Editorial
Bel automne
Souvenir d'Eveline Widmer-Schlumpf. Bonnes nouvelles d'Europe.
Nous nous sommes personnellement rencontrés pour la première fois en décembre 2007 dans l'émission «Arena», peu après son élection qui avait précédé la non-réélection surprenante de son prédécesseur. Tous les partis, sauf l'UDC qui y avait volontairement renoncé, étaient présents. C'était comme au temps de l'école quand les élèves faisaient la foire parce que l'enseignant était malade. Le déboulonnage du ministre de la Justice Christoph Blocher transportait de joie ses adversaires ainsi que les responsables de son éviction. J'étais probablement alors le seul sur le plateau qui se sentait dégoûté par toute cette fausse jubilation.
L'émission tourna en hymne à la femme qui ne devait son ascension au Conseil fédéral que parce qu'elle s'était mise à la disposition des adversaires de son parti pour une intrigue. J'aurais eu moins à redire quant à la trahison d'Eveline Widmer-Schlumpf, même si c'était objectivement une erreur, si cette femme politique s'était positionnée franchement et sur le fond contre son parti et son aile zurichoise avant les élections – en en acceptant tous les inconvénients.
Or, il ne s'était rien passé de tel. Widmer-Schlumpf surfait discrètement et avec opportunisme sur la vague du succès de l'UDC. Elle ne s'est pas même insurgée contre la décision des délégués de ne pas accepter de candidatures rivales au sein du parti contre les conseillers fédéraux en poste Blocher et Schmid. Ce n'est que quand on lui remit le poignard dans l'ombre qu'elle se mit volontiers au service des adversaires. Le contraire du courage n'est pas la lâcheté, mais la traîtrise.
Près d'une heure durant, les détracteurs de Blocher ici rassemblés se sont répandus sans conteste en éloges. La nouvelle élue a été frénétiquement félicitée pour sa prétendue vaillance, pour sa courageuse résistance – totalement inexistante jusque-là. La politique est aussi l'art de construire la vérité qui convient à son propre groupe, de dessiner une image de la réalité qui sert ses intérêts politiques respectifs. Je ne sais plus exactement ce que j'ai dit lorsque le présentateur me tendit pour la première et unique fois le micro. En substance, la phrase voulait dire que ce n'était pas une bonne base d'asseoir sa carrière fédérale en bernant son propre camp. Comme la tourelle d'un char, la tête de la conseillère fédérale se tourna lentement dans ma direction. De son regard émanait une froideur fascinante.
Maintenant, cette femme inapprochable se retire. Peut-être suis-je vieux jeu, mais en politique aussi le caractère et l'intégrité devraient jouer un certain rôle. On ne peut pas mesurer un conseiller fédéral, sans réelle légitimation démocratique, uniquement à l'aune de l'apparente perfection de la gestion technique de sa charge, ce qui n'était même pas le cas de Widmer-Schlumpf, comme l'a montré son action destructrice au sein de l'Office des migrations.
La Grisonne rentrera dans les notes de bas de page des livres d'histoire comme une femme politique qui a mis, d'une manière une fois de plus presque admirable, ses propres intérêts au-dessus de tout le reste. Widmer-Schlumpf dément de nouveau la légende qui prétend que les femmes sont le sexe faible. On peut aussi le voir comme une contribution à la connaissance.
Pour ma part, j'aurais souhaité qu'elle eût utilisé son arrivée par des moyens retors au pouvoir relatif du Conseil fédéral, au moins, pour y mener une bonne politique bourgeoise libérale dans l'intérêt de la Suisse. Encore une erreur. Elle est demeurée une terne auxiliaire de ses électeurs de gauche au parlement et une exécutrice des chantages de l'étranger contre la place financière et fiscale suisse.
Que, depuis des années, la presse la couvre de louanges pour son travail au gouvernement en dit long sur l'indépendance et la position idéologique de nos éditeurs. Apparemment, tout mensonge reste vrai tant qu'il s'agit de s'opposer à Blocher. Les camarades de parti qui ont fidèlement suivi l'intrigante sur son projet d'ego émergent d'un mauvais rêve.
Les temps sont durs, mais intéressants. Je ne considère pas la débâcle migratoire aux frontières extérieures de l'Europe comme une première étape du déclin de l'Occident, mais comme un révélateur. La misère institutionnelle de l'Union européenne sera plus visible avec chaque jour qui passe. À l'heure qu'il est, des millions de cerveaux sont probablement en train de cogiter sur des réformes et des changements dans la zone UE.
Personne n'est contre une collaboration entre les États-nations européens. La question réside seulement dans la façon dont nous devons organiser cette coopération. L'UE représente le modèle dit supranational qui veut détacher des pans de la souveraineté nationale pour les ancrer à un niveau supranational. Cette méthode n'a à ce jour pas été couronnée de succès. Les traités de l'UE sur l'euro, sur la sécurité des frontières (Schengen) et sur la politique d'asile (Dublin) le montrent.
La conviction que le projet européen a présumé de ses forces sur le plan politique gagne du terrain. Les principales impulsions de réflexion allant dans ce sens viennent de Grande-Bretagne et de l'Est de l'Europe, où la reconquête de l'indépendance nationale, après des décennies de dictature soviétique, a déchaîné des énergies libérales plus fortes que dans les États d'Europe de l'Ouest qui ont connu des expériences historiques différentes. L'UE de demain fera plus grand cas du poids que pèse le national. Dans le cas contraire, l'UE volera en éclats.
L'envahissante arrogance des élites européennes est sévèrement sanctionnée dans les urnes. Les électeurs et les peuples veulent être pris au sérieux. Les arrogants échouent, confer la Pologne. Les gens croient de moins en moins aux bienfaits promis d'en haut de cette structure européenne. La politique redescend des sommets intellectuels sur terre et reprend pied dans l'histoire. C'est déjà un pas.
Un espoir, mais aussi une certitude: les Européens font partie des individus les plus capables d'apprendre sur Terre. Ils ont toujours été en mesure de convertir leurs prétendus déclins en étonnantes renaissances.
Roger Koeppel, Editorial Die Weltwoche, 6 novembre 2015
Quelle éditorial extraordinaire, j’aime beaucoup la conclusion: “Les Européens font partie des individus les plus capables d’apprendre sur Terre. Ils ont toujours été en mesure de convertir leurs prétendus déclins en étonnantes renaissances”. Bravo M. Koeppel
Relevons un passage de l’éditorial de Roger Koeppel : ” La politique est l’art de construire la vérité qui convient à son propre groupe, de dessiner une image de la réalité qui sert ses intérêts politiques respectifs.”
Le libre débat public consiste justement à déconstruite les mensonges qui sont le socle du système dominant, raison pour laquelle le système dominant se défend en tentant de bâillonner les “lanceurs d’alertes” grâce à des prétextes ou la mauvaise foi se dispute à l’arrogance du profiteur, mais sans jamais aborder le fond de la question.
Un article passionnant de Horizon et débats, sur le blog de Madame Liliane Held- Khawam.
“Comment on aurait forcer la Suisse à abandonner la couverture-or”
https://lilianeheldkhawam.wordpress.com/2015/11/06/comment-on-aurait-force-la-suisse-a-abandonner-la-couverture-or/