Par Gérard-Michel Thermeau.
Les présidents américains sont désormais sur la sellette. La municipalité new-yorkaise a voté l’éjection de sa salle de réunion de la statue de Thomas Jefferson. En effet, le troisième président des États-Unis « représente certaines des pages les plus honteuses de la longue et nuancée histoire » des États-Unis. La formulation est rigolote car cette décision ne témoigne guère du moindre sens de la nuance. Enfin si, car ce n’est pas le président qui est envoyé au musée c’est l’esclavagiste. Voilà une façon bien commode de se débarrasser d’un passé esclavagiste.
Et après Jefferson, à qui le tour ?
En effet, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? L’heure de Washington ne saurait tarder à sonner. Il paraît nécessaire, voire urgent, de débaptiser la capitale de l’Union. Peut-on admettre qu’elle porte le nom de George Washington, esclavagiste notoire, tache indélébile à n’en pas douter pour la « longue et nuancée histoire » américaine ? Pour un nom de remplacement, le choix ne manque pas, mais je laisse à l’imagination créatrice de notre belle époque le soin d’y suppléer. Il faudra aussi songer à faire disparaître des billets verts une figure aussi répugnante. Il est vrai que l’argent liquide n’en a peut-être plus pour très longtemps.
Bon, il va falloir ensuite sérieusement s’occuper de la galerie des portraits présidentiels à la Maison Blanche. J’espère que l’on va décrocher tous les « mauvais présidents ».
Mais qui sont-ils me direz-vous ?
Tenons un peu la liste. J’ai préparé le travail pour les actifs censeurs du passé de notre merveilleuse époque.
Les présidents fondateurs : un sur six à conserver
George Washington : un esclavagiste. À éliminer d’office.
John Adams : un salaud qui considérait que les « riches, les bien-nés et les capables » devaient avoir une place à part dans les assemblées. À éliminer.
Thomas Jefferson : francophile et esclavagiste. Deux tares fâcheuses. À éliminer d’office.
James Madison : un belliciste. À éliminer.
James Monroe : auteur d’une Doctrine qui a justifié l’impérialisme yankee sur l’hémisphère occidental. À éliminer.
John Quincy Adams : il était opposé à l’esclavage. On le garde à tout hasard.
Les présidents américains d’avant la guerre civile : rien à garder
Andrew Jackson : exterminateur d’Amérindiens et esclavagiste. À éliminer sans hésiter.
Martin Van Buren : anti-esclavagiste mais exterminateur des Cherokee. À éliminer quand même.
William Henry Harrison : esclavagiste, et de toute façon mort au bout d’un mois. Autant l’éliminer.
John Tyler : esclavagiste. Il est par ailleurs inconnu, il ne manquera donc à personne.
James Polk : un salaud qui a privé les Mexicains de la moitié de leur territoire. À éliminer.
Zachary Taylor : un esclavagiste. À éliminer.
Millard Fillmore : un salaud qui traquait les esclaves fugitifs. À éliminer sans hésiter.
Franklin Pierce : encore un esclavagiste, décidément ils le sont tous. À éliminer.
James Buchanan : un incapable face à la question de l’esclavage. À éliminer.
Les présidents de la guerre civile à la Grande guerre : on en garde davantage (provisoirement)
Abraham Lincoln : bon, il a aboli l’esclavage mais c’était un méchant « raciste ». Et peut-on lui pardonner d’avoir créé le parti républicain ? En sursis provisoire.
Andrew Johnson : c’est un sudiste, une bonne raison pour l’éliminer.
Ulysses S. Grant : un brave type mais, bon, que de corrompus autour de lui. En sursis provisoire.
Rutherford B. Hayes : il a laissé les mains libres aux sudistes. À éliminer.
James A. Garfield : assassiné au bout de six mois. En sursis provisoire.
Chester A. Arthur : il a empêché l’intégration des Chinois. À éliminer.
Grover Cleveland : il a fait tirer sur les ouvriers et permis la ségrégation dans le Sud. À éliminer.
Benjamin Harrison : on ne sait pas trop qui c’est mais il s’est soucié des Noirs. À garder.
William McKinley : un impérialiste mettant la main sur Cuba et les Philippines. À éliminer.
Théodore Roosevelt : il aimait les nounours et a créé les parcs naturels. D’un autre côté, gros chasseur et fichu impérialiste quand même. En sursis provisoire.
William H. Taft : encore un impérialiste. À éliminer.
Les présidents des guerres du XXe siècle : les saints et les autres
Woodrow Wilson : hum, a donné le droit de vote aux femmes mais gros admirateur de Naissance d’une Nation. Pacifiste mais intervenant dans la Grande guerre. À discuter.
Warren Harding : il avait peut-être un ancêtre noir (bon point) mais il a restreint l’immigration (mauvais point). Beaucoup de corruption sous son mandat. À discuter.
Calvin Coolidge : pas de préjugé à l’égard des gens de couleur, d’accord, mais c’était quand même pas un progressiste. À discuter.
Herbert Hoover : trop nul, à éliminer.
Franklin Delano Roosevelt : partisan de l’État providence, a renforcé le présidentialisme. Un saint donc. À conserver obligatoirement.
Harry Truman : Hiroshima, Nagasaki, anticommunisme, maccarthysme. Pas bien tout ça. À éliminer.
Dwight D. Eisenhower : Un brave type comme Grant, dommage qu’il soit de droite. On garde pour le moment.
John Fitzgerald Kennedy : encore un saint. À conserver.
Lyndon B. Johnson : État providence et lutte contre la ségrégation (bon point) mais guerre du Vietnam (mauvais point). En sursis.
Richard Nixon : à éliminer, ça ne se discute même pas.
Gerald Ford : attention de ne pas se prendre les pieds dans le tapis en le décrochant.
Jimmy Carter : nul mais dans le bon camp.
Ronald Reagan : on ne peut pas encore y toucher mais ça viendra.
George Bush : on le garde pour le moment pour mieux éliminer son fiston.
Bill Clinton : le champion des scandales mais il est dans le camp du bien. En sursis.
Les derniers présidents américains en date : un saint et deux diablotins
George W. Bush : à éliminer bien sûr.
Barack Obama : encore un saint. Intouchable.
Donald Trump : inutile même d’en parler.
Voilà, voilà, de cette façon « la longue et nuancée histoire » se trouve magnifiquement éclaircie et singulièrement simplifiée. D’abord 46 présidents c’est beaucoup trop. Comment voulez-vous tous les retenir ?
Et puis, promis juré, je prépare le même travail pour les chefs d’État français mais là ça va être du boulot, surtout si on commence à Clovis.
Enfin, il faut ce qu’il faut. Nous avons aussi, une histoire longue et nuancée qui n’attend qu’un bon nettoyage idéologique.
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