L'étrange explosion d'un véhicule à Berlin ce mardi aura eu lieu trop tard pour justifier un changement soudain de l'opinion publique. Les citoyens allemands ont voté ce dimanche dans trois régions et pour Angela Merkel - "Mutti" comme la surnommaient les Allemands à une époque insouciante - le temps du retour à la réalité est venu.
Le week-end aurait dû être l'occasion d'échéances électorales tout à fait habituelles, trois Länder allemands renouvelant leurs autorités. Mais après une campagne qui fut dominée par les inquiétudes des Allemands autour de l'afflux de réfugiés, les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu.
En Bade-Wurtemberg (ouest), un fief historique de la CDU de Mme Merkel, les conservateurs furent devancés par les Verts. Comme ces derniers sont encore plus pro-immigration que la Chancelière, il est évident que ce score s'explique avant tout parce que les électeurs traditionnels de la CDU ont choisi de rester chez eux. Il s'agit donc plus d'une démobilisation que d'un réel changement d'opinion.
En Rhénanie-Palatinat (ouest), Land de l'ex-chancelier Helmut Kohl, le scénario fut pratiquement identique: la CDU se vit battre par les sociaux-démocrates selon la même logique.
Pour voir du nouveau, il faut s'attarder sur le Saxe-Anhalt (est) où le jeune parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) se plaça deuxième (24%) en talonnant la CDU (29%) - permettant bien commodément aux médias d'annoncer une "victoire" de la CDU dans la région, histoire de ménager la casse auprès de l'opinion publique.
L'Alternative pour l'Allemagne a donc créé la surprise, et a d'ailleurs réussi à rentrer au Parlement dans chacun des trois Länder concernés par le scrutin de dimanche. L'AfD est désormais présent dans la moitié d'entre eux.
Les médias et les élites allemandes sont quelque peu déconcertées par la percée de ce parti vieux d'à peine trois ans. Ils n'ont rien su faire d'autre que de déballer les mots-clef habituels de leur boîte à outils - "populisme", "racisme", "droite dure", "extrémisme" - et dénigrent bien entendu l'ampleur du changement à l'œuvre. Il est pourtant bien là: autour de 40 % de personnes qui ne s’intéressent habituellement pas à la politique sont allées voter pour l’AfD. Alors qu'il paraît de plus en plus évident que l'insouciance politique ne mène qu'à la catastrophe, l'attrait renouvelé des Allemands pour leur système démocratique profitera certainement aux tenants d'une ligne politique différente.
Frauke Petry, dirigeante du parti, a beau être une femme (zut, il faudra remettre le sexisme sur son étagère...) mère de quatre enfants et clamer que "l'AfD n'est pas un parti raciste et ne le sera jamais", il n'y a personne pour en rendre compte. La politicienne a décliné poliment mais fermement une alliance avec le mouvement Pegida: peu importe, pour nos journalistes de garde, ce n'est qu'une façon d'abuser le chaland. Dans un procès de l'inquisition médiatique, tout comportement contraire à l'acte d'accusation ne montre rien d'autre qu'un esprit retors prêt à toutes les manipulations pour échapper à sa juste condamnation.
L'explication du nouveau succès de l'AfD s'explique pourtant fort simplement, par la bouche même de sa présidente:
"Nous aimons notre pays, nous voulons que notre culture soit protégée. On respecte les autres cultures mais nous ne voulons pas qu'elles nous dominent."
Et c'est en français qu'elle répond aux journalistes de France2:
"Je ne crois pas que l'islam [soit] compatible avec la culture allemande. L'islam traditionnel est très différent de la culture européenne."
Vraiment un retour aux heures des plus sombres de notre Histoire. En guise d'appel à la violence Mme Petry lance ce furieux assaut sur les faux réfugiés qui affluent en Allemagne:
"Si la frontière est franchie illégalement, si celui qui commet cette infraction ne se soumet pas aux sommations, on peut, selon la loi et en dernier recours, faire usage d'armes à feu."
Évoquer la loi, des sommations, un geste de dernier recours! On est glacé par cette démonstration d'extrémisme.
Conçu à la base comme un mouvement politique opposé à l'Euro et à l'uniformisation européenne voulu par Bruxelles et Berlin, l'AfD s'est désormais emparé du dossier de la crise des migrants, une menace plus pressante révélée depuis. Les cyniques taxeront pareille attitude d'opportunisme, mais il s'agit avant tout d'offre politique. Quel sens y a-t-il à voter si tous les partis, tous les candidats proposent peu ou prou la même chose?
Sur cet aspect comme bien d'autres, l'Alternative pour l'Allemagne porte bien son nom et montre que la contestation s'empare même de bastion pro-européens et pro-migrants théoriquement imprenables. Il y a d'autres chemins que ceux de l'invasion applaudie et célébrée par les élites, et qui vire peu à peu au désastre.
Et pendant que la Chancelière Angela Merkel, affirmant à qui veut l'entendre qu'il n'y a pas de plan B, marchande avec la Turquie un impossible accord de réadmission avec les milliards des contribuables, les rues allemandes s'emplissent de manifestants appelant à sa démission.
Le plan B pourrait bien être un changement de Chancelière.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 15 mars 2016
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