Relire 1984 de George Orwell en temps d’épidémie

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Par Francis Richard.

En fin d’année 2020, les éditions Gallimard ont eu la bonne idée de publier des œuvres de George Orwell dans leur célèbre Bibliothèque de la Pléiade.

Parmi les œuvres de ce volume, il y a Hommage à la Catalogne (et aux anarchistes persécutés par les communistes), et La Ferme des Animaux. C’est dans ce roman-ci que George Orwell a écrit cette phrase sublime et profonde :

Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que les autres…

Relire 1984 en temps d’épidémie de Covid-19 incline le lecteur à la tentation de l’appeler dorénavant Covid-1984… en hommage à l’écrivain britannique.

La covid-1984

En effet, au-delà du récit romanesque, dont le héros est Winston Smith, se concrétise dans ce roman La Tentation totalitaire que décrivit Jean-François Revel en son temps (1976), et qui semble séduire aujourd’hui les États occidentaux, profonds ou pas.

Dans le socialisme anglais – Socang – décrit par George Orwell, il existe trois catégories de personnes : les membres du Parti intérieur, ceux du Parti extérieur et les prolétos, c’est-à-dire les prolétaires (85 % de la population).

Dans cette société collectiviste et hiérarchisée, seuls les prolétos et les animaux sont libres, parce qu’ils sont sans importance, maintenus qu’ils sont par le Parti dans l’ignorance et la pauvreté :

L’inégalité économique a été rendue permanente.

Pour être bien sûr que le progrès technologique ne puisse pas leur être bénéfique, les trois super-États qui se partagent le monde se font la guerre en permanence ou prétendent se la faire.

(le lecteur fera inévitablement un rapprochement avec la guerre permanente menée contre un virus qui a la bonne idée de ne pas être visible)

Expropriation et surveillance

Il s’agit bien d’un monde socialiste puisque les usines, les mines, les terres, les maisons, les transports ont été enlevés des mains des capitalistes et relèvent désormais de la propriété publique.

(certes ce but n’a pas encore été atteint dans nos sociétés occidentales, mais c’est bien l’objectif que se sont donné les États, qui le réalisent peu à peu par les impôts et les réglementations)

Au contraire des prolétos, les membres du Parti sont surveillés de manière permanente par télécrans chez eux et en dehors de chez eux par micros. Ce qu’aucun gouvernement n’avait fait jusque-là, le Parti l’a donc fait.

(il est possible de surveiller tout le monde en Occident grâce aux téléphones mobiles et aux réseaux sociaux…)

En même temps

De ses membres, le Parti, cette oligarchie collective, exige qu’ils accordent les contraires pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. Ces contraires se résument en trois mots : dangerdélit, noirblanc et doublepense, qui est le plus important :

Doublepense désigne la capacité d’avoir dans le même esprit en même temps deux convictions antithétiques et de les accepter l’une l’autre.

(le lecteur reconnaîtra le en même temps cher à Emmanuel Macron)

La structure du pouvoir reflète cette vision du monde et de mode de vie : le ministère de la Paix s’occupe de la guerre ; le ministère de la Vérité, des mensonges ; le ministère de l’Amour est chargé de la torture ; et celui de l’Abondance, de la famine.

(en temps d’épidémie nos ministères de la Vérité traquent les fake news dont ils sont – doublepense – les principaux producteurs…)

Lavage de cerveau dans 1984

La personnification du Parti, c’est le Grand-Frère, qui, tel Dieu, vous surveille – Big Brother is watching you. Il vous est impossible de le haïr, vous ne pouvez que l’aimer, sinon vous êtes un fou qu’il faut guérir de sa maladie mentale :

Nous allons vous vider de ce que vous êtes, puis nous vous emplirons de nous-mêmes.

Car la réalité existe dans l’esprit humain, nulle part ailleurs. Elle n’est pas dans l’esprit d’un individu, qui peut se tromper, et en tout cas est voué à périr, mais dans l’esprit du Parti, qui est collectif et immortel.

(Emmanuel Macron a déclaré le 14 octobre 2020 : Nous sommes en train de réapprendre à devenir une nation. On s’était progressivement habitués à être une société d’hommes libres, nous sommes une nation de citoyens solidaires.)

L’ivresse du pouvoir

Dans le roman de George Orwell, un membre éminent du Parti explique à Winston Smith que le bien des autres ne nous intéresse pas ; seul nous intéresse le pouvoir. Voyant qu’il faut mettre les points sur les i, il ajoute :

Vous devez d’abord comprendre que le pouvoir est collectif. L’individu n’a de pouvoir que dans la mesure où il cesse d’être un individu.

Il reconnaît même que le pouvoir réside dans la capacité d’infliger souffrance et humiliation… et que la raison [est] affaire de statistiques…

(les réprimés de tous les pays au nom de l’épidémie l’ont compris et le Grand Frère aurait été ravi par les litanies de chiffres égrenés chaque soir dans les journaux télévisés…)

La novlangue ou néoparler

Dans le roman de George Orwell, les gens ne lisent plus. Comme on dirait aujourd’hui, ce n’est pas essentiel. Ce qui importe au Parti, c’est qu’ils ne pensent pas et le meilleur moyen est encore de s’attaquer à la langue.

Dans un appendice, l’auteur approfondit le concept. S’il ne fallait retenir que deux aspects de cette langue nouvelle destinée à abêtir les individus, ce serait que les mots y sont abrégés et que le vocabulaire y est réduit :

On comprit qu’en abrégeant ainsi un mot, on restreignait et on altérait subtilement son sens, le dépouillant de la plupart des connotations qui dans sa forme complète, lui seraient restées attachées.

Moins on disposait de mots, moins on était tenté de penser.

 

  • George Orwell,1984, 288 pages, Bibliothèque de La Pléiade (traduction de Philippe Jaworski)

Exemplaire dans lequel j’ai lu ce livre il y a… très longtemps.

Sur le web

Un article publié initialement le 22 janvier 2021.

 

Extrait de: Source et auteur

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3 commentaires

  1. Posté par kandel le

    “On ne commande pas aux âmes comme aux langues”, affirme Spinoza. C’est le langage qui définit une société et crée la cohésion au sein d’un peuple. Contrôler le langage est l’apanage de l’État, que ce soit un État créé dans un but utopique, démocratique ou totalitaire car le langage permet d’avoir accès au logos du peuple, et ainsi commander leurs « âmes ». Dans les Histoires florentines, Machiavel relève comment pour conditionner l’homme, toute politique doit nécessairement passer par la logique, en se tissant par le biais du langage. Continuant la même idée, Hobbes affirme que l’humain peut facilement être assujetti par un système langagier qui amalgame la peur et l’orgueil. Ainsi si l’État créé une situation de frayeur et de fierté simultanées, il créé en même temps un peuple obéissant qui de lui-même serait prêt à renoncer à ses droits pourvu qu’il ait l’impression, fausse certes, d’être en train de faire ou encore de dire ce qu’il faut.

  2. Posté par kandel le

    “Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde” (Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus)

  3. Posté par kandel le

    Comme l’a écrit George Orwell (1984): « … si la pensée peut corrompre le langage, le langage peut aussi corrompre la pensée ».

Et vous, qu'en pensez vous ?

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