Peut-on encore être un héros ou un saint en 2020 ?

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Les figures de héros et de saint semblent avoir déserté la société moderne. Comment ces modèles et ces vertus ont pu disparaître au profit de l’individualisme. Robert Redeker livre son analyse.  

Mars 2018. À Trèbes (Aude), se produit un événement que nul n’attendait. Au milieu de l’horreur d’un attentat, surgit une lueur : Arnaud Beltrame offre sa vie pour en sauver une autre. Ce geste, qualifié avec raison d’héroïque, semble être en contradiction totale avec ce que porte notre société : l’individualisme et le plaisir immédiat, opposés à l’exercice des vertus et au don de soi. L’événement interroge : est-il encore possible que des héros surgissent dans ces temps où l’on a tout fait pour les chasser ? Robert Redeker nous offre, avec son ouvrage Les Sentinelles d’Humanité, une belle réflexion sur les figures du saint et du héros, leur quasi-disparition et leur nécessité absolue pour notre société comme pour notre humanité.

L’abandon du héros à la fin de la Seconde guerre mondiale

L’auteur commence par un constat simple : depuis des millénaires, les sociétés se sont fondées sur les héros. Dans l’Antiquité comme dans l’Occident médiéval, il n’est pas un événement qui ne soit placé sous la protection d’un héros ou d’un saint. Mais les choses ont changé en Occident : après la Seconde guerre mondiale, le monde assiste à un abandon collectif du héros. La civilisation de la « mort de Dieu », affirmée par Nietzsche, a remplacé ces figures exemplaires par des idoles, des pseudo-héros, et par un fétichisme de l’objet, fondement de la société de consommation.

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Au héros glorieux, on préfère l’anti-héros, qui le discrédite, le rend inoffensif, non-contagieux. Car l’héroïsme du héros, ce sont ses vertus, et ce sont précisément elles qu’il faut évacuer. Cette suppression des hommes exemplaires se remarque notamment dans l’enseignement de l’Histoire : les grandes figures héroïques sont, au mieux, ramenées à leur condition d’être humain imparfait, ou, au pire, abrogées. Cette société, qui vit dans le présent, qui a rêvé la « fin de l’Histoire », ne supporte pas de devoir être rattrapée par elle. Pour empêcher ou au moins dissimuler ce retour du temps long, elle tente de faire taire les héros ou de les psychiatriser.

Cet abandon est dû à la profonde lâcheté qui caractérise la société post-mai 1968 : on ne veut plus, on ne peut plus croire en la vertu, admirer ce monde de héros, alors on le discrédite. Ce rejet est dû enfin au nihilisme, perversion de l’idéal romain d’égalité : on cherche aujourd’hui une égalisation anthropologique, personne ne doit sortir du lot. Mais qu’en est-il des chanteurs et champions sportifs, présentés comme les héros modernes, pourquoi sont-ils, eux, acceptables ? Ils le sont parce qu’il est possible d’être un champion sans être un grand homme, sans avoir développé une vie intérieure. Leur absence de grandeur les rend éminemment conformes au monde contemporain, qui a fait de la médiocrité sa norme.

Le transhumanisme contre les héros

Ce déni du héros, ce refus du saint, sont au service d’un projet, qui a dépassé celui des Modernes : le transhumanisme. La science et la technologie nous ayant permis de manipuler le vivant, l’idéologie prend le relais pour manipuler les structures ancestrales, et ainsi créer l’Homme digital : ni bête, ni Homme, ni ange, ni machine. Dans cette nouvelle essence de l’Homme, les héros et les saints sont impossibles : ces deux figures supposent la liberté, c’est-à-dire l’âme.

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Ainsi, que refuse-t-on en refusant les héros et les saints ? Ce mot, devenu un scandale : la vertu, aujourd’hui synonyme de résignation et de contrainte, qui bride le Moi dans sa volonté absolue de puissance et d’épanouissement. Ces vertus sont notamment, pour les héros, l’endurance, c’est-à-dire la fidélité absolue à l’objet de sa foi ; le courage, « vertu des commencements »; l’admiration, première des passions, qui permet de se dépasser par la vue de plus grand que nous ; enfin, la liberté, qui suppose un empire sur soi-même mettant à distance les envies, permettant d’échapper à la domination du biologique sur l’intellectuel. Le héros est donc exigeant : il nous demande un effort, sa grandeur exige de la fidélité. Le héros est notre juge, et c’est ce que notre époque ne supporte pas.

Le saint comme le héros sont des exceptions

Les héros et les saints se différencient de la masse en ce qu’ils sont des sommets de l’humanité. Ils sont fidèles à une exigence absolue, celle d’échapper à l’empire du Moi autant qu’à l’empire du biologique. Si l’héroïsme est une fulguration qui inscrit le héros dans l’éternité de son moment héroïque, la sainteté est plus durable et s’inscrit sur le long terme. Saints et héros ont cependant des points communs : leur rapport au courage, à la vertu et au sacrifice. Être un héros, être un saint, c’est épouser et s’offrir. Le saint comme le héros sont des exceptions, ce qui provoque leur rejet. Mais ils tirent leur force dans leur humanité, ils l’accomplissent, c’est pourquoi ils sont indispensables : ils répondent à un besoin nécessaire, spirituel. Sans eux, l’Homme n’est pas. Ce besoin, collectif comme personnel, est une constante : il n’y a pas de communauté sans remémoration des saints et des héros. Ils font le lien avec nos contemporains comme avec nos ancêtres.

La conséquence est alors simple à formuler, plus difficile à mettre en pratique : pour résister à cette société liquide, pour permettre à notre société de durer, soyons des héros, soyons des saints !

Geneviève Chotard.

Les Sentinelles d’humanité, Philosophie de l’héroïsme et de la sainteté, Robert Redeker, éditions Desclée de Brouwer, janvier 2020, 300 pages, 19,90 euros.

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