Génération connards

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De la spécificité du jeune con contemporain, victime de la pédadémagogie...

Le 12 octobre, dans le cadre de la « pop philosophie » [1] à Marseille, le théâtre de la Criée organisait une conférence sur le thème « Que faire des cons ? » 

Le cycle avait commencé la veille avec pour thème « Psychologie de la connerie en politique » : y était invitée Najat Vallaud-Belkacem, experte reconnue en la matière… Il se continuait ce jour-là, en présence d’Alain Léauthier, l’un des piliers de Marianne et Marseillais d’origine. Et de Maxime Rovère (auteur de Que faire des cons ? chez Flammarion), qui a un peu imprudemment affirmé que « le problème n’est pas la connerie, ce sont les cons ». Erreur fatale, atomisation du problème — chacun ayant en tête l’inévitable tonton des repas de famille qui en sort de raides, ou le pilier de bistro rencontré la veille et dont les « brèves » ne valent pas celles recensées jadis par Jean-Marie Gourio.

Heureusement qu’Isabelle Barbéris, maître de conférences en Arts de la scène qui depuis quelques années subit les attaques des connards des deux sexes, a bien expliqué que le problème ce ne sont pas les cons — nous le sommes tous de temps en temps, il y a même une jouissance à être con, parfois, c’est un spectacle que l’on se donne — mais bien la connerie, la Bêtise à front de taureau vilipendée jadis par Flaubert, la crétinerie comme l’un des Beaux-Arts, le voile gris qui s’étend peu à peu sur la France en particulier et le monde occidental en général. Et qui passe désormais surtout par la jeunesse.

La doxa n’est plus ce qui émanait des castes supérieures, elle provient désormais de la lie de l’humanité, condensée dans sa jeunesse.
La censure vient d’en bas

Car ce que les conférenciers ont en grande partie raté, en passant à l’entracte l’immortelle chanson de Brassens (« Quand on est con, on est con ») où le baladin met face à face les « petits cons d’la dernière averse » et les « vieux cons des neiges d’antan », c’est la spécificité du jeune con contemporain.

Un ingénieux système éducatif visant à fabriquer des Uber-esclaves en grande quantité, tout en leur faisant croire qu’ils sont des individus autonomes et glorieux, est parvenu à ses fins au milieu des années 2000.
Commencée en 1960-1970 à l’initiative des européanistes groupés chez nous autour de Jean Monnet et Giscard, relayée par René Haby, la descente à l’abîme de l’École jadis républicaine a enfanté la réforme Jospin (1989), les IUFM (1991), le Protocole de Lisbonne (1999-2000) et les « compétences » mises devant les savoirs (2003), qui ne sont en aucune manière des causes de la crétinerie ambiante, mais la résultante d’un plan concerté, aujourd’hui parvenu à ses fins.
On a formaté une génération, qui a aujourd’hui entre 12 et 20 ans, de crétins définitifs persuadés d’avoir toujours raison et d’être beaux et aimables.

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Les réseaux sociaux, en offrant la parole à des jeunes qui n’avaient rien à dire, en leur permettant de mettre en ligne en deux clics la vidéo qui témoigne de leur nullité agressive, ont accentué le phénomène. Que des enseignants aient cru bon d’utiliser Facebook pour réécrire Marivaux ou la Princesse de Clèves donne une idée de la pédadémagogie célébrée par le corps des Inspecteurs recrutés sur la base de leur allégeance à la pensée pédagogiste.
Cela donne aussi une idée de la profondeur de leur bêtise, puisque ces gens prétendus de gauche ne veulent pas voir qu’ils confortent ainsi la marchandisation généralisée, l’aliénation des esprits, et l’encroûtement des classes défavorisées dans l’acculturation.
À noter qu’ils s’en fichent, leurs propres enfants sont à l’abri dans les « bons » établissements scolaires — privés, souvent — étant entendu que ces salopards à bonne conscience vilipendent « l’école à deux niveaux » mais savent l’utiliser quand ils y trouvent un avantage.

Les six mois de pause scolaire, obtenus par des syndicats enseignants qui préfèrent l’école sans élèves et une institution sanitaire avide de pouvoir, ne leur ont pas fait de bien. Les enseignants témoignent aujourd’hui d’élèves bornés, prétentieux, narcissiques, ou tout bonnement incapables de rester assis. Quant à s’abstraire une heure de leur portable, il ne faut pas rêver.

Cette génération prête à s’exclamer « ok boomer ! » dès qu’un adulte a raison a développé des caractéristiques physiques de couch potatoes, comme disent les Anglais.
Pour les filles, longs cheveux défrisés, teints en noir et séparés par une raie médiane, push-up exhibant la pudeur musulmane, et popotin gonflé à l’hélium — le style Kardashian avec une option cellulite. Et pour les garçons, tempes rasées très haut, semi-barbe quand ils ont quatre poils, tatouages de joueur de foot ou de porn star, sourcils froncés de rappeurs bègues. Pour tous, la certitude d’être beaux et intelligents — la marque de fabrique du connard.

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Ils sont odieux, mais ils ont appris trois maîtres-mots : HPI, Haut Potentiel Intellectuel, ou EIP, Enfant Intellectuellement Précoce : les deux étiquettes, brandies bien haut par leurs parents, sont censées excuser leur inadaptation scolaire et poser un doute sur leur statut de cancres ; et bi-polaire, épithète employée pour justifier le fait qu’ils sont cancres et chiants.

Car c’est au niveau intellectuel (un mot très excessif en ce qui les concerne) que les dégâts sont les plus nets. Suffisance et insuffisances, inculture abyssale, méconnaissance de tout ce qui est antérieur à leur naissance, mépris de tout ce qui n’est pas eux — et aliénation totale vis-à-vis des produits obsolescents qu’on leur impose et qu’ils croient choisir. Ajoutez à cela l’option cannabis, et le panorama sera presque complet.

Ce tableau n’est pas seulement celui du jeune acculturé de banlieue. Il est aussi celui des pseudo-élites de demain.
Manipulés par des sociologues qui trouvent là de quoi étayer leurs théories fumeuses et défouler leur libido, ils ont des jugements définitifs sur ce qu’il convient de penser.
Et rien de plus conforme que ces rebelles de carton-pâte, ces féministes qui subodorent des violeurs dans tout homme encore un peu mâle, ces pseudo-transsexuels qui affectent d’être autres pour se dispenser d’être eux-mêmes, ces révoltés à deux balles.

En janvier 2020, évoquant, à propos de Zola, le film de Polanski, J’accuse, qui venait de sortir, dans une hypokhâgne bondée d’un public essentiellement féminin, j’eus l’imprudence — et l’impudence, apparemment — de dire mon admiration devant un scénario qui, sous une apparence quelque peu académique, explorait avec agilité les méandres de « l’Affaire ». Immédiatement un chœur de jeunes hystériques, qui avait peut-être lu ce que j’en avais écrit deux mois auparavant, m’expliqua que Polanski était un monstre, qui avait sodomisé, ajoutèrent-elles d’un air rêveur, une pure jeune fille encore mineure.

J’eus beau expliquer que la question avait été résolue devant un tribunal américain, que la victime demandait instamment l’arrêt des poursuites, relancées par un procureur avide de notoriété, et revendiquait son droit à l’oubli, et qu’en tout état de cause Polanski, citoyen français, bénéficiait de la prescription des éventuelles poursuites, 50 ans après les faits, et n’était de toute façon pas extradable, rien n’y fit : c’était pour elle un crime contre l’humanité, imprescriptible et déterritorialisé — elles réécrivent le Droit comme ça les arrange. Et le lendemain, des affiches fleurirent dans le lycée, avec cette inscription glorieuse : « Polanski violeur, Brighelli complice. »
Quelques jours plus tard, elles défilèrent pour la Journée de la femme, et contribuèrent, comme leurs homologues espagnoles, à diffuser le Covid — dont elles me souhaitèrent de crever, deux semaines plus tard, dans l’anonymat des réseaux sociaux.

Cela ne m’empêcha pas de leur livrer par correspondance, pendant cinq mois de confinement, des cours aussi complets que possible.

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Le journalisme est l’un des secteurs où la connardise et le conflit des générations sont les plus criants.
Les jeunes ne rient pas aux plaisanteries des anciens : ils les trouvent sexistes et racistes. D’ailleurs, ils rient peu, ils ont le sérieux des missionnaires.
Ils se sentent de gauche, quoiqu’ils aspirent à remplir leur portefeuille — ne pas être plein aux as est à leurs yeux un défaut rédhibitoire.
Alors ils opèrent une censure préalable, et s’indignent que l’on ose proposer un article sur le racisme des « racisés » ou sur la traite saharienne, bien plus longue et plus mortelle que la traite atlantique. « Arguments de la fachosphère ! » s’écrient ces bonnes consciences.
Il est des canards — l’Obs ou le Monde — où l’opposition des styles a poussé les plus anciens à la démission. À Libé, la rédaction est presque totalement épurée, comme le racontait récemment le Figaro : « Dans des rédactions comme L’Obs, Libération et Le Monde, engagées dans la protection des droits des minorités, une partie des journalistes s’inquiètent du conflit latent entre le courant multiculturaliste et la notion d’universalisme républicain.
Ce dernier incarnant une conception de la citoyenneté centrée sur l’individu en tant que membre de la collectivité nationale, indépendamment de toute communauté d’appartenance.
« Au quotidien, on ne rit plus des mêmes choses, on ne s’indigne plus des mêmes choses », lance un journaliste de L’Obs.
La nouvelle génération issue du web et des réseaux sociaux est jugée plus décomplexée sur ses engagements politiques et sociétaux.

« Ils ont une tendance à prôner le politiquement correct, avec en tête cette peur de banaliser des idées dangereuses », abonde le journaliste. »

Dangereuses ? La Bêtise fait de son mieux pour se protéger. Elle lance des interdits sur tout ce qui lui paraît inintelligible parce que c’est intelligent. Ainsi prospère la connardise.

Et c’est parti pour durer : après tout, les plus convaincus ont vingt ans tout au plus, ils sont là encore pour un demi-siècle.
Une chape de plomb tombe sur l’esprit français — et sur la République, car leur idée de la démocratie se résume à faire taire ou à mépriser tout ce qui n’est pas eux. Le « woke » a été inventé pour eux.

Le crétinisme avancé a touché tous les milieux, ce n’est plus une question de rapport de classes, mais un affrontement de générations. La doxa n’est plus ce qui émanait des castes supérieures, elle provient désormais de la lie de l’humanité, condensée dans sa jeunesse. La censure vient d’en bas.

Bien sûr, ça a toujours existé. « T’es plus dans l’coup, papa », chantait Sheila. Mais les gosses identifiés aux « yéyés » passaient pour des imbéciles, et ils étaient une poignée. Les générations Z et au-delà sont peuplées de demeurés — et leur nom est légion.

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