Eric Zemmour occupe ses cauchemars. Apprendre que les journalistes de CNews Dimitri Pavlenko, Laurence Ferrari ou Sonia Mabrouk sont annoncés dans la grille de rentrée d’Europe 1 lui donne des boutons. Toute la bonne presse s’émeut de ce que des idées de droite émergent dans l’espace médiatique. Tout en nuances dans cette nouvelle chasse aux sorcières, le journal Libération va jusqu’à évoquer sur sa une un inquiétant “spectre de la bande FN”. Analyse.
Le premier tour des élections départementales et régionales en France a été marqué par une abstention record. Deux tiers des Français ne se sont pas déplacés pour renouveler les majorités de collectivités territoriales dont l’influence sur leur vie quotidienne est pourtant déterminante. Des transports en commun aux lycées et collèges, de la formation professionnelle à l’action sociale et notamment la gestion du RSA, les régions et les départements rythment en effet la vie des Français bien plus sûrement que ne le font les maires ou le gouvernement.
Fatigue démocratique
Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ce désintérêt. La sortie de la crise sanitaire qui incite davantage à lézarder en terrasse ou autour d’un déjeuner familial interminable, les problèmes d’acheminement de la propagande électorale, l’absence de visibilité et de lisibilité de cette élection, l’impossibilité pour les candidats de mener campagne et le manque de communication institutionnelle et dématérialisée censée prendre le relai, etc. Ces facteurs n’ont sans doute pas aidé au succès du scrutin. Mais au-delà, cette abstention semble surtout témoigner d’une intense fatigue démocratique.
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Pour les Anciens comme pour les Modernes, la liberté était intimement liée à la possibilité de s’inscrire dans la vie de la Cité et d’influer sur son destin. Le XXe siècle a profondément bouleversé cette conception en associant la liberté à la limitation de l’influence de la politique sur la vie individuelle. Un bouleversement dont ont profité les élites politiques, économiques et administratives pour faire sécession du peuple, privatiser l’exercice de la politique à travers la réintroduction d’un nouveau « titre à gouverner » – à savoir la capacité à comprendre la complexité et la complétude des enjeux du monde moderne – et lisser jusqu’à les uniformiser les orientations profondes des différentes formations politiques afin de répondre aux exigences posées par ce nouveau monde. Le « détournement de démocratie » orchestré par Nicolas Sarkozy en 2008, en dépit du refus de 2005 de l’établissement d’une constitution pour l’Europe, n’est que l’exemple le plus symbolique de cette crise de la politique.
Pour paraphraser Clemenceau, la politique est ainsi devenue une chose trop sérieuse pour la confier à de simples citoyens et pour permettre à des voix divergentes de dépasser le simple stade d’une contestation-alibi. De cette crise de la politique nait dès lors une fatigue démocratique dont l’abstention est la quintessence. Aujourd’hui, cette crise menace de sortir du champ purement politique et d’atteindre le champ informationnel.
Décompter le temps de parole d’éditorialistes
Certains signes avant-coureurs étaient depuis quelques temps perceptibles, que ce soit la proposition du député Stéphane Séjourné qui visait à décompter le temps de parole de certains polémistes les plus engagés – comprenez Éric Zemmour – ou celle du député M’jid El Guerreb d’obliger les chaines de télévision – comprenez Cnews – à diffuser la condamnation de certains de ses employés lors de leurs prises de parole. Mais voilà que ce sont aujourd’hui les médias eux-mêmes qui mènent la croisade.
En l’espace de quelques semaines, nous avons vu David Pujadas affirmer sur Europe 1 que Cnews, avec Éric Zemmour, « n’était presque plus dans le registre de la chaine info », Laurent Delahousse lors de la soirée électorale de dimanche pointer subrepticement du doigt « une chaine d’information » qui utilise un produit d’information comme un produit de consommation avec pour seul objectif d’alimenter l’audience et de « faire du public », Le Monde et Marianne étriller une « chaine conservatrice » et « une stratégie droitière » lorsque Cnews a dépassé pour la première fois en mai dernier BFM TV, etc. Mais l’attaque la plus frontale est, sans surprise, venue de Libération.
S’appuyant notamment sur un diagramme faisant état de la répartition des invités dans les émissions politiques entre juin 2020 et juin 2021 sur 16 médias qui montrait, il est vrai, une forte proportion des invités de droite radicale, Libération concluait assez benoitement que Cnews était le cheval de Troie de l’extrême-droite dans le monde médiatique et que la chaine d’information en continu participait à la progression de ces idées en France.
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Or l’intérêt de ce diagramme n’est pas tant la place que Cnews accorde aux idées de droite et surtout d’extrême-droite mais dans celle que tous les autres médias leur concèdent. À l’exception de la chaine d’information en continu, la proportion de personnalités issues de ces formations ne tutoie les 35% du total des invités que dans cinq autres médias. Et ce en dépit du fait que la droite est majoritaire au Sénat, qu’elle a largement remporté les élections municipales et qu’elle est en bonne position pour emporter les régionales et départementales ; en dépit de la présence de Marine Le Pen au second tour de la dernière élection présidentielle et de la victoire de son mouvement aux élections européennes ; en dépit surtout de la droitisation de la société française et plus largement des sociétés européennes dont rendent compte pléthores d’études récentes qui placent les thématiques traditionnellement de droite au centre des préoccupations générales.
CNews perturbe le catéchisme chloroformant progressiste et diversitaire
Ainsi, c’est précisément parce que Cnews permet à une offre politique, qui était jusqu’à présent très largement sous-représentée en comparaison de son poids électoral, de s’exprimer et de débattre qu’elle rencontre aujourd’hui le succès qui est le sien. Et c’est parce qu’elle fait vivre toutes les opinions sans les criminaliser a priori que Cnews est aujourd’hui le principal forum en France. Avec une telle qualité d’analyse, il n’est pas étonnant que Libération ne se situe qu’au 7e rang des quotidiens nationaux et qu’il ait perdu, entre décembre 2015 et 2019, 40% de son lectorat papier, soit plus qu’aucun autre quotidien en proportion sur la période.
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Il n’en demeure pas moins que l’offensive que subit la chaine d’information en continu relève d’une tentative d’extension de la logique politique du front républicain au champ informationnel, sous la forme d’un « front déontologique » diffus, dont l’objectif serait de n’accepter l’expression d’une opinion que si celle-ci est à l’état résiduel, sans risquer de lui conférer la même dignité que les autres.
Or, la politique et l’information ne relèvent pas de la même logique, à l’évidence. Si les tentatives d’ostracisation d’un mouvement et de ses candidats peuvent s’inscrire dans une stratégie politique plus ou moins efficace – après tout, les électeurs sont libres de voter en leur âme et conscience – celles d’un rejet d’une opinion par ceux-là mêmes qui sont censés être les garants et les instruments de la démocratie est une faute morale et une trahison de leur fonction première. Elle ne peut qu’amener davantage d’individus à se défier des médias, alors que les côtes de confiance en 2020 étaient respectivement de 52%, 48%, 42% et 28% pour la radio, la presse écrite, les médias télévisés et internet. Elle ne peut que transformer la fatigue démocratique en insurrection électorale. Que Libération se borne à produire un catéchisme chloroformant progressiste et diversitaire, persuadé de détenir le monopole du Bien. Mais qu’il ne se transforme pas en organisme de certification du travail de ses condisciples. Ou alors, que ses journalistes imitent Laurent Joffrin qui, lui, a compris que sa fonction de journaliste était incompatible avec une ambition politique et électorale !
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