L'initiative populaire "En faveur du service public" lancée par divers magazines de consommateurs romands et alémaniques réussit le tour de force de faire l'unanimité contre elle. Pas un seul parti ne la soutient! Seules quelques sections cantonales laissent la liberté de vote à leurs membres, et c'est à peu près tout.
Il faut se lever tôt pour voir UDC et PS main dans la main sur un objet soumis au vote. Pareille opposition de la classe politique toute entière aurait tôt fait de renvoyer les initiants à leurs magazines, mais voilà, second paradoxe, les sondages lui sont pour l'instant tout à fait favorables! S'il fallait une illustration de la puissance de la société civile en Suisse, nous l'avons ; et s'il fallait une preuve de la non-représentativité de cette société civile au sein de la classe politique, nous l'avons également.
Bien sûr, l'issue du 5 juin reste incertaine. Les initiatives passent rarement la rampe et, même si l'idée est plaisante, on ne peut pas compter pour rien l'effet sur l'électorat d'une alliance sacrée de tous les partis. La vérité se trouvera une fois de plus au fond des urnes. Malgré tout, ces considérations ne doivent pas faire perdre de vue le vrai problème, la perception par le grand public des services publics helvétiques.
Et si cette initiative était simplement en phase avec le sentiment populaire?
C'était mieux avant, forcément
Le quotidien 24Heures pose précisément le doigt sur ce problème - en tout cas, qui apparaît comme tel pour les états-majors politiques: quand l'idéal devient désamour. Les Suisses seraient en quelque sorte frappés par un désir d'idéal irrationnel lorsqu'ils pensent à leurs services publics. L'irrationalité est en l'espèce toute relative, comme l'admet Claude Béglé, conseiller national PDC et président de la Poste suisse de 2008 à 2010:
"A Berne, on baigne dans les statistiques. On nous dit que nos services publics sont les meilleurs, ce qui est probablement vrai. Ce qu’on oublie, c’est que les gens ne comparent pas l’offre en Suisse avec celle de l’étranger, ils la comparent avec ce qu’ils avaient avant."
Bingo! Aucune comparaison internationale, aussi valide soit-elle, ne pourra dépasser des souvenirs ancrés dans la mémoire collective d'une époque encore récente. Les guichetiers aimables. Les trains à l'heure. Les postiers qui distribuent le courrier plutôt que de s'en débarrasser... Ce monde a disparu, chacun en a bien conscience, mais personne ne sait exactement pourquoi. Ce n'est même pas une question d'économies: la population doit endurer des prestations régulièrement abaissées pour des tarifs toujours plus onéreux!
Profit et autres fâcheries
L'accroissement de "l'efficacité" des services publics s'est fait dans un objectif de rationalisation bien compréhensible, mais aussi, et surtout, de profit. De fait, les entreprises concernées réalisent de jolis bénéfices: 2,45 milliards pour les CFF, 645 millions pour la Poste, 1,3 milliards pour Swisscom en 2015, par exemple. De ces bénéfices, 1,22 milliards reviennent alimenter les caisses fédérales sous forme d'impôt. On peut se réjouir de cette manne. On peut regretter qu'elle soit soutirée à des consommateurs captifs par des tarifs surfaits.
Ce débat ouvre ainsi un front inattendu à gauche, car diminuer la rentabilité des régies publiques reviendrait à priver l’État de quelques juteuses recettes. Voilà comment l'initiative désarçonne le soutien naturel qu'elle aurait dû obtenir de la gauche, une gauche qui, au pied du mur, préfère largement défendre ses fonctionnaires plutôt que la masse amorphe des consommateurs.
N'est pas efficace qui veut. Les top-managers de ces entreprises publiques ou semi-publiques jouent dans un environnement concurrentiel et ont bien compris les avantages du "marché ouvert" en termes salariaux. Mme Suzanne Ruoff, de la Poste, touche ainsi 985'000 francs annuels ; Andreas Meyer des CFF, plus d'un million par an (ce qui lui laissera largement de quoi payer un abonnement général modulable), Urs Schäppti de Swisscom tutoie les deux millions.
Pareils salaires choquent les gens normaux. L'initiative draine beaucoup de sympathie auprès de ceux qui verraient la rémunération annuelle des Conseillers fédéraux - 445'000 francs par an - comme une limite naturelle aux salaires des entreprises dont la Confédération est propriétaire ou actionnaire, une sorte d'initiative Minder restreinte pour les sociétés de cette catégorie.
Jeu de dupes
Je surprendrai sans doute quelques lecteurs mais, bien que libéral authentique, je vois d'un bon œil l'initiative Pro Service Public. Elle remet à plat un débat faussé depuis bien trop longtemps.
Le modèle du monopole d’État est intrinsèquement injuste et inefficace. S'il procure de nombreuses rentes de situation à ses serviteurs, il prive les consommateurs de toute alternative et finit fatalement par s'effondrer sous sa propre incompétence, offrant un service à la fois déplorable et coûteux. Ce n'est pas pour rien que ce modèle n'est plus guère défendu que par quelques cercles de la gauche radicale.
La Suisse a abandonné ce modèle dans sa plus grande partie, mais le semi-monopole d’État, ou encore l'ancien monopole d’État amené dans un secteur concurrentiel, n'est pas tellement meilleur.
Si on imagine le marché comme une sorte de championnat de football géant où des clubs (analogie des entreprises) s'affrontent, le rôle de L’État est parfaitement clair: il est arbitre. Il connaît ou établit les règles et les fait respecter. Les meilleurs clubs décrochent les places internationales et les moins bonnes formations sont reléguées en division inférieure.
Fort logiquement, une entreprise dont l’État est actionnaire devient immédiatement suspecte. Dans notre exemple ci-dessus, qui croira que l'arbitrage puisse rester impartial si la corporation des arbitres possède des parts dans un des clubs du championnat? Dans le domaine des transports (avec les CFF), des colis et du courrier (avec la Poste) ou des télécommunications (avec Swisscom) le jeu est complètement faussé. L'addition est pour le consommateur.
L'initiative Pro Service Public a le mérite de vouloir lever cette ambiguïté. Si des entreprises sont possédées par la Confédération, elles doivent jouer avec des règles différentes. Ces règles les rendront peut-être moins profitables, certes, mais sont la contrepartie d'avantages indus concédés par les autorités. On en revient à la véritable définition de ce que doit être un service public où le profit n'est pas une fin en soi. Cette remise à plat est un préalable à une saine remise en question de l'implication de l’État dans certains secteurs économiques en tant qu'acteur du marché plutôt qu'arbitre.
L’État ne pourra jamais mettre en place des règles qui favorisent réellement la concurrence au bénéfice du consommateur tant qu'il aura un intérêt financier direct à faire le contraire. Témoins coutumiers de ces dérives, les magazines de défense des consommateurs l'ont bien compris.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 19 mai 2016
Réponse à FeuAuLac , Bénéfice des CFF 2,4 milliards vous vous moquez du monde 60% des transports publiques sont financés par nos impôts, dans un monde libéral les prix doubleraient.D’autre part l’europe exige la privatisation totale des services publiques, pourquoi croyez vous que les factures d’eau prennent l’ascenseur, si ce n’est pour les privatiser plus tard. OUI MASSIF le 5 juin.
De R. Köppel, voir aussi: http://lesobservateurs.ch/2016/05/20/votation-du-5-6-2016-sur-le-service-public-entreprises-publiques-envahissantes-editorial-de-roger-koppel-die-weltwoche-20-05-2016/
Pour ajouter au débat, je pense que la Suisse a un joli mix (le semi-privé). On n’a pas les désavantages du privé (rationaliser, virer tout ce qui n’est pas rentable), ni les désavantages du public (pompe à fric et gaspillage à tout vas, sans objectifs clairs).
Certes je pense que tout n’est pas parfait, et qu’il faudrait prendre certaines mesures au niveau des prix, mais là on va trop loin avec cette initiative, malheureusement…
Pour le reste on en pense ce qu’on veut. Mais la rémunération est un archi faux débat.
Par exemple: bénéfice des CFF: 2’400 millions. Salaire du CEO: 1 million.
Si ce CEO avec ses compétences arrive à faire ce bénéfice et qu’un CEO moins compétent payé la moitié (économie de 0.5 million) fait “que 2’000 millions de bénéfice, vous voyez où je veux en venir… Soit une “perte” de 400 millions juste parce que on voulait payer le CEO moins par “jalousie”.
Ensuite, OUI, on peut par chance trouver quelqu’un d’archi compétent pour moins cher, mais je pense que le salaire d’un CEO doit être libre de choix afin d’être dirigé au mieux. C’est finalement lui qui aura une grosse influence sur tout.
“Ce qu’on oublie, c’est que les gens ne comparent pas l’offre en Suisse avec celle de l’étranger, ils la comparent avec ce qu’ils avaient avant.”
Oui, et alors ?
Sommes nous obligés à faire comme les autres, niveler par le bas ?
Oui, c’était mieux avant.
Oui, il faut l’admettre, avant les coût monstrueux de la téléphonie suisse compensait très largement les pertes des PTT.
Oui également il faut maîtriser les coûts et rationaliser les entreprises.
Mais NON, il ne faut pas détruire nos entreprises publiques comme le savent si bien faire les super managers surpayés.
Mais Conseiller Fédéral est quand-même la plus haute responsabilité qui existe en Suisse même si parfois le casting n’est pas des meilleurs. (on a voulu virer les RH, mais le peuple en a décidé autrement).
Les Conseiller Fédéraux dirigent la Suisse, un pays entier.
Il est vrai que nous avons une pianiste qui joue faux et fait plein de fausses notes qui est payée 475’000 Fr/an.
Mais vous n’allez pas me dire que l’on ne trouve pas de personnes capables de diriger nos services public avec ce niveau de rémunération.
Cette initiative est, entre autres, un bâton dans les roues au “les bénéfices sont pour moi, coûts et déficits sont pour le contribuable”. Pan dans les dents ! car cette initiative va passer 😀
Un journal de la presse alemanique souligne que la très grande majorité des conseils d’administrations de Swisscom, CFF, Post, SSR sont socialistes (souvent ancien CN), syndicalistes ou PDC en particulier dans les sociétés proche de Leuthard… Un vrai hasard … Très, très bien payé. Même le tombeur en chef socialiste de Blocher, le paysan, châtelain, Dr grison “Hämmerle” se plait beaucoup au conseil d’administration des CFF. Quand on veut lui poser des questions: no comment! Il suffit de se rappeler qu’au CN il avait pesté il y a une dizaine d’année sur les CFF!