Joey Starr, semblant appeler à la formation d’un peloton d’exécution contre le candidat Reconquête ! 

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Peggy Sastre – Joey Starr contre Zemmour

CHRONIQUE. Le post Instagram provocateur de l’artiste contre le candidat d'extrême droite pourrait, au-delà de la polémique, déclencher la violence.

Par Peggy Sastre

Publié le 18/02/2022 à 11h54 - Modifié le 18/02/2022 à 17h02

C'est encore une histoire d'œuf et de poule. Est-ce que la violence des discours entraîne des actes violents ou est-ce que l'agressivité verbale ambiante – par exemple, lors d'une campagne électorale et, toujours au hasard, lors d'une présidentielle – n'est finalement rien d'autre que le simple reflet d'une société ayant du mal à tenir ses nerfs ? La question se pose à l'heure où l'équipe d'Éric Zemmour – loin de mériter la palme de la cordialité – vient de « dénicher » – la publication a trois jours – un post Instagram de Joey Starr – un artiste pas des plus finauds – semblant appeler à la formation d'un peloton d'exécution contre le candidat Reconquête ! sans autre forme de procès.

« Fais preuve d'amour, shoote Zemmour », peut-on ainsi lire sur la photo postée lundi, jour de la Saint-Valentin, et qui a tout l'air d'être celle d'une porte taguée dudit message. Jeudi, branle-bas de combat chez les zemmouriens. La première salve est partie de Damien Rieu, cofondateur de feu Génération identitaire – le groupuscule d'extrême droite a été dissous l'an dernier – et passé chez Zemmour en janvier après avoir milité au Rassemblement national. « Attention [en smiley], le rappeur Joey Starr [en hashtag] appelle à tuer Éric Zemmour [en mention] sur son compte Instagram », a-t-il vaillamment posté à 9 h 17 pour enflammer la Toile, comme on dit chez les vieux routiers des autoroutes de l'information, une bonne partie de la journée subséquente.

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La question, donc, n'est pas de savoir si Joey Starr en a vraiment appelé à tuer Zemmour, mais si ce genre de départ en sucette de la parole publique a de quoi légitimement nous faire grelotter dans nos slips quant au retour imminent des heures les plus sombres et du bruit de bottes qui va avec (ou, plus précisément, des bottes à clous des adversaires politiques qui se tabassent dans les rues).

Des paroles aux actes

Si j'ai été la première étonnée, la littérature scientifique semble assez avare sur ce sujet. Sans doute parce qu'il faut se lever de bonne heure pour concevoir un dispositif méthodologique capable d'attester avec un minimum d'ambiguïté un lien causal entre paroles et actes, a fortiori au niveau d'une société, et qu'importe que notre sens commun nous hurle que cela va de soi. Mais, en grattant, on trouve quand même des trucs intéressants. Comme cette étude de février 2020 du British Journal of Political Science portant sur « l'effet Trump » ou le fait que les préjugés anti-hispaniques d'une partie de la population américaine ont été proprement enhardis par la rhétorique « décomplexée » (les chercheurs parlent d'un « discours racialement incendiaire ») de Donald Trump lors de sa campagne de 2016 – comme lorsqu'il avait accusé les Mexicains d'être des violeurs, des criminels et des trafiquants de drogue. En d'autres termes, que des gens qui auraient autrement réprimé ou dissimulé leurs préjugés se sont sentis autorisés à les exprimer parce qu'ils ont vu une personnalité publique, et non des moindres, en exprimer de similaires.

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Il est là, le truc : ce n'est pas n'importe quel discours violent qui est à même de galvaniser des actes violents, mais surtout celui de l'élite. L'humain étant une espèce hiérarchique, la force d'inspiration et de légitimation n'est pas distribuée de manière égale entre tous nos congénères et un comportement aura d'autant plus de chances d'être imité, et de manière massive, que c'est un primate au statut élevé – comme l'était Trump en 2016 – qui l'étale sous nos yeux et dans nos oreilles.

Une logique que confirme, et de manière encore plus préoccupante, une étude du Journal of Service Research d'avril 2021 établissant une corrélation positive entre violence de la rhétorique politique et fusillades aux États-Unis entre 1965 et 2018, et ce, d'autant plus lorsqu'il y a des inégalités sociales dans les parages – un facteur de pourrissement de l'ordre public documenté, pour le coup, en long, en large et en travers. Si cette étude ne permet pas d'établir de relation causale, elle indique cependant qu'un discours politique agressif, tel qu'en rend compte la presse, a de quoi « légitimer le recours à la violence dans l'esprit de ceux qui sont vulnérables à une telle rhétorique ». Ou, pour le dire autrement, que la violence d'un discours n'est sans doute pas capable de générer des actes violents chez ceux qui n'y sont pas déjà disposés par leur tempérament, mais que, chez les esprits les plus « fragiles » (ou les plus teigneux), elle devient la proverbiale huile que l'on jette sur le feu. Ce qu'atteste cette étude de Nathan Kalmoe en 2014, chercheur en communication politique à l'université de Louisiane : les métaphores politiques agressives exacerbent les envies de violence politique chez les individus ayant, à la base, une personnalité agressive.

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D'où le danger réel d'une escalade comme celle que peut générer la « polémique » – qui ne vient pas du grec πολεμικός par hasard, l'adjectif signifiant disposé à la guerre – Joey Starr-Zemmour. Un danger que cerne cette passionnante publication de l'école de gestion de l'université de Toronto montrant que les expressions politiques les plus violentes dégoûtent non seulement les modérés, les fameux indécis qui auraient pu se rallier à la cause, mais qu'elles radicalisent par la même occasion leurs opposants. Que la violence fait naître la violence, que le conflit génère le conflit. Et que, lorsque « le centre ne tient plus », comme disait le poète, un boulevard est grand ouvert pour que des débiles assoiffés de sang affluent de tous côtés.

 

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