18 mai 2016
Pierre Bessard, directeur de l'Institut Libéral, est l'invité de l'Association des étudiants de l'Unige pour l'étude de la philosophie libérale, à Uni-Mail, à Genève.
Le thème de sa conférence est: L'anarchie libérale: plus qu'une utopie?
Dans le débat public, dès que l'on parle d'anarchie, on entend chaos, règne de la violence, émeutes, trafic routier en Inde... Bref c'est un mot qui est inutilisable parce que connoté désordre.
Dans le débat intellectuel, en philosophie, il n'en est pas de même, l'anarchie suppose l'existence d'un ordre, d'une reconnaissance du droit, sans monopole de la force, sans autorité basée sur la contrainte.
L'anarchie n'est pas synonyme d'anomie, c'est-à-dire d'absence de règles. De même convient-il de distinguer la liberté, qui équivaut à faire ce que l'on est en droit de faire, de la licence, qui équivaut à faire n'importe quoi; de faire la différence entre le droit et une législation arbitraire.
Dédramatiser la notion d'anarchie
Il faut d'autant plus dédramatiser la notion d'anarchie qu'elle est omniprésente dans la vie quotidienne: nous sommes libres de choisir notre profession ou notre partenaire, d'avoir des enfants, de créer une entreprise, de voter ou de nous abstenir etc.
Il n'existe pas de gestion centrale de notre vie. Nous nous passons de l'État dans la plupart des actes de notre vie.
Ainsi une économie libre est largement anarchique et largement harmonieuse. A contrario, plus une économie est réprimée, plus il existe de marché noir et de contrebande
Ainsi toute prohibition faite à des adultes consentants, qu'il s'agisse de drogues, de pornographie ou de prostitution, est incompatible avec une société libre, à condition bien sûr que ces adultes ne nuisent pas à autrui ni à ses biens.
L'éthique libérale
L'éthique libérale repose sur le principe de la propriété de soi, c'est-à-dire de l'existence de la personne et de son libre arbitre. Ce qui revient à respecter les autres et à respecter la propriété des autres. Ainsi les libéraux ont-ils été à l'avant-poste de l'abolition de l'esclavage.
Les gouvernants ne sont pas au-dessus du droit. Ils ont pour devoir de protéger et de garantir le droit.
L'État contrevenant
Avec l'impôt, l'État est le plus grand contrevenant au droit de propriété qui soit:
Tout impôt inutile est un vol, un vol d'autant plus odieux qu'il s'exécute avec les solennités de la loi. Benjamin Constant
Dans les sociétés modernes, la spoliation par l'impôt s'exerce à une grande échelle. Frédéric Bastiat
Ayn Rand suggère un impôt volontaire pour le financement des fonctions régaliennes.
L'imposition est sur un pied d'égalité avec les travaux forcés. Robert Nozick
L’impôt est un vol, purement et simplement, même si ce vol est commis à un niveau colossal, auquel les criminels ordinaires n’oseraient prétendre. Murray Rothbard
Pour que la gouvernance privée ne dégénère en gouvernance publique, la solution est la propriété. Ainsi dans une communauté privée de propriétaires, ces derniers réclament-ils des comptes précis.
Si gouvernance publique, tout de même, il y a, il existe au moins, en Suisse, deux limites à son pouvoir discrétionnaire: le frein à l'endettement et les recours référendaires.
Quoi qu'il en soit, si État il y a, son rôle doit rester subsidiaire.
L'État n'est pas indispensable
La culture morale est la première source de sécurité en Suisse: dans bien des cas, elle permet de se passer de l'État et évite la corruption (elle se retrouve d'ailleurs dans les pratiques de paiement). La Suisse se caractérise en effet par un degré très élevé de moralité, par une culture de l'intégrité.
Il faut savoir que s'il y a 4'800 policiers, il y a en Suisse 5'800 agents de sécurité privés...
La justice privée joue un rôle majeur en Suisse avec les tribunaux d'arbitrage:
- dans les conflits boursiers,
- dans l'économie immobilière,
- dans le sport,
- dans le commerce international etc.
Cette justice privée a pour caractéristique de résoudre les conflits:
- dans des délais courts,
- dans la discrétion,
- à moindre coût,
- en substituant la réparation des dommages à l'emprisonnement.
Conclusion
A défaut de pouvoir tout privatiser, comment limiter l'État?
- en propageant une culture morale, une culture libérale,
- en agissant au niveau sectoriel (initiative No Billag),
- en introduisant le plus de concurrence possible dans la gestion publique,
- en privilégiant les micro-états et les villes libres aux grandes structures telles que l'Union européenne ou le G20,
- en cantonnant l'État dans des fonctions subsidiaires,
- en développant le scepticisme envers l'État, qui a une forte propension à multiplier les lois et, donc, à se croire nécessaire...
Francis Richard
Publication commune lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard
Anarchie libérale est un nom qui convient mieux que celui de nouvel ordre mondial et qui affiche plus clairement ce que c’est : la loi de la jungle.
nous ne sommes aucunement dans un état d’anarchie libérale.
nous sommes dans un état de chaos planétaire planifié, choisit, établi et dirigé dont l’ordre échappe encore à notre regard, et dont l’aboutissement se situe en deçà de toute culture morale possible.
En tant que libéral, je ne puis qu’être d’accord dans l’ensemble. Toutefois, lorsque Proudhon clamait que “l’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir”, il confondait le principe de repérage social (archê, d’où anarchie) et celui du pouvoir (kratos). Celui-ci est en chaque citoyen; ne pouvant tout faire, nous le déléguons forcément. Tu fais mon pain, je te fabrique des chaussures. Je n’ai pas loisir d’administrer ma commune, je t’en délègue le pouvoir. Cette délégation-là est contractuelle, celui qui reçoit le pouvoir en délégation doit ensuite rendre des comptes.
Frédéric Bastiat : “Que l’État lui dise [à Jacques Bonhomme] : Je te prends cent sous pour payer le gendarme qui te dispense de veiller à ta propre sûreté; — pour paver la rue que tu traverses tous les jours; — pour indemniser le magistrat qui fait respecter ta propriété et la liberté; — pour nourrir le soldat qui défend nos frontières, Jacques Bonhomme paiera sans mot dire ou je me trompe fort.” (“Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas” chapitre X. L’Algérie ) C’est là le maximum de la délégation que l’on peut consentir à l’État, qui définit ses rôles régaliens : sécurité intérieure, défense, diplomatie, voire justice (peut-être…).
Bastiat : “Mais si l’État lui dit: Je te prends ces cent sous pour te donner un sou de prime, dans le cas où tu auras bien cultivé ton champ; — ou pour faire apprendre à ton fils ce que tu ne veux pas qu’il apprenne; — ou pour que M. le ministre ajoute un cent unième plat à son dîner; — je te les prends pour bâtir une chaumière en Algérie, sauf à te prendre cent sous de plus tous les ans pour y entretenir un colon; et autres cent sous pour entretenir un général qui garde le soldat, etc., etc., il me semble entendre le pauvre Jacques s’écrier: « Ce régime légal ressemble fort au régime de la forêt de Bondy ! » (Forêt réputée pour les brigands qui dévalisaient les voyageurs qui la traversaient). L’État, hors de ses rôles régaliens, devient spoliateur.
Là réside le vice fondamental de nos sociétés : l’État outrepassant la délégation, devenu monstre froid et glouton, spoliateur et asservisseur.
Bastia est allé encore plus loin dans la réflexion avec “La Loi”.
Bref : le libéralisme est (théoriquement) un contrat entre égaux, ne souffrant pas que s’établisse une hiérarchie. Mais cela implique une vertu indéfectible. La rencontre-t-on pragmatiquement ? Pour ma part, je ne la vois nulle part.
c’est tout ce que l’homme peut contenir de plus bas, de plus vil, de plus mauvais, de plus dominateur et de plus pervers qui “fabrique” de toutes pièces le nouvel ordre duquel et dans lequel aucune culture morale ne pourra éclore, ni survivre.
ce chaos organisé participe activement à la ponérisation de la société mais aussi des âmes et des consciences.
nous avons le choix de le voir ou pas.