Réacs et bien-pensants

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Revenus à des concepts prémarxistes, empreints de moralisme et dépourvus de vertu analytique, le seul débat qui occupe les esprits de nos élites médiatiques se réduit aujourd'hui à un classement entre « réacs » et « bien-pensants » ! Un réflexe qui annihile les nuances des pensées et cache un véritable débat de fond, un enjeu réel qui porte sur la nature de la France, pour ne pas dire sur son identité.

Voilà l’une des conséquences de la fin du marxisme ordinaire et de la vision de classes de la société. Loin d’avoir progressé en rigueur, nous sommes revenus à des concepts prémarxistes, empreints de moralisme et dépourvus de vertu analytique : « réacs » et « bien-pensants » ! Je vous demande un peu ! Nous nous imaginions dans le « postmodernisme » et nous voilà revenus à l’ère de la reine Victoria (1837-1901). Tout est désormais dans l’apparence, le conformisme social, l’affectivité. On ne dit pas quartier populaire ou immigré, on dit quartier sensible ; on ne dit plus fasciste, ou raciste, on dit nauséabond.

Qu’est-ce qu’un « réac » aux yeux d’un « bien-pensant » ? Un dissimulateur, un homme qui avance masqué, qui habille sa détestation des minorités en amour du peuple réel, sa haine de l’islam en apologie de la laïcité, son refus de l’étranger en culte de l’identité nationale. Et qu’est-ce qu’un « bien-pensant » aux yeux d’un « réac » ? Un bobo antiplébéien qui dissimule son indulgence pour la drogue en sévérité pour l’alcool, son indifférence envers la malaria en militantisme contre le sida, son relativisme quant à la criminalité ordinaire en sévérité pour le racisme, son ralliement au capitalisme mondialisé en critique du souverainisme, et sa phobie du christianisme en indulgence éperdue pour l’islam.

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J’ai des amis des deux côtés et des idées dans les deux camps. Pour autant, je ne suis pas en train de fonder un tiers parti ; j’ai déjà assez de mal à comprendre ce qui se passe, et je me demande si cela n’est pas le plus urgent. Que s’est-il passé qui mérite réflexion ? Une fois éclusées les banalités d’usage sur le narcissisme des intellectuels et les effets simplificateurs de la télévision façon Ruquier, un fait culturel important : la gauche morale, la gauche des droits de l’homme a pris le pouvoir dans les élites et les médias, tandis que la droite populaire, celle de la décence ordinaire – la common decency d’Orwell – s’est emparée du peuple. A la première l’opinion, à la seconde les élections, comme on le verra en décembre.

Rien de plus significatif que l’évolution de l’expression de « bien-pensants » que la gauche morale se prend aujourd’hui dans la figure après en avoir assaisonné pendant des décennies ses adversaires de droite. « Bien-pensant » s’appliquait traditionnellement aux milieux bourgeois et aux dames patronnesses. Alors, vous pensez, quand la gauche Libé se voit retourner le compliment, quels grincements de dents… Jusqu’à ce que Laurent Joffrin se décide l’autre jour à l’assumer. Nos sobriquets deviennent notre marque de fabrique.

Des campus américains est venue l’expression de « politiquement correct » qui est l’équivalent de cette bien-pensance à laquelle Georges Bernanos a donné ses lettres de noblesse (1). Jean-François Kahn a forgé l’expression de « pensée unique ». Déjà, Gramsci avait parlé au début du XXe siècle d’hégémonie culturelle.

Dans le cas particulier, la bien-pensance désigne le monopole de la parole légitime que détient désormais la gauche morale ; plus précisément, le passage de témoin du socialisme prolétarien de jadis à l’humanisme droit-de-l’hommiste. C’est en ce sens que cette gauche-là a abandonné le peuple. L’auréole de sacralité que portait le prolétariat, qui en faisait la classe élue, s’est estompée ; ce sont les exclus, les marginaux qui désormais en retirent un statut de sainteté morale. Quand on a dit que l’islam est la « religion des pauvres », on a seulement oublié que l’islam est aussi la religion des émirs d’Arabie saoudite et du Qatar. Mais, dans tous les cas, on reste dans le registre de la religiosité.

Ce débat quelque peu théologique dissimule un enjeu réel qui porte sur la nature de la France, pour ne pas dire sur son identité. La France doit-elle demeurer un pays unitaire, intégrateur, laïc et universaliste, ou doit-elle s’orienter vers la vision plutôt anglo-saxonne d’un pays multiculturaliste, dont l’identité est la résultante des communautés installées sur son sol ? Je vous renvoie sur ce point au remarquable numéro de la revue le Débat (septembre-octobre 2015). Pour ma part, j’ai tranché en faveur de la première solution, parce qu’elle est conforme à notre génie, et propre à nous éviter les guerres les plus menaçantes du monde moderne : les guerres culturelles. Sur ce point, je suis clairement du côté des « réacs » (2). Mais je me sens « bien-pensant » quand il faut faire sa place à la diversité des apports de l’immigration. Et je sais que nous pouvons compter pour cela sur beaucoup d’intellectuels musulmans, bien plus proches du modèle français que du modèle saoudien. Salut à Boualem Sansal et à tous ceux qui pensent comme lui.

Voilà le véritable débat national, qu’il faudrait mener dans le respect des personnes et des idées et non dans une atmosphère hystérique, à mi-chemin entre la guerre civile et la pantalonnade. Nous en sommes encore loin.

(1) La Grande Peur des bien-pensants, 1931. Un livre éclatant et impossible, une apologie d’Edouard Drumont, fameux antisémite du début du XXe siècle.
(2) Il y a pourtant des réacs multiculturalistes comme Pierre Manent : Situation de la France (Desclée de Brouwer, 2015).

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par blum le

    Je ne sais pas si Boualem Sansal se définit comme un ‘intellectuel musulman”; pas plus que Salem Benammar, dont j’ai lu des articles sans équivoque.
    Quant à l’assertion: “…il faut faire sa place à la diversité des apports de l’immigration”, je pense que cela ne se fait pas par décret politique, ni parce que l’on appartient à la caste “bien-pensante”.
    Si les personnes d’origine immigrée apportent quelque chose de positif au pays d’accueil, cela doit apparaître naturellement, par une contribution remarquable par tous (sans contrainte ), dans des domaines aussi différents que la science, l’économie, la médecine, les arts, la culture, la littérature, la musique, la mode même….
    Voyez-vous, “la main sur la conscience”, un apport remarquable de la charia dans l’un quelconque de ces domaines ?
    (J’ai en tête un exemple caricatural de votre site —ou de l’un de vos confrères sur la même longueur d’onde— , citant un imam bien abruti qui dégoisait , dans une mosquée , à BREST, je dis bien : A BREST, devant de tout jeunes adolescents qu’il enjoignait de ne surtout pas s’intéresser à la musique!).
    C’est là, du reste que l’on se demande: mais que fait la police ? surtout qu’en France, le ministre de l’Intérieur est aussi responsable des cultes.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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