Depuis longtemps, David Goodhart avertit les Britanniques que l’idéologie multiculturaliste constitue une menace à moyen terme pour les États-providences.
Quelles réactions provoque le livre de David Goodhart, The Road to Somewhere ? (Voir recension ci-dessous, après le filet) Comment les médias, en particulier, prennent-ils sa thèse selon laquelle ils sont eux-mêmes, comme la classe politique et l’Université, entre les mains des « Gens de Nulle Part », ces libéraux cosmopolites — que rejetterait « le Peuple de Quelque part » ?
Très intéressante réaction dans le quotidien de gauche, The Guardian. Sous la plume de Jonathan Freedland, on peut lire que David Goodhart est, hélas, une sorte de prophète. Freedland rappelle, en effet, la vague d’indignation qu’avait soulevée, dans l’intelligentsia de gauche de l’époque, l’article publié par Goodhart dans Prospect, intitulé « Est-ce que la Grand-Bretagne est trop diverse ? » C’était dans le numéro de février 2004 de ce magazine intellectuel, plutôt proche des idées du New Labour, dont Goodhart était alors le directeur. Ce papier a valu à son auteur, écrit The Guardian une quasi-proscription des milieux comme il faut. Et pourtant, ajoute-t-il, cet article était tout bonnement prophétique. Car il posait crûment une question que personne ne voulait voir, à l’époque, et qui est devenue le sujet dominant de notre vie politique.
Que la solidarité risquait d’entrer en conflit avec la diversité. Vous êtes d’autant mieux disposés à laisser l’État recueillir une part importante de vos revenus sous forme de cotisations et d’impôts, disait-il, que vous avez la certitude que cet argent sera redistribué à des gens qui sont comme vous. Si leurs valeurs et leurs styles de vie diffèrent trop des vôtres, alors vous deviendrez réticent.
Il faut choisir entre deux modèles de société, disait Goodhart. Celui de la Suède, cette nation très homogène où l’État-providence vous accompagne du berceau à la tombe, ou celui des États-Unis, où l’individualisme et la diversité font qu’on se sent peu d’obligations réciproques.
Il s’appuyait sur les travaux de deux économistes, Alberto Alesina et Edward Glaeser, qui avaient démontré cette thèse, chiffres à l’appui. Aux États-Unis, la majorité des pauvres appartiennent à des communautés ethniques minoritaires. Les plus aisés, majoritairement blancs, sont peu enclins à partager. Voilà ce qui risque d’arriver à notre Royaume-Uni, prévenait Goodhart, si nous poursuivons dans la voie du multiculturalisme. Car il crée, entre des communautés, un sentiment d’étrangeté qui ne favorise pas la solidarité. L’inclination à s’obliger mutuellement alors s’érode. L’État-providence britannique, très généreux, contrairement à ce qu’on croit chez nous, était déclaré menacé.
L’article était d’autant plus prophétique, poursuit The Guardian, qu’il a été publié à la veille de ce que Goodhart lui-même, dans son récent livre, appelle « the one », la grande vague migratoire, la plus inattendue. C’est celle qui a suivi l’ouverture du marché du travail britannique aux citoyens des nouveaux membres de l’Union européenne, l’Europe centrale. La plupart des autres États d’Europe occidentale, et même les Allemands, avaient décidé un moratoire de plusieurs années. Mais le New Labour au pouvoir a voulu montrer son ouverture. On attendait quelques milliers de « plombiers polonais » et ils furent un million.
C’est d’autant plus incompréhensible, écrit Goodhart, que déjà à l’époque, les sondages montraient que près des trois quarts de la population estimait le rythme de l’immigration dans le pays trop rapide. Trois quarts des sondés estimaient et que le pays avait changé au point qu’on ne s’y sentait « plus chez soi ». Pour Goodhart, qui fut lui-même membre du Labour, ce refus d’entendre ses propres électeurs sur la question de l’intégration constitue l’une des causes de l’échec électoral de 2010, face aux conservateurs.
Le modèle multiculturaliste n’a plus la cote auprès des Britanniques. On se souvient comme ils se moquaient, de notre modèle d’intégration républicain... Si l’on en croit Goodhart, le multiculturalisme n’est plus qu’une « idéologie qui a dominé les années 80 »…. Passée de mode. Et il cite une critique qui les résume toutes, celles de Maajid Nawaz, journaliste et homme politique libéral-démocrate, « au lieu d’introduire de la diversité dans la société, le multiculturalisme introduit de la diversité entre les groupes ethniques d’une même société ».
Quant à l’intégration, Goodhart écrit que les Britanniques sont encore trop réticents à l’idée de fournir aux nouveaux venus une « feuille de route ». Or, ajoute-t-il, les immigrés ont besoin de savoir ce qu’on attend d’eux. « Si on veut améliorer l’intégration, écrit-il, on ne peut pas se contenter de prêcher l’importance de la tolérance, on doit promouvoir l’interaction et le sentiment d’inclusion dans la communauté nationale. Comme l’a dit Jonathan Haidt, il est possible de faire en sorte que les gens se soucient moins des questions de race et d’identité, lorsqu’on les plonge dans une mer de ressemblances, de buts partagés et de dépendance mutuelle. » Une cause commune d’intérêt local, en particulier, est un puissant facteur de rassemblement.
Car la puissance des nations est fondée, poursuit-il, sur leur capital social — la confiance mutuelle qui existe entre leurs membres ; le fait qu’ils partagent les mêmes intérêts et les mêmes valeurs. C’est cette confiance en un avenir commun qui a rendu possible la construction, sur plusieurs générations, des cathédrales. C’est aussi sur cette confiance réciproque que sont fondés nos États-providence redistributifs. Seul, le cadre national, insiste Goodhart, fournit le cadre dans lequel peut s’exercer cette indispensable solidarité.
Un livre, récemment publié en Grande-Bretagne, par David Goodhart, créateur du magazine Prospect, explique pourquoi le Brexit l’a emporté et les travaillistes décrochent.
Le clivage droite/gauche, dans beaucoup de nos démocraties est en train de céder la place à d’autres différenciations. Europhiles versus europhobes, « ouverture »/« fermeture », libéralisme/protectionnisme… L’essayiste britannique David Goodhart suggère un nouveau partage politique. A quel camp appartenez-vous ? A celui des gens de n’importe où au peuple de quelque part ?
Les premiers, les Gens de n’importe où, sont bien dotés en capital culturel libéral et en diplômes donnant accès aux emplois cotés sur le marché du travail. Disposant de réseaux relationnels acquis dans quelque grande école française, ou une prestigieuse université anglo-saxonne, ils disposent d’une « identité portative ». C’est dire qu’ils sont à leur aise partout dans le monde. Ils valorisent la réussite professionnelle et l’autoréalisation. Ils sont favorables à la mondialisation et leur valeur préférée est l’ouverture. Optimistes, curieux d’autrui et tolérants par principe, ils sont spontanément multiculturalistes.
Le Peuple de quelque part est plus enraciné. Ses membres sont rarement passés par l’enseignement supérieur. Ils sont assignés à une identité prescrite. La mondialisation, pour eux, cela signifie que les usines s’en vont et que les immigrés arrivent. La dignité qui s’attachait à la condition ouvrière est perdue. L’économie du savoir et les emplois qualifiés, que promettait l’Agenda de Lisbonne, ce n’était pas pour eux. Ils se considèrent comme les laissés-pour-compte de l’intégration européenne. Il y a de fortes chances qu’ils habitent une petite ville proche du domicile de leurs parents. Car ils ont le sens de la communauté et de la famille. Ils sont culturellement conservateurs.
David Goodhart a déclenché bien des débats en Grande-Bretagne, avec la publication d’un essai intitulé The Road to Somewhere. The populist revolt and the future of politics. En français, La route vers quelque part. (Révolte populiste et avenir des politiques populistes). Et il propose, si l’on veut comprendre quelque chose au redéploiement en cours de la vie politique dans nos vieilles démocraties, de remplacer l’axe gauche/droite, par le clivage Nulle part/Quelque part. Car pour lui, les oppositions basées sur des critères purement socio-économiques sont devenues insuffisantes. Il faut leur ajouter des éléments culturels. Les « politiques de l’identité » qu’avait mises en avant le New Labour, à l’époque de Tony Blair — identité ethnique, identité de genre, identité religieuse — font désormais partie du paysage. Elles ont définitivement bousculé une société britannique autrefois structurée par les appartenances de classe.
David Goodhart a longtemps joué un rôle important dans le monde intellectuel britannique en tant que directeur de la revue Prospect, un mensuel de réflexion politique qu’il a créé en 1995 et dont il en a tenu les rênes jusqu’en 2010. Prospect, d’après le chroniqueur de France Culture Brice Couturier qui l’a lu depuis sa création, est aussitôt après son départ de la direction devenu beaucoup moins intéressant.
Pour ce même chroniqueur le magazine Prospect, tout en veillant à ne pas s’aligner sur quelque parti ou personnalité politique que ce soit, a tout de même accompagné la montée en puissance de Tony Blair, puis les gouvernements du New Labour, en alimentant leur réflexion. Goodhart avoue, dans son livre, avoir appartenu au parti travailliste à cette époque. Son départ de la direction du magazine a coïncidé avec la défaite du New Labour.
Dans son dernier livre, David Goodhart enquête sur les causes idéologiques et sociologiques du Brexit et de l’élection de Donald Trump. A ses yeux, ces deux évènements sont liés et témoignent de phénomènes fort comparables. Car ces votes protestataires constituent la revanche du « Peuple de quelque part », furieux de n’avoir jamais eu réellement voix au chapitre.
Ce sont, en effet, les « Gens de n’importe où » qui dominent la vie politique, les médias et l’Université. Ayant progressivement conquis l’hégémonie culturelle, ils ont imposé une idéologie qui sert leurs intérêts. Ce que Goodhart, après d’autres, nomme le « double libéralisme ». Un libéralisme culturel, venu des années 60, qui a ébranlé toutes les structures d’autorité. Et un libéralisme économique, imposé à partir des années 80, avec la prééminence accordée aux marchés sur les régulations étatiques. Progressivement, tout ce qui contestait ce double libéralisme a été chassé de la scène publique.
Dans un premier temps, le centre-gauche politique ne s’est que trop bien adapté à cette double révolution. Ainsi Tony Blair présentait-il la mondialisation et l’immigration de masse comme des phénomènes quasi naturels, face auxquels il n’y avait d’autre issue, pour les Britanniques, que de s’adapter. Mais aujourd’hui, les partis sociodémocrates sont dans la nasse. Car leurs électeurs appartenaient autrefois au Peuple de quelque part. Et celui-ci estime qu’il a perdu à ces changements, rapides et radicaux. 62 % des Britanniques approuvent ainsi l’opinion : « le pays a tellement changé dans les dernières années qu’il est devenu méconnaissable et cela provoque en moi un malaise. »
Pourtant, le « Peuple de quelque part » ne remet pas en cause la totalité des acquis de la double révolution libérale. Il voudrait seulement que les élites, qui la pilotent, en ralentissent le rythme. La rapidité avec laquelle les sociétés ont été bouleversées par une immigration sans précédent a créé, chez lui, une « anxiété culturelle ». Ses membres réclament un accord général sur des normes de comportement communes. David Goodhart qualifie leur idéologie de « populisme de la décence ».
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