Des manifestations et des déboulonnages de figures historiques françaises pour dénoncer un « racisme d’État ». Des actrices qui s’insurgent contre un cinéma français jugé “négrophobe”. Alors que la notion de races humaines est toujours débattue scientifiquement, ces citoyens français qui brandissent leur phénotype comme un étendard de la lutte anti-raciste et ces clameurs de haro sur un pays supposé raciste nous annoncent-ils l’avènement d’une société racialisée ?
Les races humaines, une notion controversée sans réelle pertinence pour la société
Les pourfendeurs scientifiques des races vous diront qu’il n’existe pas de critères génétiques chez l’homme permettant de tracer une limite reproductible entre différents groupes humains. Pour d’autres chercheurs, il est possible d’établir une classification génétique des individus qui colle à leur origine géographique. Et après tout, en médecine, nous utilisons cette notion « d’origine ethnique » pour orienter la recherche diagnostique ou adapter certains traitements.
Les États-Unis ne font pas que déverser sur le monde leur langue et leurs arts, ils exportent également leur conception sociétale. L’idéologie racialiste venue d’outre-Atlantique chemine en France
Races humaines ou pas, avec la « race noire » et la « culture noire », nous sommes hors sujet : lorsque l’on sait que certaines populations africaines sont plus proches génétiquement des populations européennes qu’elles ne le sont d’autres populations africaines, on a du mal à savoir à quoi correspondrait une « race noire ». Et s’il y a des « cultures noires » qu’il conviendrait de contextualiser (pour paraphraser Sartre, la négritude comme négation de la négation du noir colonisé ? La culture afro-américaine comme négation de la négation de l’esclave noir ?), difficile de déterminer ce que serait une « culture noire » commune à toutes les personnes aux phototypes plus ou moins foncés du monde. La question pertinente pour les hommes et les sociétés dans lesquelles ils entendent vivre ensemble n’est pas tant de savoir si l’existence des races humaines est scientifiquement prouvée, mais de savoir si les différences phénotypiques que nous percevons, que l’on pourrait nommer « représentations raciales », modulent nos comportements et modèlent nos sociétés.
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Lutter contre l’ethnocentrisme basé sur le phénotype
Dans les années 2000 une série d’études menées aux États-Unis révélaient que les personnes blanches activaient plus une région du cerveau dédiée à détecter les informations saillantes de l’environnement (par ex. le danger) lorsqu’elles percevaient le visage d’une personne noire comparé au visage d’une personne blanche, et ce même lorsque ce visage était présenté de façon à ne pas être perçu consciemment. Comme si la couleur de peau était une information qui activait de façon automatique notre système de surveillance. Cependant, d’autres études sont venues par la suite montrer que le contexte pouvait faire négliger la couleur de peau. Lorsque l’on crée des groupes de jeu mélangeant des noirs et des blancs, les participants blancs comme noirs activent cette fois plus ce système cérébral de surveillance quand ils voient les visages des participants appartenant à l’équipe adverse. De même, lorsque l’on nous indique l’appartenance politique d’un individu, la tendance de notre cerveau à le catégoriser selon sa couleur de peau disparaît au profit de sa couleur politique. Lorsque l’on fait naître le sentiment d’appartenance à un groupe, cette information devient une information plus pertinente que la couleur de peau.
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L’ethnocentrisme est un comportement universel consistant à privilégier les individus que l’on considère comme appartenant à son groupe, ce groupe reposant sur des caractéristiques comme le phénotype, la langue, la religion. En situations de ressources limitées l’ethnocentrisme garantit que l’individu continue à coopérer au détriment de son propre bénéfice. Le danger de l’ethnocentrisme réside dans la tendance qu’il a à faire reposer la définition du groupe préférentiellement sur un critère que l’on pourrait qualifier de primitif et immuable : le phénotype. L’idéal national français, cette ambition d’une communauté d’individus liés par la culture au-delà de leur phénotype ou de l’origine géographique de leur ascendance, parait être un projet plus efficace pour maintenir le lien entre les individus à long terme et quelles que soient les conditions économiques que ce modèle multiculturaliste vers lequel tend notre société ; et ce d’autant plus que les cultures en présence s’opposent sur des valeurs fondamentales, comme l’importance accordée au phénotype ou à la religion.
Vers une société racialisée
Dans leur « privilège exorbitant », les États-Unis ne font pas que déverser sur le monde leur langue et leurs arts, ils exportent également leur conception sociétale. Peut-on faire un parallèle entre la discrimination raciale institutionnalisée des États-Unis ségrégationniste du siècle dernier et ses conséquences et les discriminations dont se plaignent certaines actrices françaises ? Fellini disait choisir des visages et non des capacités professionnelles. Pourquoi les James Bond girls sont-elles toujours des femmes à la plastique parfaite, les héroïnes d’Hitchcock toujours blondes et diaphanes et les héros de Spike Lee noirs ? Le métier d’acteur est cruel mais chaque réalisateur est libre – jusqu’à ce que la dictature de la discrimination positive n’envahisse aussi l’art − d’infuser son univers fantasmé dans la société à travers les corps et les visages qu’il veut sublimer. Peut-on comparer une police américaine qui tue deux fois plus les Afro-américains que les Américains blancs selon une récente étude (cette étude montre aussi que les Américains blancs ont deux fois plus de chance d’être tués par la police que les Américains d’origine asiatique !) et une police française qui n’ose faire usage de ses armes, régulièrement insultée et humiliée quand elle n’est pas directement menacée par « de minutieux guet-apens », comme l’a montré l’enquête de Frédéric Ploquin ?
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Non, l’État français n’est pas raciste. L’ambition de la Nation française, cette communauté d’individus rendus libres par l’éducation, égaux par la loi, fraternels par des valeurs et un projet communs, et se construisant au-delà de la filiation de sang, est de tendre vers une communauté homogène sur le plan culturel et non phénotypique. Pourtant, l’idéologie racialiste venue d’outre-Atlantique chemine en France. Elle progresse dans les esprits d’une jeunesse privée d’idéal national (transmission de la culture dégradée par une élite condescendante ou repentante : roman national censuré, langue française malmenée, etc.) et séduite par les revendications afro-américaines, qui prennent des allures de combat donquichottesque sur notre territoire. Tandis qu’une élite profite astucieusement de l’importation de ces produits idéologiques nord-américains pour prendre sa revanche sur le colon blanc et redessiner le pays selon son idéal inclusif : plus de noirs à la télé, plus de noirs à l’assemblée, plus de noirs dans l’imaginaire collectif. Le rêve français d’une nation, non post-raciale (terme qui nous vient des États-Unis et qui implique que la « race » est ou a été une variable de la société), mais araciale (plus proche du modèle français qui nie la « race »), est désormais réduit à cette velléité tuée dans l’œuf de dépasser les clivages phénotypiques, une volonté périclitante qui courbe une échine honteuse et repentante face à ce modèle émergent de société racialisée.
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