April 19, 2021
AFFAIRE GIROUD : 7 ans d'instruction et pas loin de 100'000 francs plus tard, la justice genevoise se décide enfin à jouer l'épilogue de cette affaire absolument capitale pour la République : une plainte pour instigation à tentative de soustraction de données... C'est dire si le jour-amende avec sursis menace.
Tandis que les médias s'apprêtent à fourbir le même laïus, teinté de d'ironie lointaine et d'évitements entendus, la défense se présente au tribunal armée d'un fait nouveau, et pas des moindres.
Cette affaire, qui n'aura eu jusqu'ici d'intérêt que par l'acharnement inquiet qu'elle aura suscité dans la plupart des médias romands, tient, aujourd'hui, celui de celer, au cœur des plusieurs dizaines milliers de page de l'instruction, l'information selon laquelle il n'y avait pas qu'un seul agent du SRC à bord, mais bien trois. Trois sur quatre, dont un pigeon, ce qui est tout de même une proportion. Un taulier, appelons-le "D", entré dans la maison en 2007, responsabilités moyennes, bien noté, appelé à monter, les deux autres, Mannisi et "R", pensionnés à la petite semaine, au gré de la prestation. Mannisi se fait un nom en trahissant ses contacts, "R", l'informaticien, est le calé de la bande. Ce petit monde s'ennuie, le fonctionnaire trouve la paie trop maigre, Mannisi sort de prison pour transmission d'images à caractère zoophile, "R", qui a vendu sa boîte, n'a plus de boulot. Les trois sont mûrs pour se lancer dans le privé, en conduite accompagnée avec le SRC, avant des horizons plus prometteurs. Reste à appâter le chaland, "D" a un gogo tout trouvé. Mannisi, dont c'est le métier, le vendra à la concurrence pour doubler sa mise ; voilà l'affaire Giroud, en peu de mots, du moins pour ceux qui l'ont suivie jusqu'ici.
Lumière nouvelle
Reste que, vendredi dernier, la défense a déposé une pièce totalement inédite, un mail d'Antonino Mannisi du 23 mai 2013 – le plan de l'affaire Giroud, à la lettre près – qui répond à une demande, sinon une commande, du journaliste de la RTS Yves Steiner. L'on notera l'objet : « Hacking ».
Les deux se connaissent depuis longtemps, comme il le dit si bien, ce n'est pas à la portée du premier venu, c'est une opération qui se prépare. Steiner a déjà flairé la piste, nous sommes à quelques mois du déclenchement des hostilités.
Créer les conditions
La suite est réglée comme du papier à musique, Steiner charge lourdement pour mettre le "client" sous pression et à température, il faut créer le besoin, "D" est chargé de ferrer, Mannisi de normaliser le rapport de confiance, on garde "R" pour la fin, la séduction et le passage à l'acte.
Seulement, le Valaisan est un briscard, quelque chose ne lui plaît pas, ça regimbe sous le licol. Qu'importe, on va faire sans, ou plutôt malgré, lui. Le vrai client, à savoir Steiner, en veut pour son argent, il va prendre les commandes et diriger la manœuvre. La relation est digne d'un manuel de psychologie criminelle entre un dominateur narcissique, certain de sa toute-puissance, persuadé de la protection d'une hiérarchie au-dessus des lois, de la justice et de la police, et le mythomane empressé, sans volonté, nourri du fantasme de son statut d' "agent secret", en détresse affective évidente et qui lâchera tout, sur simple demande, pour une seconde d'attention.
Steiner va prendre l'ascendant. Il a un but, contraindre Giroud à une soumission de principe, comme une reconnaissance de sa supériorité de journaliste d'Etat, pour le forcer à lui donner du « biscuit », soit des affaires plus croustillantes, il veut Darbellay, Tornay, plus haut encore, qui sait ? Il est « journaliste d'investigation ». Il veut une interview exclusive, enrage, insulte celui qu'il hait visiblement quand il apprend que Mise au Point ou Rochebin projettent de le contacter. Il veut être reconnu, admiré, craint par celui qu'il cherche à briser. Quand il sent que le fretin va casser la ligne, il ordonne à Mannisi :
« Moi, le seul truc qui pourrait m'intéresser, dans ton histoire, c'est, si tu as une communication avec notre ami Giroud, c'est de lui poser la question un peu genre naïvement : « Est-ce que tu veux pas foutre le journaliste de la RTS sous surveillance » ».
Le traquenard
Mannisi se défend de moins en moins, Steiner exige des écoutes de chaque réunion, jusque dans les études d'avocat, lui dit comment s'y prendre avec le son, explique qu'il doit laisser de fausses preuves, sous forme de « traces écrites », pour se disculper en cas de danger, prépare, avec force détails, l'attaque dont il prévoit d'être la victime, fait mine de s'inquiéter du sort de son complice :
« Il faut trouver le moyen, toi, de te défendre, au cas où au bout d'un moment, si le truc tombe sur toi, que Giroud, lui, soit le type principalement accusé et pas toi, tu vois ? »
Et d'ajouter :
« Tu vois, il est bien Steiner, il t'aide ».
Un cas d'école de la relation dominant-dominé. La totale soumission de Mannisi ne sera cependant pas suffisante, pressions, menaces, harcèlement à mots couverts, Steiner finira même par lui voler des documents. Déprogrammé par son séjour en préventive, ce dernier reconnaîtra avoir été « manipulé ».
Mais Steiner est un homme fébrile, tout lui est menace, à commencer par la concurrence directe de l'enquêtrice du Temps, Marie Parvex, dont le nom revient sans arrêt. Il est obsédé, veut ses sources, demande à son comparse un accès prioritaire s'il parvient à pénétrer son ordinateur. Si Mannisi se résout à doubler l'attaque à l'endroit de Parvex, c'est sans nul doute pour complaire à son maître à penser, seul vrai cerveau – si l'on peut dire – d'une "opération" qui n'aura existé que dans le fantasme extatique de deux egos en mal de reconnaissance. Steiner aura été si loin dans son délire dominateur qu'il pensait pouvoir contraindre Giroud à financer la surveillance de ses propres confrères. Quand celui-ci a refusé de se laisser prendre, Steiner l'a fait plonger.
Marie Parvex, non sans finesse, ne s'y trompe d'ailleurs pas :
« J'avais déjà des doutes sur son intégrité et ce qu'il m'a dit ce jour-là est venu confirmer mes doutes. C'est ce jour-là que j'ai décidé que je coupais le contact définitivement avec lui [...]
Je ne me souviens pas avoir dit à [...] en 2014 que selon moi Dominique GIROUD avait été la victime d'une machination concernant cette affaire de hacking, et qu'il était vraisemblable que c'était Yves STEINER qui en tirait les ficelles.
En revanche, si vous me demandez si c'est mon opinion, je considère que le fait que Dominique GIROUD ait été victime, d'une manière ou d'une autre, d'un traquenard avec cette histoire de hacking est une hypothèse qui se défend et qui me parait plausible. Je n'irais pas jusqu'à affirmer que c'est Yves STEINER qui en aurait tiré les ficelles. »
Il paraît évident, au vu d'éléments récents, que Steiner reçoit ses ordres de plus haut, que son parasitisme opportuniste, s'il peut nourrir sa psychose, sert néanmoins des intérêts supérieurs, mais cela est l'objet d'un autre article.
Protection rapprochée
La nouvelle pièce au dossier permet de poser désormais plus clairement la question de la préméditation. Certes, le jour de l'attaque, Mannisi et Steiner s'appellent avant, pendant et après l'envoi du malware que Mannisi dépêche à l'instigation de son mentor, mais cela fait partie des kilomètres d'archives que le ministère public a rayé de la procédure à la demande expresse du SRC ; comme tout cela est pratique.
Il n'y a plus à douter que Giroud a fait l'objet d'un "contrat" et que Steiner n'est qu'un de ces ambitieux sans consistance placés là pour le seul avantage de son intermédiaire. Nous l'avons dit, nous y reviendrons.
En attendant, comme il l'avait prévu, le dispositif de protection de l'institution fut sans faille, Bernard Rappaz, ancien directeur de l'actualité, fraîchement démissionné suite à l'enquête du Temps sur les cas de harcèlement, et Patrice Aubry, secrétaire général, auront su se montrer unanimes :
« Sur question [...] si il est d'usage qu'un journaliste incite une tierce personne, en l'occurrence une source, à enregistrer une conversation à laquelle cette personne assiste, à laquelle participe également un avocat (comme cela ressort des conversations 3348 et 3659), je réponds d'emblée que la présente audience ne me paraît pas être le lieu qui convient pour débattre des aspects déontologiques de la pratique du journalisme. Il y a des instances spéciales pour cela.
Toutefois, je réponds quand même que, comme tout le monde le sait d'ailleurs, ce n'est pas dans les communiqués de presse et en interrogeant des chargés de communication que l'on fait du journalisme d'investigation ».
Que le public se le tienne pour dit, quand il s'agit de détruire un homme perçu comme dissident, la déontologie laisse alors place au réalisme froid de la dominance idéologique. Ce que l'affaire Steiner, qui n'est plus l'affaire Giroud, enseigne avant toute chose, c'est que la SSR est un organe politique, avec son agenda, ses objectifs, son pouvoir, ses ennemis à abattre.
Saluons toutefois l'ironie d'un destin dont les jeux ont voulu qu'à l'heure même où Le Temps et la RTS se déchirent sur des questions de déontologie, précisément, ces deux-là n'aient plus, en somme, qu'un Giroud pour les mettre d'accord.
Suivi pour LesObservateurs.ch : suite de l'Affaire et procès en cours, 1ère partie
Le procureur veut de la prison ferme pour l’encaveur
21 avril 2021, 12:00h.
Le Parquet a requis 10 mois de prison, dont 6 ferme, à l’encontre de Dominique Giroud, accusé d’avoir commandité le hacking de deux journalistes. […]
https://www.20min.ch/fr/story/le-procureur-veut-de-la-prison-ferme-pour-lencaveur-910117702446
”Que le public se le tienne pour dit, quand il s’agit de détruire un homme perçu comme dissident, la déontologie laisse alors place au réalisme froid de la dominance idéologique. Ce que l’affaire Steiner, qui n’est plus l’affaire Giroud, enseigne avant toute chose, c’est que la SSR est un organe politique, avec son agenda, ses objectifs, son pouvoir, ses ennemis à abattre.”
M. Steiner ”journaliste d’investigation” à la RTS a-t-il reçu de la part de sa hiérarchie l’ordre de piéger M. Giroud ? Si oui, dans quel but ?
C’était juste peut-être d’abattre d’autres politiciens (Darbellay ou Tornay) … ?
Nous sommes face au problème suivant :
Est-ce que la RTSocialiste, qui vit de subventions, ne devrait-elle pas s’occuper uniquement d’informations ?
Faut dire que ce Steiner ne m’a jamais inspiré confiance.