins européens.
(L'auteur montre que la comparaison avec les États-Unis n'est pas raison, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de responsabilité du gouvernement devant le Parlement et que la chambre basse, renouvelée deux fois plus vite, et la chambre haute, renouvelée par tiers, ne peuvent être dissoutes par le président.)
LA CULTURE POLITIQUE
Comme l'histoire comparée de la IIIe République et de la Ve République le montre, la culture politique a son importance:
Si les institutions sont radicalement opposées aux valeurs de la culture ambiante, celle-ci leur imposera rapidement une inflexion dans son propre sens.
Ainsi la IIIe République, originellement monarchique, est-elle devenue un régime parlementaire, tandis qu'à l'inverse la Ve a connu une dérive non-démocratique validée démocratiquement...
Autrement dit plus d'apparence de démocratie peut en réalité signifier moins de démocratie.
L'ÉVOLUTION VERS UN RÉGIME AUTORITAIRE
Cette évolution vers un régime autoritaire2 s'est poursuivie sous la présidence d'Emmanuel Macron:
- un parti ad hoc a été créé pour porter ce dernier à la présidence;
- l'instauration d'un état d'urgence permanent s'est traduite par la constitution de conseils de défense écologique en 2019 et de défense sanitaire en 2020.
L'auteur peut en inférer que la France est de plus en plus dirigée comme un État policier, c'est-à-dire dans le cadre légal de l'état d'exception, et dans le cadre formel de réunions en comité restreint sur lesquelles le Parlement ne dispose d'aucune forme de contrôle.
DE LA CULTURE DÉMOCRATIQUE À LA CULTURE AUTORITAIRE
Dans un pays où l'État pèse 57% du PIB, l'influence du chef de l'État et du gouvernement est d'autant plus centrale.
Le pouvoir politique ne se trouve plus au Parlement mais à l'Élysée si bien que le débat public tourne autour de la personnalité et de la décision présidentielle:
La Cinquième République, en échouant ou en renonçant à séparer les pouvoirs, a provoqué cette régression consternante de la pensée politique en France.
Pour contourner le Parlement, le Président crée une convention citoyenne, dont les membres sont tirés au sort. Faute de réel débat, le peuple en revient aux jacqueries, comme avec la crise des Gilets Jaunes.
Il ne faut pas compter sur la presse pour introduire le débat: elle est la plus aidée d'Europe et au service de la pensée dominante, taxant ceux qui la contestent de complotisme.
De plus, depuis cinquante ans, la multiplication des lois liberticides en matière d'expression permet de censurer les propos simplement politiques sur certains sujets fondamentaux.
Et quand le peuple se prononce, comme en 2005 sur la constitution européenne, il n'est pas tenu compte de sa décision. Ce déni démocratique, suivi d'autres, a eu pour conséquence l'émergence d'une opposition de régime autoritaire, c'est-à-dire une opposition qui descend dans la rue, réprimée brutalement.
EN CONCLUSION
Il faudrait instaurer une démocratie fonctionnelle à l'instar de celle qui existe chez les voisins de la France:
Pour cela, il faut et suffit d'imiter ce qui est commun à tous ces pays [...]: deux chambres haute et basse, élues l'une au suffrage direct, l'autre au suffrage indirect; un chef de l'État élu au suffrage indirect, distinct du chef du gouvernement, sans pouvoir exécutif, un gouvernement issu du parlement et responsable devant lui. Tel est l'équilibre démocratique fonctionnel empiriquement éprouvé.
Comment y parvenir? Telle est la question. La réponse est entre les mains du parlement, à condition qu'il soit majoritairement opposé au président et fasse en quelque sorte un coup d'État contre lui, d'une manière ou d'une autre.
Sinon? On sait ce qu'il advient des régimes autoritaires quand ils ne savent pas se réformer...
Francis Richard
1 - Certains pays n'ont qu'une chambre: il s'agit de pays où la population est réduite et la diversité culturelle et géographique faible.
2 - Philippe Fabry n'emploie pas le terme de dictature, sans doute parce que c'est un gros mot, inaudible. Jacques Bainville, dans son livre Les Dictateurs, publié en 1935, écrivait dans son introduction:
Il y a [...] des dictatures diverses. Il y en a pour tout le monde et un peu pour tous les goûts. Ceux qui en rejettent l'idée avec horreur s'en accommoderaient très bien et, souvent, s'y acheminent sans s'en douter...
Le Président Absolu, Philippe Fabry, 118 pages, Léo Portal
Livre précédemment chroniqué:
Rome, du libéralisme au socialisme, 160 pages, Jean-Cyrille Godefroy (2014)
Publication commune lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard
le drame principal c’est la nullité de la politique menée par Macron
Merci, Francis Richard pour ce regard porté sur les institutions actuelles de la RF. En Suisse, tout est plus simple, le pouvoir absolu s’appelle RTS, la cotisation est obligatoire et la pensée unique. C’est une question de cohésion nationale.