Les détails émergent peu à peu sur les attentats du Vendredi 13 Novembre à Paris. En particulier sur la piste franco-belge et les identités des opérateurs. Il n’est pas sûr que tout sera porté à la connaissance du public, il n’est pas sûr que l’on ne mélangera pas information, désinformation et manipulation. Les enjeux politiques sont en effet graves et évidents. Comment obtenir le consensus de populations sur les réactions sécuritaires et militaires, comment justifier les politiques de frontières ouvertes, comment même justifier les multiples interventions extérieures etc. Et puis il y a la mise en cause des principes et des priorités qui animent le gouvernement, son angélisme, son goût pour les « bisous », son appétit de victimisation, bref, c’est tout le style « robinet d’eau tiède » presque anti-français qui est en balance.
L’Etat Islamique a revendiqué les attaques, mais cela ne signifie pas grand-chose. Tout au plus, on sait que l’on n’a pas affaire à des loups solitaires, et que la préparation, coordination, ont été sérieuses, mais on ignore le degré d’implication de l’organisation islamique elle-même. Y a-t-il eu formation au-delà de l’endoctrinement? Fourniture de moyens, de fonds, et même encadrement sur place par un opérateur « professionnel » de l’Etat Islamique? Et puis, il y a le décodage des intentions stratégiques, quelles sont les objectifs, au-delà de frapper, de faire mal, de terroriser et de faire pleurer : les attentats ont un sens, ils s’inscrivent dans une logique qui, elle-même, est nouvelle, et qui, à ce titre, doit être trouvée et surtout interprétée. Ainsi la référence aux attentats du passé, ceux commis à Madrid, vient à l’esprit. S’agit-il d’obtenir de la France un retrait de ses opérations militaires ou bien, au contraire, de la forcer à l’escalade. La technique et la philosophie d’Al Qaeda était mieux connue, mais celle qui anime l’organisation d’ISIS, elle, est moins transparente, plus complexe, voire plus confuse. Or, c’est uniquement si on perce à jour les stratégies directes et indirectes que les réponses seront appropriées.
Les islamistes d’ISIS ont déjà obtenu un grand succès, ils ont obtenu que les attentats changent de dénomination de la bouche même de Hollande, il a enfin reconnu qu’il s’agissait d’actes de guerre. Cela introduit une dimension nouvelle, plus authentique, que les dénominations antérieures « d’actes de terrorisme ». Le sujet, la réflexion sont ainsi libérées et élargies, les marges de manœuvre plus grandes au prix d’une interprétation différente qui pose la question de la guerre menée par la France en différentes parties du monde, Irak, Syrie, Mali, Libye. La question de la légitimité de ces guerres menées par la France devient un objet de débat, alors que cet élément était occulté.
Et puis, il y a cet autre succès qui est l’élargissement du conflit, Hollande a mis en cause l’OTAN, les alliés de la France, on évolue vers un « bloc contre bloc », ce qui est, selon certains textes, l’un des objectifs poursuivis par les stratèges d’ISIS, ils espèrent que dans ce « bloc contre bloc », les islamistes de l’intérieur seront de plus en plus mal à l’aise, remuants, et « que leur conscience politique et religieuse » s’éveillera. Les stratèges veulent l’extension déstabilisante du conflit en généralisant l’horreur. Ils veulent que leur atout exceptionnel, qui est celui que certains qualifient de Cinquième Colonne, ils veulent que cet atout devienne agissant. C’est ce qui va se passer avec le durcissement des mesures de sécurité qui ne peuvent être qu’au faciès et l’élargissement géographique des conflits. Divisions internes et externes font partie des objectifs.
Opérationnellement, il va rester à voir si la riposte dont parlent les autorités françaises va se traduire par de nouvelles orientations militaires. La lutte guerrière de la France jusqu’ici a été concentrée sur le Sahel et moins sur l’Irak et très peu sur la Syrie. Comment intensifier les représailles sur la Syrie? Le ciel est déjà très chargé, il y a peu de place pour un nouveau participant aux frappes, et pour quelle efficacité autre que cosmétique? Les options au-delà des rodomontades sont limitées. Plus de frappes en Irak? Plus d’aide aux forces anti-ISIS avec les risques détournements? Instructeurs sur place, voire commandos expéditionnaires? Le plus probable, sinon le plus aisé, est l’action intérieure domestique, elle est à portée de main, visible, lisible par la population, mais elle a un inconvénient majeur, elle désigne des ennemis, des lieux, des zones. Des banlieues, ce que le gouvernement voudrait éviter.
On aurait tort de négliger l’affaire des vrais ou faux passeports qui a surgi dès les premières heures. Cette affaire a une dimension politique européenne évidente, puisqu’elle aboutit à mettre de l’huile sur le feu de la question migratoire, elle divise et révèle les fissures de la zone. Cette fissure s’ajoute à toutes les autres, elle les renforce et les magnifie. Elle fait résonance. La question de Schengen vient à l’esprit, mais cela va au-delà, car, derrière Schengen, c’est toute une philosophie de l’Universel, des Lumières, de Gauche. On peut sans trop se tromper affirmer que derrière l’idéologie de l’ouverture des frontières, il y a tout le débat du monde moderne, celui de la droite conservatrice contre la gauche sociale-démocrate mondialiste, celui de la nation, de la famille, de la propriété contre les idées modernistes, socialistes, dirigistes des élites financiarisées. On va voir les lignes de partage devenir plus nettes, le vocabulaire plus précis, et donc les camps se former avec les alliances qui vont en découler. Ainsi, on observera le clivage grandissant avec les pays de l’est comme la Pologne, laquelle a été très claire et dure, elle relie les évènements à la politique migratoire. Au sein de majorités sociales démocrates, les consensus même volent en éclat comme l’attestent les protestations de l’aile droite bavaroise de la majorité de Merkel contre sa politique migratoire. La prééminence allemande va peut-être plus souffrir de ces questions de frontières ouvertes ou fermées que des questions économiques et monétaires, la contestation est plus facile.
Nous n’insisterons pas sur la France: il est évident que l’opinion publique va glisser vers les idées de protection, de sécurité, et donc de clôture. Tout cela va dans le sens de l’approfondissement des clivages sur les questions comme l’immigration, les migrations, le droit d’asile, le soutien des minorités, la politique atlantiste, l’attitude face aux Russes,… Il va y avoir un glissement en même temps qu’un raidissement vers des thématiques de repli et de conservation. Il est même possible, compte tenu des faibles capacités intellectuelles du monde politique, que ceci contribue à faire ressortir plus nettement la réalité de l’UMPS et des faux clivages entre la fausse droite et la fausse gauche, ce qui serait pain béni pour le Front National. Ce ne seront pas les pitoyables appels à l’unité de Hollande et de Valls qui seront à la hauteur des dramatiques défis qui se présentent à nous.
Bruno Bertez, 15 novembre 2015
Merci pour la mise en évidence de ces logiques. Je crois que pour beaucoup on voit le mur venir. Je me demande d’ailleurs si le flot des 10’000 clandestins par jour est maintenu à la frontière slovène, d’ailleurs, avec toutes ces frappes il devrait s’intensifier. Ceci étant dit, j’ai à coeur d’ajouter qu’il est erroné de demander aux musulmans “modérés” de se désolidariser des musulmans “radicaux” car les griefs exprimés violemment par ces derniers sont les griefs de l’ensemble de leur communauté et c’est là que le “padamalgam” fait pschitt . Pour moi, la seule issue viable, c’est à dire politique, à cette situation cauchemardesque, est d’écouter ce qu’ils ont à dire. Et il faudrait commencer par présenter Bush, Cheney et toute la clique Halliburton & Co devant un tribunal pénal international.
Voici la meilleure analyse que j’ai lue depuis le 13 novembre! Bravo M. Bertez pour votre lucidité et votre clarté.