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Chapitre III (6)
L’après-midi Karim me propose une promenade jusqu’au village suivant où il y a un petit magasin ... il n’a plus de cigarettes... C’est l’excuse pour aller faire un tour et se montrer avec sa cliente alpiniste avec laquelle il vient de réaliser l’exploit dont tout le monde parle... C’est l’occasion de rencontrer son ami Azhar...
En chemin, tout d’un coup, je pense aux boîtes de vêtements que j’ai envoyées.
-« Ces vêtements ne sont jamais arrivés ici... je crois qu’ils sont bloqués à Karachi... quelqu’un m’a dit que pour pouvoir les recevoir nous devons payer en dollars... »
Payer ! mais là n’est pas le but... Qu’est ce que c’est que cette histoire... J’ai le nom et l’adresse du bureau avec lequel l’expéditionnaire bâlois est en contact...
-« D’ici je ne sais rien faire... il me reste quelques jours avant de rentrer en Europe... Demain nous partons pour Karachi... nous allons voir sur place... »
Dans le village de Karim, l’électricité est rare : une faible ampoule pendouille au bout d’un fil dans le séjour. Il n’y a pas non plus de radio, ni télé, ni journaux, ni revues, ni de livres.
Les enfants ont leurs petites affaires d’école mais ce n’est pas grand chose...
Sur une étagère qui se trouve assez haut trône un livre qui est enveloppé d’un étui et enroulé dans un napperon fait au crochet...
-« Ca, c’est un coran... » me dit Karim...
Par hasard je lui demande :
-« Ah bon, et tu as lu ce qu’il y a écrit dedans ? »
Il me regarde goguenard...
-« Mais non enfin... le coran c’est un livre magique, personne ne peut lire ce qui est écrit dedans... on le récite comme on l’a appris à l’école coranique, mais pour nous cela ne signifie rien car on ne peut pas comprendre les paroles magiques... Il se trouve là-haut parce qu’ainsi il protège toute la famille ... surtout contre le mauvais œil... »
Je n’insiste pas...
Le soir, comme chaque soir, nous nous asseyons sur le toit ...
Derrière nous et en bas, le restant de la famille s’affaire dans la « cuisine » extérieure. Je crois qu’ils ont tué un mouton ... Des parfums exquis montent jusqu’à nous.
Les couleurs du ciel ont suivi leurs palettes chatoyantes comme chaque soir, mais en plus ce soir il y a pleine lune.
Karim a engagé le musicien du village, c’est un très vieux monsieur qui joue du sitar et chante des vieilles balades d’amour en langue burushaski... Karim traduit et en raconte les thèmes... des amours, encore des amours...
Nous fumons les cigarettes anglaises achetées cet après-midi et il cache sous les chaises la boîte dans la quelle il n’y a pas une lampe tempête mais une bouteille de whisky chinois de contrebande...
-« Il ne faut pas que ma mère voie ça... » dit-il avec la jouissance de la transgression...
Devant nous l’imposante silhouette d’une des plus grandes montagnes de la région : le Rakaposhi ... ce qui signifie « mur brillant », c’est avec ses 7788m la 27 ème plus haute montagne du monde.
Ce soir le Rakaposhi a une brillance toute particulière car la pleine lune s’est levée à gauche et sa course suit fidèlement le tracé de la silhouette de la montagne comme si elle la gravissait ...
Le parfum des abricots qui sèchent autour de nous, les fumets qui montent depuis la cuisine, les saveurs des mets qui nous arrivent, les vapeurs des distillés chinois, les cigarettes anglaises... et les notes plaintives du sitar donnent à cette soirée un romantisme enchanteur... comme au cinéma...
Il faut y ajouter que c’est notre dernière soirée, demain nous partons pour Pindi
.......
Karachi
Nous rejoignons Rawalpindi en parcourant tout ce tronçon de la Karakorum High Way en camionnette... C’est très long... il y a beaucoup de poussière...
La route n’est pas vraiment entretenue ... Les ponts sont magnifiques...
-« Ils ont été construits par les Chinois – précise Karim – malheureusement quand ils se détériorent il n’y a personne pour les réparer... »
En effet avant d’arriver à Karimabad nous en avons vu un qui avait été fort endommagé par un éboulement... et personne pour le réparer... La route non plus d’ailleurs... Le paysage est tellement immense... les flancs des montagnes sont si raides et si élevés... il y a constamment des éboulis avec des rochers si gros que pour dégager la route le travail serait titanesque. Il faudrait en permanence une équipe de cantonniers avec des bulldozers... Ben oui, payés par le gouvernement... mais pour cela il faudrait que les citoyens payent leurs impôts... C’est quoi ça, des impôts ?...
Nous avons parcouru un autre pont piétonnier, suspendu très haut, très aérien...
Normalement son tablier aurait dû être constitué de planches fixées transversalement ... mais les planches qui manquaient étaient plus nombreuses que celles qui étaient restées en place... Mais oui, c’était vraiment dangereux.
Shafi m’a tenue par le collet pendant toute la traversée de peur de me voir tomber dans le vide... Mais les habitants ? n’y a-t-il pas de femmes et d’enfants qui passent par ce pont ? Comment se fait-il que les habitants ne se donnent pas la peine d’aller y installer quelques planches ? de tout simplement remplacer celles qui se brisent ? ... pas de réponse... mais fatalement avec le temps et l’incurie ... tout se déglingue ...
Dès que nous arrivons à Pindi, je prends une chambre au Shalimar, enfin je vais pouvoir prendre une douche chaude et dormir dans un vrai lit. Karim en profite pour aller chez des connaissances et régler ses affaires avec monsieur Ashraf .
Karim et monsieur Ashraf me rejoignent pour le souper sur la terrasse. Cela reste le must des must... Nous racontons nos aventures... monsieur Ashraf est ravi et tellement fier de notre expédition qu’il fait appeler le manager de l’hôtel qui vient s’asseoir avec nous ...
Le lendemain Karim m’emmène dans un grand hôtel de luxe... Je dois me taire, c’est lui qui arrange les choses... nous sommes assis au fond du vaste hall d’entrée comme si nous prenions tout simplement une tasse de thé... Il a rendez-vous avec quelqu’un qu’il connaît et qui se charge du change de mes dollars... Je n’y comprends rien... je reçois un paquet énorme de roupies...
Quand il voit mon air ahuri il ricane « business is business »...
-« Ne me dis pas que c’est un change au noir... c’est illégal... »
Il prend un air comme pour me dire... "ma p’tite fille, si tu savais tout ce qu’il y a ici d’illégal" Nous allons réserver les billets d’avion pour Karachi ...
En arrivant à Karachi nous sommes étourdis, écrasés par la chaleur moite... En deux jours nous sommes passés des températures fraîches et de la haute altitude à la fournaise au niveau de la mer et à la pollution d’une ville énorme... c’est pénible...
Nous allons dans le premier hôtel qui nous tombe sous la main et ensuite au bureau de l’entreprise d’expédition : import export...
-« Ah... - s’exclame monsieur Bashir – vous voilà... bel embrouillamini... mais attendez... »
Il appelle un employé et l’envoie au restaurant d’en bas nous chercher deux assiettes de curry de poulet et de légumes...
En attendant il met à ma disposition sa salle de bains personnelle pour que je puisse me débarbouiller...
Le repas est exquis... le thé maintenant...
Enfin, il s’assied derrière son bureau et ouvre la chemise qui contient mon dossier...
-« Voilà – dit- il... Vos 32 boîtes sont bloquées à la douane car il faut payer pour les dédouaner, mais puisque ces boîtes y sont conservées depuis plusieurs mois vous devez aussi payer le loyer... cela vous fait 5000$ à payer... »
-« 5000 $ !!! mais le contenu ne vaut même pas 500$ ... ce sont des vêtements de deuxième main, des dons de charité pour les pauvres... »
-«Allez une fois expliquer tout cela au capitaine du port... »
Karim et moi nous nous écroulons...
Monsieur Bashir nous donne l’adresse de la capitainerie du port et les documents nécessaires et nous souhaite bonne chance...
Ca alors... on n’en revient pas... Bon, on va voir cela demain...
Karim m’emmène chez un cousin qui habite dans le quartier ismaélite...
Nous arrivons devant un très haut mur d’enceinte fermé par une grille en fer qui est gardée par un militaire en armes qui tient un doigt sur la gâchette de son fusil automatique...
-« Ia Allah... quel accueil... »
-« Oh, ici tu sais... quand il y a des émeutes ou des conflits entre religions ou ethnies ennemies... il vaut mieux être protégé ... »
L’ambiance...
Nous trouvons son cousin et passons la fin de l’après-midi ensemble. Ils tiennent surtout à me faire voir l’énorme hôpital construit par leur Aga Khan... le plus moderne de tout le Pakistan...
Le soir, Karim et moi rejoignons notre hôtel. Nous avons des chambres voisines, il y fait une chaleur torride... et en plus, c’est plein de moustiques : impossible de fermer l’œil... Je sors de ma chambre à la recherche d’un peu d’air moins chaud... Karim est assis dans le corridor... non, pas moyen de dormir... nous finissons par somnoler assis dans un fauteuil dans le corridor... Epuisée je lui suggère :
-« Ecoute, tu sais ce qu’on va faire ? Demain nous cherchons un hôtel 5 étoiles, garanti avec air conditionné et salle de bains... ça va coûter cher alors on va prendre une chambre pour nous deux, avec deux lits qu’on va faire déplacer de façon à ce que nous ayons notre privacy... mais au moins qu’on puisse dormir... »
C’est d’accord...
Dès que nous pouvons nous sortons, hélons un taxi et nous faisons conduire dans un hôtel chic.
Je laisse toujours Karim « parler pour moi »...
Il va, bien décidé, au comptoir de la réception :
-« Je désire une chambre pour deux personnes... »
-« Vos documents svp... »
Il donne nos documents, l’employé fronce les sourcils... il me regarde d’un air interrogateur...
-« C’est ma mère » – dit Karim d’un air dégagé ...
-« Ah bon – répond l’employé – alors tout est en ordre... » et il appelle un garçon qui nous conduit à notre chambre et en effet nous installe un des lits jumeaux d’un côté et l’autre de l’autre côté de la chambre puis il nous apporte un paravent à mettre entre les deux...
-« Ici on fait comme ça – précise Karim – quand on dit qu’une personne est notre mère cela signifie que c’est en tout bien tout honneur et qu’il n’y a pas à ergoter... »
Espérons que monsieur le capitaine du port pense de la même façon...
Merci pour ces lignes de plaisir ! j’attends le 16 avec impatience!