Le 5 mai, le tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe, plus haute juridiction allemande, a reproché à la Banque centrale européenne sa politique monétaire. Le tribunal attaque-t-il l'indépendance de la BCE ou au contraire a-t-il raison de rappeler l'institution à l'ordre ? Nous confrontons plusieurs points de vue. Celui de Sébastien Cochard.La décision historique rendue le 5 mai 2020 par la Cour constitutionnelle allemande est d’une grande portée. Longtemps ignorés, les avertissements des connaisseurs du droit allemand devront maintenant être écoutés.
La mort de l'idéal fédéral ?
Au plan juridique, les juges allemands dissipent le rêve fédéraliste européen :
- L’Union européenne n’est pas un Etat souverain qui tient son pouvoir, en démocratie, directement de la délégation du pouvoir du peuple (en Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 établit bien que l’Etat fédéral et les Länders tiennent leurs pouvoir du peuple allemand et de personne d’autre). Depuis l’origine, l’Union européenne tient son pouvoir des Etats membres signataire des traités.
- Les Etats membres ont transféré à l’Union européenne des compétences qui peuvent être de très grande portée (notamment en matière monétaire) et qui sont régies par un droit européen propre dont la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est la source suprême de l’interprétation. Néanmoins, ces transferts de compétence n’ont de valeur, en droit national, que parce que les autorités constitutionnelles nationales (ou le peuple souverain lui-même) l’ont autorisé et qu’il demeure compatible avec l’ordre constitutionnel national.
- Il appartient aux cours nationales de juger de cette compatibilité afin de garantir le maintien du pouvoir ultime dans nos société au peuple souverain. La Cour allemande rappelle que le transfert de compétences à la BCE et à la CJUE ne l’a pas privé de son droit de contrôler la conformité de l’exercice de leurs pouvoirs avec le cadre juridique dudit transfert par les autorités nationales allemandes. Dans le cas d’espèce, elle a jugé que cette conformité n’est probablement plus vérifiée.
- L’ordre juridique européen reste donc subsidiaire par rapport aux droits nationaux. Dans le dialogue des juges suprêmes, ce sont les juges nationaux qui auront toujours le dernier mot car c’est dans les nations que réside toujours le pouvoir ultime de décider.
Au plan politique, la décision des juges allemands sur l’action de la BCE révèle en outre une autre grande faiblesse de l’Union européenne
Cette lecture "souverainiste" de l’ordre juridique en Europe va à l’encontre du discours dominant en France sur "l’Europe" présentée comme une entité fédérale de fait qui "dépasse les nations". Elle est pourtant la seule valide et conforme au droit. Il faut remercier les juges allemands de venir rétablir la vérité des faits et la clarté de l’état du droit.
Les non-dits de l'UE
Dans une Europe soumise à des forces de dislocation, ce rappel révèle la faiblesse congénitale de l’Union européenne : celle-ci n’existe que par la volonté de ses Etats membres et ceux-ci détiennent, par délégation de leurs peuples respectifs, le pouvoir ultime, y compris celui de se retirer de l’action commune. Face à la détermination de cours nationales capables de défendre les principes fondamentaux de leur ordre constitutionnel (on pense aux pays d’Europe centrale sur les questions de migration), l’Europe ne peut avoir le dernier mot et les rodomontades de la Commission européenne n’y peuvent rien.
Au plan politique, la décision des juges allemands sur l’action de la BCE révèle en outre une autre grande faiblesse de l’Union européenne : le règne de l’équivoque et des non-dits. Dans le cas d’espèce, c’est la distance insupportable entre les mots de la BCE et la réalité de son action qui est dénoncée par les juges.
Mettre en lumière les positions irréconciliables des pays européens sur
certains sujets cruciaux révèle toute
la fragilité de l’édificeLes principes de la démocratie exigent de la part des institutions le respect du sens des mots. Le totalitarisme rime avec la distorsion du langage (on pense au roman 1984, au nazisme ou au communisme, aussi) qui permet au pouvoir suprême d’échapper à tout contrôle et à cacher sous des concepts vides de sens le règne de l’arbitraire. Or, comment qualifier les distorsions de langage permanente de la BCE qui met en œuvre une opération de financement à très grande échelle des dettes publiques par la "planche à billet" en s’abritant derrière les strictes limites de son mandat de "maintenir la stabilité des prix" ?
Cette utilisation d’une "novlangue" bruxelloise n’est pas l’apanage de la seule BCE. Elle est consubstantielle à un système européen basé sur l’ambiguïté en raison des visions profondément divergentes des Etats membres. A la longue, cette pratique porte atteinte à la démocratie et il est salutaire de le rappeler.
Maintenant, ce constat déchire le voile d’ignorance sous lequel se cache toute la construction européenne. Mettre en lumière les positions irréconciliables des pays européens sur certains sujets cruciaux (par exemple la gestion de l’euro) révèle toute la fragilité de l’édifice. Dans le cas de l’euro, c’est une menace existentielle.
Ces deux tendances sont porteuses de lourdes menaces pour l’Europe de Bruxelles
Au final, la décision de la cour allemande est un rappel salutaire au réel pour les européistes de tous bord. En mettant en plein jour les faiblesses congénitales de l’Union européenne et de l’euro, elle renforce les oppositions nationales aux injonctions de "Bruxelles" et elle porte en germe une nouvelle perte de confiance dans la monnaie unique. Ces deux tendances sont porteuses de lourdes menaces pour l’Europe de Bruxelles.
Extrait de: Source et auteur
”Dans le dialogue des juges suprêmes, ce sont les juges nationaux qui auront toujours le dernier mot car c’est dans les nations que réside toujours le pouvoir ultime de décider.”
Rien n’est au-dessus des lois NATIONALES !
L’UE n’est qu’un ramassis …