Armée suisse. Une ou deux réflexions sur la défense nationale

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant
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Une ou deux réflexions sur la défense nationale

L’armée suisse d’aujourd’hui n’a strictement plus rien à voir avec celle de mes dix-neuf ans, lorsque j’y suis entré (1977) pour accomplir, dans les douze années qui allaient suivre, quelque 500 jours de service. Elle n’a plus rien à voir, et c’est tant mieux ! Nous étions en pleine guerre froide, nous tenions une armée héritée des principes du Réduit national et de l’esprit de 1940, elle comportait plusieurs centaines de milliers d’hommes, elle était une immense masse, nous nous interrogions tous, avec légitimité, sur son utilité.

 

Nous nous interrogions, et nul n’était capable de nous répondre. Les manœuvres actionnaient beaucoup trop d’hommes, nous y passions le plus clair du temps à attendre, nul n’en saisissait l’enjeu, il ne nous était d’ailleurs pas expliqué. Il a fallu que j’entre au régiment genevois, le régiment d’infanterie 3, où j’ai accompli tous mes cours de répétition, pour commencer à tomber sur certains supérieurs éclairés, pédagogues, sachant mettre en contexte nos actes avec des missions de grande échelle.

 

Expliquer aux hommes de troupe pourquoi ils sont là, quelles causes ils défendent, en fonction de quelle stratégie ils pourront atteindre leurs buts, c’est tout de même le moins qu’on puisse attendre d’un chef militaire. Tout le monde n’a pas eu la chance de servir sous les ordres d’un Bernard Privat, ou d’un Jean-François Duchosal. Alors, à très juste titre, d’innombrables militaires suisses de ces années-là ont eu l’impression de perdre leur temps sous les drapeaux.

 

C’est grave, catastrophique même, et la responsabilité en incombe à tous ceux qui n’étaient là que parce qu’ils étaient cadres dans une banque et voulaient grader dans la vie civile, prenaient du galon dans l’armée sans avoir pour autant une vision pour la collectivité, pour l’intérêt national. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai rencontré, à mon époque, des esprits beaucoup plus éclairés chez les officiers professionnels que chez certains miliciens carriéristes, qui voulaient juste grimper dans la vie professionnelle, dans le monde bancaire par exemple.

 

En 1990, le DMF a voulu tirer les leçons de la votation fédérale du 26 novembre 1989, où plus d’un tiers du corps électoral (35.6%) s’était prononcé pour l’abolition de l’armée. Cette dernière avait certes été refusée, mais tout de même, il y a eu là un coup de semonce, il fallait en prendre acte, ce fut la mission de la « Commission Schoch », ou « Groupe de travail pour la réforme de l’armée », à laquelle j’ai eu l’honneur d’appartenir. Nous avons siégé toute l’année, quelque 25 jours en tout, en décentralisant nos séances sur l’ensemble du territoire national.

 

La Commission était présidée par un parlementaire d’exception, le conseiller aux Etats appenzellois (Rhodes-Extérieures) Otto Schoch, remarquable connaisseur de la chose militaire, radical éclairé, moderne, visionnaire même. J’y ai fréquenté des gens aussi divers que le sociologue Uli Windisch ou le criminologue Martin Killias. Nous étions vraiment une belle équipe, désireuse d’offrir au pays un modèle de défense adapté aux dangers de l’époque. Au final, Kaspar Villiger nous a remerciés très courtoisement, mais je n’exclus pas que le « Rapport Schoch » ait été discrètement déposé dans un tiroir. Sans doute y dort-il encore d’un profond sommeil.

 

Je regarde l’armée d’aujourd’hui, je discute beaucoup avec les jeunes qui font du service. Eh bien franchement, je les trouve infiniment plus positifs, plus motivés que la génération de mon époque. L’armée suisse a beaucoup maigri, il le fallait, elle reçoit beaucoup moins d’argent qu’à l’époque, elle a dû drastiquement réduire son train de vie, et c’est tant mieux. Coupant dans le gras, elle doit aujourd’hui miser sur l’essentiel. Reste à le définir, ce qui appartient au politique, donc à l’ensemble des citoyens. Voulons-nous une défense nationale ? Si oui, face à quelles menaces, quels dangers ? En 2016, les chars et les canons, la masse de l’infanterie sont-ils vraiment la meilleure préparation pour défendre les intérêts supérieurs de notre pays ? Quelle armée, face au terrorisme ? Face aux attaques informatiques, cybernétiques ? Pour défendre quoi ? Ces questions-là sont celles d’aujourd’hui et de demain. Sans tabou, elles doivent être empoignées : rien ne sert de préparer la guerre d’hier, il faut être prêt pour les vrais périls, ceux d’aujourd’hui et de demain.

 

Ces périls existent. Côté terrorisme, pas besoin de vous faire un dessin. Avons-nous aujourd’hui, 3 janvier 2016, les corps d’élite idoines à combattre des actions comme ont pu en connaître nos amis français ? Au plus haut niveau de notre renseignement, disposons-nous des éléments d’appréciation capables d’identifier les sources possibles d’attentats ? Le travail coordonné entre armée, polices cantonales, services de secours, de sauvetage, est-il suffisamment exercé, dans un domaine où le fédéralisme – si fructueux par ailleurs - peut s’avérer un frein à l’efficacité ? Franchement dit, le renseignement suisse est-il, aujourd’hui, à niveau ?

 

Pour ma part, comme citoyen, une chose est certaine : la Suisse a besoin, plus que jamais, d’une défense nationale. Elle en a toujours eu besoin ! Mais chaque génération doit faire son aggiornamento. Celle de 2016 n’a pas le droit de faillir à cette tâche : l’armée n’est pas un but en soi, elle ne doit en aucun cas redevenir ce qu’elle m’a semblé du temps de ma jeunesse, une machine à Tinguely tournant sur elle-même, orientée davantage, hélas, sur la conservation d’une hiérarchie sociale interne que sur la défense stratégique des intérêts supérieurs du pays. La défense nationale suisse a besoin d’esprits inventifs, éveillés, polyglottes, ayant voyagé, connaissant les systèmes militaires étrangers, notamment dans le cadre du renseignement. Nous avons une jeunesse très motivée, d’un excellent niveau de formation, je pense à de jeunes officiers comme Murat Julian Alder, Adrien Genecand, Emmanuel Kilchenmann. Confier à ces personnes de valeur des missions pour préparer la guerre d’hier, plutôt que celle de demain, serait bien plus grave qu’une erreur tactique et morale : ce serait une faute politique. Impardonnable.

 

Pascal Décaillet, Sur le vif , Dhimanche 03.01.16 

 

4 commentaires

  1. Posté par voxdev le

    Très bon article, M. Décaillet.
    Bien que je vous lise de France, vos préoccupations sont légitimes. Chaque citoyen devrait s’enquérir sérieusement des problèmes liés à l’état l’armée de son pays, des options de stratégie de défense, etc… Pour une nation, à notre époque, plus que jamais, la chose militaire revêt une importance capitale.
    En France, à ma grande tristesse, l’armée a été mise en coupe réglée par choix délibéré d’hommes politiques peu dignes de leurs fonctions (la décence m’interdit de livrer le fond de ma pensée).
    Pour mesurer l’étendue des dégâts occasionnés par ce plan de démantèlement absurde, je propose de visionner un exposé du Colonel Régis Chamagne* :

    https://www.youtube.com/watch?v=FcVbCoxynRA

    * Ancien commandant de Base (notamment celle de Bordeaux), Colonel retraité de l’Armée de l’Air.

  2. Posté par zala boris le

    Guerra convenzionale e asimmetrica.Non è necessario che tutti siano qualificati,ma bisogna avere sempre reparti di elite. Nell`esercito questi effettivi si possono aumentare o diminuire in base alla minaccia.Dagli istruttori professionisti,a reparti di antiterrorismo con il grado di prontezza immediato da sostegno a tutte le forze dell`ordine.

  3. Posté par zala boris le

    riflessioni importanti,ma il problema di avere un esercito di 100.000 uomini in caso di crisi,sono pochi,perché come facciamo con i ricambi o sostituzioni?Dopo un mese di mobilitazione si possono cambiare le truppe cosicchè la macchina economica funziona sempre.Se no come fa una persona a riprendere il proprio lavoro e famiglia?Anche da pensare,
    avere ad esempio 50000 riservisti in più,questi non vengono a costare,perché verranno impiegati solo in estremo bisogno.

  4. Posté par Barbier le

    Très bonne artictle, personnelement j’ai fini mon service (long) militaire en 2009, et aujourd’hui je me demande si les politiques et l’armée sont préparé a la vague guerrière qui approche, que ce soit face aux terroristes ou l’afflue massif de gens qui méprise le droit Suisse ou occidenteaux.

    Et quand je vois ce qui ce passe dans le monde et cette volonté de certains de faire de notre pays d’origine Chrétienne un pays laïque qui renie ses Origine, pour quoi ? Pour plaire au autres et parètre ouvert a tout et rien… c’est bien triste. Je souhaite vraiment que les politiques et l’armée décide de protèger notre identité Natonal, Fédéral et culturel au risque de déplaire au monde.

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