Le Point.fr : Si la droite remporte ces régionales, elle n'apparaît pas aux yeux des Français comme une alternative suffisamment forte au gouvernement socialiste. Son message serait-il flou ?
Laetita Strauch-Bonart, spécialiste du conservatisme : Cela fait bien longtemps que les électeurs en France ne votent plus « pour », mais « contre ». La droite mérite donc sa semi-victoire aux régionales comme F. Hollande a mérité la sienne en 2012. En revanche, personne ne comprend vraiment ce qu'est la droite aujourd'hui. Le gaullisme avait du sens : il reposait sur la personne exceptionnelle qu'était de Gaulle et sur la volonté de reconstruire la France après la guerre. Chirac a rongé cet héritage jusqu'à la moelle, tout en ne faisant rien. On a pensé en 2007 que Sarkozy était une rupture, mais en quelques années tout s'est effondré, car ses qualités – son énergie, son sens politique – ont fait ses faiblesses. Aujourd'hui, la droite est au point mort, avec une rhétorique de l'unité qui n'est que la caricature d'elle-même. Pour paraphraser Edmund Burke, un parti qui n'a pas la capacité de changer n'a pas celle de se conserver.
Les deux lignes, celles de Juppé et celle de Sarkozy, pourront-elles continuer à cohabiter longtemps ?
Peut-on vraiment parler de lignes ? Admettons : nous avons un centriste et un bonapartiste. Juppé est, dans la lignée de Chirac, un post-gaulliste. Il s'est dit récemment « libéral, gaulliste et social », ce qui ne veut pas dire grand-chose. Sarkozy est ennuyeux comme jamais : il a repris ses vieilles antiennes – réforme de l'État, sécurité –, mais personne n'y croit plus, car il n'a eu de cesse de changer d'avis. Certes, l'inconstance (pour ne pas dire l'inconsistance) idéologique est une marque de fabrique à droite, mais Sarkozy la pratique comme personne.
La confusion idéologique de LR est donc telle qu'une fois de plus, ce sont les rapports de force qui vont dominer le parti. Sarkozy le domine, mais les régionales changent la donne, car c'était la dernière prise de température avant 2017. Ses vainqueurs, à droite, à commencer par Bertrand et Pécresse, crèvent l'écran. Ils vont devenir incontournables parce qu'ils sont désormais indépendants du bon vouloir du parti. En 2007, Sarkozy les avait faits ; maintenant, ce sont eux les faiseurs de rois. La bataille entre Sarkozy et Juppé va donc se poursuivre, mais il faudra regarder avec attention les alliances qui vont se constituer dans le parti.
Quelles leçons Les Républicains pourraient-ils tirer du Parti conservateur britannique?
Ce qui manque à la droite française, c'est d'« internaliser » le débat idéologique. Elle est un mélange de bonapartisme, de proximité avec les grandes entreprises et de républicanisme. Certes, elle peut avoir le sens de la bonne gestion, et elle a mené des réformes importantes. Mais qu'en est-il des courants habituellement associés à la droite, le conservatisme et le libéralisme ? Ils sont absents. Ils se développent donc à la marge, hors du parti. En France, les courants « conservateurs » sont volontiers excessifs. Version Zemmour ou catholique, ils détestent le libéralisme sous toutes ses formes, sans même s'interroger sur son véritable sens – or, le libéralisme est d'abord la séparation des pouvoirs et l'État de droit, ce qui n'est pas rien ! Les « libéraux » sont dogmatiques, et pensent que libérer l'économie est similaire à autoriser la GPA, parce qu'ils confondent l'autonomie et la liberté. Entre les deux, les politiques à la LR sont paralysés, n'osant pas tremper un orteil dans ces eaux troubles.
Cette configuration, présente depuis le XIXe siècle, a empêché la droite de construire un vrai parti conservateur au sens britannique, à la fois libéral et conservateur. Le Parti conservateur britannique a su le faire. Résultat, il possède aujourd'hui une colonne vertébrale solide, mais aussi une très grande diversité de positions intermédiaires. Vous y trouverez par exemple des libertariens qui veulent sortir de l'Europe, ce qui est introuvable chez nous. La nécessité de compromis interne est constante. Le destin mitigé de Ukip en est la preuve : la stratégie de Cameron a été de proposer un référendum sur l'adhésion à l'UE. C'est un pari dangereux, mais qui a permis de replacer le débat sur l'Europe dans le parti, tout en asséchant Ukip.
Pourquoi l'existence de ces deux courants est-elle importante ?
Le succès du FN montre que la droite classique ne sait plus répondre à ses électeurs. Les deux principales raisons du vote FN sont le chômage et l'« insécurité culturelle ». Or, je ne vois pas de meilleure façon d'y répondre que d'adopter une politique économiquement libérale et culturellement conservatrice. Ces positions n'ont rien de contradictoire, au contraire. Après des décennies d'aides publiques, on voit bien que la reprise économique ne peut pas reposer sur l'État, mais sur l'initiative économique. Ensuite, beaucoup de Français souhaitent que leur culture soit respectée : que l'intégration soit un devoir, que l'école joue son rôle, que l'État de droit fonctionne, et qu'on ne réinvente pas tous les quatre matins les règles de la filiation. Vous ne pouvez pas convaincre les gens ordinaires que la liberté est la panacée s'ils n'ont rien de stable auquel se raccrocher. Certes, la Grande-Bretagne n'est pas la France – son régime parlementaire est très développé, et les idéologies conservatrices et libérales ont des racines profondes. On ne réécrira pas notre histoire, mais on pourrait au moins souhaiter que LR cultive enfin la diversité idéologique.
Mis en page par Michel Garroté, 17.12.2015
Source :
http://www.lepoint.fr/chroniques/en-france-les-conservateurs-detestent-le-liberalisme-17-12-2015-2003266_2.php
En effet la France n’est pas historiquement et culturellement la Grande -Bretagne.Les catholiques invoqués ici, qui oscillent encore éventuellement d’un tour à l’autre entre l’enlisement et l’inconnue ne sont généralement pas “anti libéralisme” .Ils sont par contre anti ultralibéralisme ce qui est sensiblement différent.L’ultralibéralisme caractérisé en son temps par le Pape Jean-Paul II , c’est le libéralisme poussé à l’extrême qui réduit l’homme au rang de matériau, de recherche, de labo, de produit de vente sur catalogue, le cas échéant en kit , ect… C’est ainsi lui, bien plus que le socialisme et le marxisme, qui s’efforcent de sur-exister en s’accrochant à sa remorque ,qui aboutit -grâce lui en soit rendue- à réveiller enfin et à réveiller, non seulement les “cathos” , mais tous les hommes de bonne volonté épris d’humanité authentique .
C’est d’ailleurs sur ce point que le gaullisme a loupé le coche . Car son acception de l’humanité , pour le moins sommaire, l’a conduit a promouvoir dès 1974 l’avortement, dont le résultat glaçant, si j’ose dire, est l’hiver démographique que nous connaissons aujourd’hui, et qui , qu’on le veuille ou non a créé l’appel d’air que l’on sait, et qui se paye cash aujourd’hui.
L’approche économique , c’est évidemment important en politique , mais sans apport d’une réflexion transcendantale ,c’est peut-être un peu réducteur, non ?
En tout cas , si par extraordinaire on s’évertuait à en douter, les faits prouvent que cela ne marche pas .
Il semble être plus que temps de s’en apercevoir. Car aujourd’hui même la spéculation la plus “libérée” devient de plus en plus aléatoire.
Un minimum de sagesse ne nuirait à personne, pas même à la déesse économie !
db
“Or, je ne vois pas de meilleure façon d’y répondre que d’adopter une politique économiquement libérale et culturellement conservatrice. Ces positions n’ont rien de contradictoire, au contraire. ” Voilà enfin quelqu’un qui raisonne clairement et justement. L’État est totalement incompétent en matière d’économie, il doit laisser faire les entreprises sans les harasser de directives, codes ubuesques et taxes. Et en même temps, il doit remplir ses rôles régaliens de sécurité intérieure, défense nationale et diplomatie. Quant aux mœurs, on aurait tort de les appeler “libérales”, elles sont “libertaires”, c’est-à-dire perverses, et contraires à la vertu que l’on attend du libéralisme. Il est donc normal d’être “conservateur”, c’est-à-dire continent, en matière de mœurs, tout en étant “libéral” en matière d’économie.
db