L’Occident n’a pas détruit le mur de Berlin, mais l’a déplacé à la frontière russe

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Extrait d'une Conférence d'Alexandre ORLOV, Ambassadeur de la Fédération de Russie en France à l'Institut Diderot, Paris, le 8 octobre 2015 :

O"[...] les premiers à accuser la Russie de violation du droit international sont ceux, qui ces dernières années n'arrêtaient pas de piétiner ce même droit. Ceux – qui avaient soutenu les séparatistes kosovars en leurs envoyant des porte-avions et en bombardant Belgrade pour arracher à la Serbie un quart de son territoire historique. Ceux qui avait aidé les insurgés libyens et ont transformé cet état en "terre du chaos". Ceux qui aident aujourd'hui les insurgés en Syrie. Mais après une année de bombardement et plus de 5 000 frappes américaines l'Etat Islamique n'a jamais était aussi fort. D’ailleurs, les sanctions contre la Russie constituent elles mêmes une violation flagrante du droit international. Je pourrais citer bien d'autres exemples de la politique de "deux poids deux mesures" de nos partenaires occidentaux. Mais le plus important reste ailleurs.

Chaque fois que j'entends des accusations à l'égard de mon pays, la même question me revient à l'esprit. Tous ces hommes politiques, diplomates ou journalistes français qui trouvent normal de détruire les relations avec la Russie à coup de sanctions, ne voient-ils pas, ne comprennent-ils pas des choses évidentes? Ne comprennent-ils pas à quel point les mythes d'une supposée "agression russe" contre l'UE et l'OTAN sont-ils absurdes? De même que les comparaisons de mon pays avec Ebola et Daech? Ne se souviennent-ils pas que l'Ukraine doit ses frontières actuelles à Lénine Staline et Khrouchtchev – qui ont progressivement attaché aux terres ukrainiennes les régions russes entières du Sud-Est, allant de Donbass à Odessa. Ne savent-ils pas qu'à partir de la désagrégation de l'URSS une "ukrainisation" forcée a été opéré en Ukraine? Une vraie offensive contre la langue et la culture russe a provoqué le mécontentement des régions russophones et a semé les grains de la guerre civile actuelle. (A cet égard je peux vous conseiller de relire le chapitre sur l'Ukraine (La tragédie slave) du livre de Soljenitsyne "La Russie sous l'avalanche", publié il y a 17 ans. Le grand écrivain avait vraiment le don de prophétie).  N'était-ce pas sous les yeux de ces mêmes gens que les protestations de Maïdan ont tourné en révolte nationaliste et russophobe? Ils n'ont peut-être pas vu arriver au pouvoir les nationalistes ukrainiens? Ceux qui proclament ouvertement l'objectif d'une nation mono-ethnique et vénèrent comme héros nationaux les sbires nazis – Bandera, Choukhevytch et autres bourreaux de l'Armée Insurrectionnel Ukrainienne – responsables du massacre des Polonais en Volhynie en 1942 et de la Shoah en Ukraine? Ils ne voient toujours pas que le bataillon ukrainien "Azov" arbore le même écusson que la division SS "Das Reich" tristement célèbre pour le massacre à Oradour-sur-Glane? Ne comprennent-ils pas que la guerre civile en Ukraine ce n'est pas un conflit entre les partisans et les adversaires de la démocratie, comme les médias occidentaux essaient de la présenter d'une façon caricaturale? Que c'est le soulèvement populaire contre le nationalisme agressif ukrainien? Je crois qu'au fond de leurs cœurs ils comprennent tout cela très bien. Le problème n'est pas là.

Je ne peux pas m'affranchir du sentiment que la France joue le jeu d'autrui et selon les règles qu'on lui impose. Le jeu dont elle me parait être plus victime, que complice. Le jeu ou elle ne fait que suivre aveuglement les forces qui cherchent une confrontation avec la Russie.  Quelles sont donc ces forces?

Avant tout les Etats-Unis. Leur politique est d'arracher la Russie à l'Europe, d'empêcher la formation d'un pôle eurasien, qui pourrait mettre en cause leur hégémonie universelle. Ils cherchent à faire de l'Union Européenne un satellite docile, effrayé par "la menace russe". Obligeant les pays d'Europe à tourner le dos à leur partenaire naturel à l'Est, les Américains affaiblissent non seulement la Russie, ils affaiblissent l'Union Européenne, détruisent son potentiel économique et sa souveraineté politique. Washington a toujours besoin de designer quelqu'un comme ennemi. Il en a besoin pour justifier les dépenses militaires croissantes et l'existence même de l'OTAN.

Les Américains jouissent également de l'aide serviable de quelques membres de l'UE de l'Est de l'Europe, qui ont fait de la russophobie un élément de leur identité nationale. Ces Etats commencent à avoir de plus en plus d'influence sur la politique internationale commune de l'Union Européenne. Ils ont su transformer sa politique de voisinage en un outil de lutte pour les sphères d'influence dont nous sommes en train de vivre les conséquences en Ukraine.

Après la chute du mur de Berlin les Russes espéraient sincèrement que l'Europe rentre dans une nouvelle époque – sans lignes de partage ni confrontation des blocs. On espérait que la lutte pour les sphères d'influence sur notre continent appartenait désormais au passé. Que "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural" dont rêvait Ch. de Gaulle et la "Confédération européenne" voulue par F. Mitterrand pouvaient enfin devenir réalité.

Toutes ces années, la politique extérieure de la Fédération de Russie était soumise à la logique d'intégration avec le monde occidental. Toutes nos initiatives visaient le rapprochement avec l'Union Européenne. Nous avons pris le cap d’un espace économique et humain commun, du système de sécurité égale et indivisible, de la lutte commune contre l'islamisme radical et autre menaces universelles. Il faut dire qu'en Europe et même aux Etats-Unis il y a eu des hommes politiques lucides et indépendants qui proposaient d'en finir avec les vestiges de la guerre froide et prônaient le rapprochement avec la Russie. F. Mitterrand, J. Chirac, G. Schröder, S. Berlusconi, N. Sarkozy… Nos efforts communs ont donné des résultats – des grands projets économiques et politiques ont vu le jour.

Mais en même temps certains outre-Atlantique et en Europe voient le monde autrement. Pour eux, il doit rester unipolaire. C'est pourquoi ils suivent un autre cap – celui de l'endiguement de la Russie, qu'ils considèrent comme leur rival géopolitique № 1. Aujourd'hui c'est la ligne des néoconservateurs qui triomphe, et il en existe plusieurs preuves. L'élargissement méthodique de l'OTAN et l'avancement de son infrastructure militaire vers nos frontières; la construction aux frontières de la Russie du bouclier antimissile destiné à dévaluer son potentiel nucléaire; le soutien apporté à tous les mouvements antirusses dans notre voisinage, y compris ceux ouvertement néonazis; le soutien de l'islamisme radical dans le Caucase du Nord; la diabolisation constante de la Russie dans les médias; les tentatives de torpiller nos liens économiques avec les pays voisins, y compris par le biais du "Partenariat oriental". A partir de notre expérience d'aujourd'hui on voit très bien que nos partenaires occidentaux n'ont pas détruit le mur de Berlin. Ils l'ont juste déplacé à la frontière russe. [...]"

 

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