Le but de la démocratie et la raison de l’îlot suisse

Thomas Mazzone
Enseignant, écrivain

Dans nos précédents articles (http://www.lesobservateurs.ch/2015/06/10/lautorite-vote-demonstration-quatre-points/, http://www.lesobservateurs.ch/2015/06/12/democratie-soutien-jihad-question-dautorite/), il fut question, dans une optique aristotélicienne - donc politique - , de la primauté anthropologique de l’autorité légitime, nécessaire au bien commun, sur la notion de démocratie, avec ses qualités propres, mais non forcément requise par le Politique. En effet, la sagesse converge avec l’autorité légitime, mais point toujours avec la démocratie.

Nous nous attendions bien à ce que l’on s’inquiète et que l’on s’agace, comme face à une attaque, de cette analyse en règle de la démocratie, une des principales icônes du politiquement correct. Pourtant, la notion de dictature éclairée n’est pas nouvelle et tous les régimes démocratiques ne brillent pas. Il ne se valent pas de même que les hommes sont égaux devant Dieu, mais inégaux dans leurs actes et dans leurs développements respectifs. Il n’y a pas plus de démocratie respectée que de démocratie bafouée: on vote dans un cadre donné et on respecte l’issue du vote selon les termes mêmes du cadre établi, avec la même dose de mauvaise foi et de contournement légal que ce même cadre le permet.

On nous suggère aussi, tantôt, de placer la Loi comme critère absolu, sensé supplanter l’autorité. On ne s’imagine, effectivement, pas facilement une société sans loi. S’il est vrai qu’un groupe humain obéit à des règles, dites ou non dites, codifiée ou de bon sens, toute société n’a pas forcément un appareil légal, appliqué strictement selon l’adage “dura lex sed lex”. Si l’on spécifie un peu les types de règles qu’il peut exister, on s’aperçoit que l’ordre nécessaire au bien commun, pour subsister, a besoin de principes sages appliqués avec un esprit diligent, élément sans lequel aucune loi intangible, aussi parfaitement écrite soit-elle, ne saurait être bonne. Lorsque l’on dit: “tu ne tueras point”, le plus connu des Commandements et le plus répandu parmi les cultures, on ne pense pas à l’éventualité de la légitime défense, ni à toutes les situations qui nécessiteraient que l’on y dérogeât. Celui qui, au contraire, torturerait ou ferait en sorte de piéger un autre mortellement sans, lui-même, le tuer ne serait pas condamnable. Le Christ, lorsqu’il affronte les Pharisiens, pétris de contradictions et pleins de mauvais tours conformes à la Loi, “l’accomplit” (Matthieu 5, 17) en y mettant fin en tant que principe rigide et immuable, mais tout en en conservant l’état d’esprit initial, de nature divine. La loi chrétienne n’est, dès lors, plus un codex écrit pour l’éternité mais une tradition souple, adaptable à la réalité temporelle et aux principes de charité, de pardon, de bonne foi et aussi de bien commun, afin de conserver l’esprit que respirent les quatre Evangiles canoniques.

Dans un ordre d’idée contraire, celui d’un légalisme institutionnalisé et auto-suffisant, le monde moderne s’imagina produire un Système où trois pouvoirs se limiteraient mutuellement. Seulement, si tant est que la justice ne dépend pas d’un regard divin ou scrupuleusement bien tourné, elle ne permet pas de limiter l’action des politiciens (exécuteurs ou législateurs) et devient alors son outil, comme la justice peut toujours s’avérer être un (bon) outil du bien commun. Seulement, elle ne sera jamais sa garantie. La sagesse et les bonnes décisions demandent toujours un regard global, qui ne saurait effectivement se cantonner à l’application stricte d’une discipline, surtout si celle-ci n’est pas régie par des principes de bonne foi. Il semble donc évident que les magistrats tenteront d’empiéter hors de leur champ d’action et seront en lien constant avec les autres responsables, exécutifs ou législatifs, afin de faire les choix les plus cohérents. Dans les faits, cette séparation en trois pouvoirs marche parfois très mal et on se plaint régulièrement de sa non observance. Or, tout ceci n’est qu’une fatalité découlant de l’absence d’une autorité légitime, une évidence en l’absence d’un pouvoir hiérarchique tenu à la sagesse par un sain concours des choses et un désastre inhérent à l’absence d’une volonté politique sainement exécutée car justifiée.

La démocratie, si c’est le système auquel on est confiné, doit toujours avoir pour but d’instaurer un ordre hiérarchique légitime, un pré-requis au bien commun, chose que la propagande dominante tend à attribuer directement et faussement à celle-là. C’est justement par ce subtil tour de passe-passe que s’effectue, dans une quasi-indifférence, la manipulation médiatique sur les masses et le dictat du politiquement correct pour canaliser les votes: “le peuple a voté, c’est donc bon pour lui”. Or non: si les démocrates les plus féroces nous diront sans cesse que le peuple a toujours raison, qu’il faut respecter son choix, il n’est pas pour autant juste d’affirmer que l’état d’esprit dans lequel il a voté est toujours respecté. C’est ce glissement logique qui permet généralement de donner une primauté à la démocratie (sur l’ordre naturel des choses et sur le Politique) et d’en justifier tous les déboires, au détriment parfois de l’autorité légitime et, donc, du bien commun.

En Suisse, il se trouve que ce système a un certain âge et, si on l’a un peu détourné de son esprit de préservation fondateur (contre la volonté intrusive des Habsburg, dynastie argovienne), le mode opératoire démocratique a perduré. Pourtant, force est de constater que la légitimité de l’élite que ce dernier établit pose de plus en plus question. Une structure jeune, comme l’Union Européenne, fonctionne aussi selon un cadre démocratique, mais sa visée est toute autre et ne respecte pas l’état d’esprit affiché par sa propre propagande, à savoir celui d’une Europe en paix, facilitant les échanges entre des peuples très proches et parfois entre-croisés, et favorisant in fine leur protection. En lieu et place de cela, se produit une dissolution culturelle et une submersion par le non-sens de l’innovation forcée des mœurs, et par l’immigration de masse.

Souvent, on nous noie en plus dans des paroles bienveillantes sur la proximité des peuples et la continuité des cultures, sur l’absurdité de l’isolement, mais quand on devient réceptif à ce discours, on reçoit une culture industrielle normalisée outre-atlantique à la place et de l’immigration extra-continentale organisée par des mafias ; sans respect pour les nations dans leurs composantes les plus radicales - à savoir leur ethnie et la transmission de leur savoir, qu’il soit scientifique, linguistique, artistique, philosophique ou manuel. Dans l’Histoire, il est vrai que ni l’Europe politique, ni la Suisse sont des réalités immuables, mais chaque structure est une donnée d’époque, un système isolé, qui peut permettre ou non de préserver l’intégrité et la continuité géographique de peuples ethniquement et culturellement très proches. A ce titre, la Suisse, de par ses prérogatives avantageuses sur l’UE, est comme un ilot, un ilot qui ne pourra pas gagner seul au risque de se dissoudre lui-même, ensuite, dans un milieu austère ; un ilot qui pourra (ou non) s’avérer efficace pour se maintenir au milieu du chaos et des ruines ; un ilot qui pourra sauvegarder une partie de la richesse de la civilisation chrétienne d’Europe ; un ilot qui devra donc tenter de se protéger dans ce but et non comme une fin en lui-même ; un ilot où la démocratie devra, pour que l’ensemble soit à même de résister aux pressions destructrices, viser à rétablir une autorité légitime, ingrédient nécessaire à la grandeur des peuples civilisés ; un ilot où l’ordre politique naturel, connu depuis l’étonnante Grèce Antique jusqu’à l’avènement des merveilles architecturales de la Chrétienté, rétablirait modération dans les conflits et dignité dans les esprits ; un ilot où, enfin, se reconstituerait lentement, dans son essence charnelle et spirituelle, la Civilisation. Telle est la Suisse que nous défendons: ordonnée dans le Chaos et autoritaire face à l’absurdité du Néant.

 

Thomas Mazzone, le 1er juillet 2015

Un commentaire

  1. Posté par Jan Marejko le

    Face à la mondialisation ou à la bruxellisation, la Suisse offre la possibilité de résister noblement comme vous nous y encouragez. Merci

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