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Version papier: "Pas de féminisme sans révolution"

Version online: Le féminisme sera révolutionnaire ou ne sera pas

Dans le cadre du cycle Penser l’émancipation, la sociologue et militante féministe Aurore Koechlin sera à Genève mercredi pour évoquer la quatrième vague féministe.
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Féminisme

Doctorante en sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, la militante féministe Aurore Koechlin travaille sur la gynécologie médicale en France. Mercredi soir1, elle évoquera à Genève son livre La révolution féministe, qui propose une stratégie conjuguant la lutte des classes au combat pour l’égalité des genres.

Le féminisme est révolutionnaire ou n’est pas, soutient votre livre. Qu’entendez-vous par révolution ? Quel apport le marxisme critique peut-il offrir au féminisme et en quoi seule l’articulation des deux vous semble-t-elle à même de renverser le capitalisme ?

Le féminisme sera révolutionnaire ou ne sera pas 1

Aurore Koechlin: Dans mon livre, je montre que la domination des femmes et des minorités de genre n’est pas un accident historique, le reliquat d’un ordre ancien, en un mot que le système capitaliste n’est pas aveugle au genre. Si cette domination existe, dans toutes ses dimensions y compris symboliques, culturelles, etc., c’est qu’elle a une base économique, en l’occurrence, l’assignation au travail reproductif, c’est-à-dire au soin d’autrui, à la reproduction de la force de travail, dans un triple espace (domestique, dans les services publics, sur le marché). Je montre également qu’il est impossible d’isoler la domination de genre de celles de classe et de race: le plus souvent, ce sont les femmes des classes populaires et/ou racisées qui accomplissent ce travail reproductif.

Dès lors, à partir de ces deux analyses, il me semble impossible de défendre un changement progressif du statut des femmes et des minorités de genre dans nos sociétés contemporaines: seule une réorganisation de la reproduction (et de la production, car les deux sont de plus en plus liés, le travail reproductif se déployant de plus en plus sur le marché) et un renversement des structures sociales qui les sous-tendent permettront de mettre fin à la domination. C’est cela que j’appelle «révolution». Mais loin des images d’une violence anti-démocratique qui ont été associées au terme pour diaboliser toute idée de révolution, je souligne combien une analyse structurelle ne peut que mener à ce constat: si on pense que la domination est au coeur de notre organisation sociale, alors il faut changer cette organisation pour y mettre fin.

Concernant les apports du marxisme critique, ils me semblent principalement de deux ordres. Le premier est l’analyse qu’il offre du fonctionnement capitaliste et de ses mutations contemporaines : nous ne pouvons penser la domination des femmes et des minorités de genre hors du mode de production actuel. Le deuxième est d’ordre moins analytique que politique : le marxisme, en lien avec le mouvement ouvrier, a toujours mis en son centre la question de la stratégie pour parvenir à abolir la société de classes.

Pour un ensemble de raisons, y compris suite à une rupture partielle avec le mouvement ouvrier pendant les années 1970, le mouvement féministe a pu avoir tendance à effacer la question stratégique. Au contraire, alors que des mobilisations féministes d’ampleur reprennent à une échelle internationale, il semble urgent de savoir quels moyens pour quels objectifs se dote ce mouvement. Enfin, pour conclure, si le féminisme a besoin du marxisme critique, inversement, il faut souligner combien le marxisme critique a également besoin du féminisme : il est impossible d’avoir une analyse du capitalisme contemporain et une stratégie pour en sortir en effaçant la centralité de la reproduction sociale ou du genre.

A contre-courant de la pensée qui privilégie la mise en place de tactiques, vous mettez l’accent sur l’importance de construire une stratégie féministe révolutionnaire. Pouvez-vous nous la présenter brièvement ?

Une partie importante du mouvement féministe veut mettre fin à la domination des femmes et des minorités de genre, mais trop souvent fixe ses objectifs à un niveau individuel ou inter-individuel : il va s’agir par exemple d’essayer de changer les individus un par un, que ce soit soi-même en trouvant des espaces où on espère s’extraire de la domination, ou que ce soit les autres en les poussant à déconstruire leur langage et leurs comportements. Ces moyens sont utiles, mais ils tendent à devenir des fins en eux-mêmes. Si nous faisons l’analyse que la domination se situe à une échelle structurelle, celle de la société dans son ensemble, alors nous avons besoin de moyens à une échelle elle-même structurelle.

«Le mouvement féministe ne pourra être victorieux que s’il s’allie avec l’ensemble du mouvement social» Aurore Koechlin

Dès lors, dans la lignée de l’appel international de Ni Una Menos à la grève féministe le 8 mars, un élément essentiel de notre stratégie est la construction de cette grève. Si le centre de la domination se situe dans le travail (rémunéré et non rémunéré), alors la grève est notre meilleure arme. Elle permet de visibiliser la centralité du travail reproductif, de paralyser le fonctionnement « normal » de la société et de libérer du temps pour la politique. Mais la grève seule ne suffit pas : il faut également mettre en place des cadres d’auto-organisation de cette dernière (assemblées locales, coordinations des assemblées), afin d’en garantir la gestion démocratique, mais aussi pour que s’y développe des revendications collectives.

Enfin, un troisième élément de cette stratégie consiste à reprendre un mot d’ordre fréquent dans le milieu militant, celui de la convergence des luttes. Le mouvement féministe ne pourra être victorieux que s’il s’allie avec l’ensemble du mouvement social : cela découle de notre analyse même de la domination de genre, qui ne peut être coupée de celles de classe et de race. Mais il y a également des raisons stratégiques : on ne peut penser paralyser la reproduction sans paralyser aussi la production. En outre, certains secteurs stratégiques se situent au niveau de la production, et nous ne pouvons en faire l’économie. Mais il faut bien rappeler ce que nous entendons par convergence des luttes : il ne s’agit pas pour le mouvement féministe de converger derrière d’autres mouvements, mais bien qu’ils convergent ensemble et à égalité.

Vous questionnez doublement le féminisme actuel, en montrant à la fois les limites du courant «réformiste» mais aussi celles de l’intersectionnalité. Expliquez-nous pourquoi cette deuxième tendance -telle qu’elle est comprise communément- vous semble soumise à une impasse ?

Dans mon livre, j’ai utilisé le terme de stratégie intersectionnelle pour désigner une des stratégies qui me semblait dans l’impasse au sein du mouvement féministe. J’avais déjà pris garde de souligner qu’il s’agissait d’une critique d’une certaine déformation de l’intersectionnalité originelle plus que de la pensée intersectionnelle en tant que telle. Aujourd’hui, alors que l’intersectionnalité est attaquée en France par le ministre de l’Éducation nationale et par la ministre de l’Enseignement supérieur, reprenant à leur compte la rhétorique de l’extrême-droite et voulant mettre sous tutelle la liberté académique, il me semble important de se réclamer de l’intersectionnalité. Je n’utiliserais donc plus forcément ce terme si je devais écrire aujourd’hui mon livre.

Néanmoins, la critique me semble toujours pertinente. Alors que l’intersectionnalité est héritière du black feminism, lui-même se revendiquant d’une démarche matérialiste, voire marxiste, avec une grande attention aux structures et à la question des classes, la transposition militante de l’intersectionnalité s’est faite à un niveau essentiellement individuel, en termes d’identité. Cela a eu plusieurs conséquences: d’essentialiser les positions sociales, de s’attaquer aux individus plutôt qu’aux structures sans voir que les premier·e·s sont pour partie le reflet des secondes, de penser en termes de « privilèges » plutôt que d’intérêts matériels, etc. En France, cela a eu des effets très concrets: nombreux collectifs féministes et espaces communautaires ont implosé sous la pression d’un objectif de déconstruction individuelle absolue, et le bilan que j’en tire m’a semblé être assez largement partagé. Il ne s’agit bien sûr pas de dire qu’il ne faudrait en rien déconstruire notre langage et nos pratiques. Ce que je questionne c’est plutôt de fixer cet objectif comme seule perspective et de penser que cela est atteignable quand la société demeure inchangée.

Vous estimez que la 4ème vague féministe provient de l’Amérique latine et qu’elle a été amplifiée par le mouvement Me too plutôt que l’inverse… pouvez-vous nous en dire davantage ?

La périodisation en termes de vagues a pu être critiquée notamment car elle mettait en place une vision très occidentale du mouvement féministe, centrée sur les États-Unis et l’Europe, en oubliant et invisibilisant l’histoire et les luttes des pays non occidentaux. Ce que je trouve précisément intéressant avec la conceptualisation de la quatrième vague, c’est qu’elle échappe à cet écueil. En effet, à chaque étape, c’est l’Amérique latine qui ouvre la voie. C’est le cas tout d’abord d’un point de vue chronologique: ainsi, le mouvement autour de Ni Una Menos contre les féminicides se cristallise en Argentine en 2015, alors que Me Too n’éclate qu’en 2017. Mais c’est aussi le cas autour des enjeux de revendications et de stratégie : la revendication de la fin des violences de genre et la nécessité pour ce faire de construire la grève féministe nous viennent d’Amérique latine. Enfin, c’est dans le succès même des mobilisations que l’Amérique latine a ouvert la voie : ainsi, on peut citer l’incroyable victoire d’avoir réussi à arracher le droit à l’avortement en Argentine.

Vous livrez dans votre ouvrage le bilan de ces 40 dernières années de lutte féministe. Quelles sont les militantes et les penseuses qui vous inspirent ?

Il est difficile de faire un choix ! De façon assez classique mais néanmoins réelle, je ne pourrai pas répondre sans citer Simone de Beauvoir, qui demeure un modèle pour beaucoup de féministes encore aujourd’hui, tant par sa vie et sa littérature que par sa théorie. Difficile également d’oublier Angela Davis, qui a été une des premières penseuses de l’articulation genre/race/classe, une véritable précurseuse, et une personne qui n’a pas eu peur de sacrifier toute sa vie à ses convictions.

Mais j’aimerais aussi mentionner une organisation, le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), car au-delà des figures individuelles, il y a les milliers de militantes anonymes qui sont tout aussi importantes. Dans les années 1970, le MLAC a réalisé en France des avortements pour mettre en échec de facto la loi qui les interdisait. Mais il a également constitué un front entre le mouvement féministe et l’extrême-gauche qui peut toujours servir de modèle aujourd’hui. Il constitue à mes yeux une des meilleures réalisations du féminisme marxiste.

Notes

1. 1Mercredi 1er septembre, 20 h, salle du Théâtre en rond (Théâtre St-Gervais, 5 rue du Temple, 3e étage).

source: https://lecourrier.ch/2021/08/30/le-feminisme-sera-revolutionnaire-ou-ne-sera-pas/

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Un commentaire

  1. Posté par Frederic Ebermann le

    Bof, tout le monde sait bien que Le Courrier est la feuille de chou de l’extrême gauche progressiste genevoise. Rien d’étonnant.

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