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Chapitre II (3)
Un autre chapitre est celui des femmes... Il est jeune et comme la plupart des Pakistanais beau garçon. En plus son éducation est séduisante, à l’anglaise et avec
la dignité et la réserve typique des « bonnes familles » et des musulmans...
Evidemment il attire l’attention des jeunes filles occidentales qui, par-dessus le marché, se disent qu’un médecin pourrait tôt ou tard devenir un bon parti...
Alors on l’invite... et pendant les soirées il y a des grillades mais avec du porc...
et on boit, mais rarement de l’eau... Il se sent exclu... Tout le monde s’amuse et lui se trouve piégé par ses principes religieux. Fatalement, ceux qui l’invitent arrivent à le considérer comme un faiseur de chichis... et alors on finit par ne plus l’inviter...
Les expressions « islamophobes » et « racistes » n’étaient pas encore à la mode, mais lui me dit que personne ne l’aime... J’ai beau lui dire que sí, on l’aime mais
que c’est lui qui complique tout, que c’est à lui de s’adapter... rien n’y fait...
D’autres jeunes filles l’invitent à aller se baigner... Ici c’est normal d’aller tous ensemble, garçons et filles, le long du lac ou le long des rivières... On se déshabille, on nage, on se laisse bronzer, couchés tous ensemble sur les rochers... et puis, là aussi, on fait des pique-niques avec des grillades et des viandes et aussi du porc, du vin, des alcools... Après un moment tout le monde est joyeux, on rit, on flirte... Il y en a même qui font du nudisme... d’autres font l’amour...
Sayed, avec son éducation et ses principes, se sent mal à l’aise... Les filles lui
font des avances qu’il n’ose pas accepter... Il finit par refuser les invitations car il
ne sait pas s’adapter, s’intégrer. Mais au lieu d’avouer que c’est lui qui ne parvient
pas à suivre, il accuse les autres d’être des dépravés...
Plus tard, il va se mettre à critiquer tout ce à quoi il ne parvient pas à s’habituer... les hommes et les femmes qui se promènent main dans la main ou bras dessus bras dessous... les femmes en jupes courtes... les gens assis aux terrasses qui boivent du vin... J’essaye de lui faire comprendre qu’ici c’est l’Europe, qu’ici c’est comme ça et qu’on y tient... c’est lui qui est venu... on ne l’a pas invité...
Mais, en même temps, je ne veux pas le froisser ni ternir notre amitié, c’est un
garçon charmant mais il n’est pas de chez nous... Il a la mentalité « arriérée » du
temps de ma grand-mère...
Il a d’autres réactions qui me choquent plus... Un jour que nous nous promenons sur les bords du lac il voit une voiture extraordinaire... une Ferrari rouge... pour nous aussi elle est extraordinaire... Mais lui va se mettre devant en s’appuyant sur le capot comme si elle lui appartenait et il me demande de le photographier pour envoyer la photo à sa famille et leur montrer son train de vie en Europe...
Je lui fais remarquer sa tromperie, mais il ne démord pas car il doit montrer à sa
famille que lui, ici, il est en train de faire fortune...alors qu’il ne vit qu’avec l’aide
sociale...
Un jour, il m’annonce qu’il a renoncé à travailler comme femme d’ouvrage et qu’il va s’installer à son compte...
-«Mais c’est interdit... tu n’as pas de permis de travail... c’est du travail au noir...»
-« C’est votre faute, c’est vous qui m’empêchez de travailler, si vous ne me laissez
pas travailler, moi je travaille en noir... C’est vous qui m’y forcez... »
-« Et qu’est ce que tu vas faire comme travail ? »
-« Ben, je suis médecin, je vais soigner des patients... »
-« Mais les caisses maladies ... »
-« Rien de tout ça, en privé, en noir, sans rien dire à personne... Il y a des tas de
gens qui se plaignent que leur médecin ne parvient pas à les guérir... Rien ne peut m’empêcher de recevoir ces personnes et de les soigner... Je ne me ferai pas payer, ils me donneront ce qu’ils voudront... »
-« Et si tu as un accident ? tu as tout de même besoin d’assurances professionnelles... »
-« Non, pas du tout... ceux qui viennent chez moi, c’est eux qui veulent venir... »
-« Mais la pratique illégale de la médecine... »
-« Je ne vais pas pratiquer la médecine classique, je vais appliquer les thérapies de
chez nous, que je connais et qui n’ont rien à voir avec ce que font les médecins
« normaux ». Dans nos pays nous avons aussi d’autres connaissances... »
Je ne puis être d’accord avec tous ses raisonnements, surtout parce que je ne puis
cautionner des comportements illégaux... mais d’autre part c’est une personne
agréable, sérieuse et je suis certaine que comme médecin il doit être compétant et
consciencieux. Après tout l’important n’est-il pas qu’il porte secours à ceux qui en ont besoin ?
En tous cas son petit business s’installe rapidement... En effet, nombreux sont ceux qui s’orientent vers des thérapies alternatives qu’ils payent de leur poche...
Chaque fois que je passe chez lui, il y a des personnes qui sont assises dans son petit salon et attendent leur tour... Son appartement est lumineux, toujours en ordre parfait et rigoureusement propre.
-« Tu vois me - dit-il un jour – quand ils me demandent ce qu’ils me doivent je leur dis qu’ils me donnent ce qu’ils pensent. Il y a des gens riches qui peuvent
donner beaucoup et des pauvres qui ne doivent pas payer du tout... Chez moi à
Rawalpindi c’était comme ça : je travaillais dans un petit dispensaire et je faisais
payer les riches ce qui me permettait de soigner les pauvres gratuitement... Et... note bien que ceux qui me payent me donnent plus que ce que moi j’aurais demandé... »
A voir comme sa clientèle augmente les gens doivent être contents... Cela ne m’étonne pas. Je ne doute pas de ses capacités professionnelles, mais surtout j’ai
remarqué combien il est patient et comme il prend le temps d’écouter les gens
parler... C’est un des défauts de notre médecine... plus personne ne prend le
temps... Plus aucun médecin n’est capable d’ausculter, de toucher, de palper... c’est tout de suite analyses, radios, machines... C’est aussi un aspect de la profession de physiothérapeute, je ne le sais que trop bien... Nombreux sont les patients qui « n’ont rien » mais qui sont très malades parce que personne ne les écoute, personne ne leur donne de l’attention, de l’affection... Alors quand le médecin voit que lui, au niveau médical, il ne peut rien faire parce que en fait le patient n’est pas malade... il l’envoie chez le kiné...
Traitement classique : chaleur, massage, gymnastique...
Chaleur : on l’emmitoufle le patient dans des couvertures avec une source de chaleur et il s’endort pendant une demi-heure... là il est déjà complètement
relax... ensuite on le couche sur le ventre pour un massage du dos et à la limite on lui fait faire quelques mouvements de relaxation... Comment ne pas se sentir
mieux après... et pendant tout ce temps, comme chez le coiffeur, on reçoit les
confidences... Tous les maris disent combien leur épouse les comprend mal et toutes les épouses disent combien leur mari les comprend mal...Et en plus ils n’ont personne pour les écouter...
Sayed a raison... écouter les patients c’est déjà les guérir ...
Parallèlement j’ai commencé à m’informer au sujet de l’islam.
A Bruxelles comme à Genève, j’ai découvert des librairies où je trouve une documentation abondante mais je commence par acheter un coran en Italien.
Livre très intéressant en deux volumes dont les 80 premières pages donnent un aperçu historique et une explication du texte.
Mais je me dis qu’il vaut peut-être mieux commencer à apprendre l’Arabe pour
pouvoir lire le texte original.
L’enseignant est maghrébin et non croyant et d’emblée il me dit que si c’est pour
lire le coran cela ne vaut pas la peine de dépenser mon argent et de me fatiguer après ma journée de travail, car le coran personne n’y comprend rien... Mais si je
veux apprendre assez d’Arabe pour pouvoir me débrouiller pendant des vacances, alors c’est bon... Je suis déçue, mais les autres personnes qui suivent le cours sont en effet là pour pouvoir s’exprimer pendant leurs vacances à Sharm-el-Sheikh...
Je suis passionnée : la calligraphie est magnifique, nous étudions les lettres une à
une et ensuite apprenons à construire de petites phrases du genre « le maître a écrit un livre » ou « le maître a écrit des livres »... ou « la maison est dans la ville » « les enfants jouent dans l’école »... Nous allons commencer la conjugaison... Ma calligraphie est parfaite, je suis très fière, je vais suivre ce cours pendant deux ans, jusqu’à ce que l’enseignant l’arrête pour des problèmes de santé... Plus tard je vais en avoir moi-même et l’Arabe restera suspendu... à mon grand regret... Mais cela a suffi à me faire comprendre le mécanisme de la langue.
Autre déception. Un jour je découvre dans une librairie une splendide anthologie
de la poésie arabe en deux volumes cartonnés, reliés, dorés sur tranche... ils coûtent cher mais je ne puis résister... Toute fière je les emmène chez le professeur, il ouvre les livres et tout contrit il me dit : « Je n’y comprends rien... c’est bien de l’Arabe, mais lequel ?... en tous cas celui-ci je ne le comprends pas... » Donc pas de traduction de poésies arabes... Je me contenterai des traductions chez Pierre Seghers ou dans la collection Piazza...
Petit à petit les livres s’accumulent et le rayon dans ma bibliothèque s’allonge...
Et vous, qu'en pensez vous ?