50,08% ! L’un des résultats les plus serrés dans l’Histoire de notre démocratie directe. Ils ont eu chaud, très chaud, les responsables de la SSR, pendant tout l’après-midi de ce dimanche 14 juin. « A la raclette », comme on dit en Valais : c’étaient d’ailleurs les mots du président de la SSR, Raymond Loretan, sur le plateau de mon émission dimanche soir, sur la chaîne privée genevoise Léman Bleu. Mais enfin, la loi passe : il y aura bien réforme du mode de perception de la taxe, un sujet technique que presque tout le monde avait oublié, tant l’essentiel des débats, dans toute la Suisse, s’était porté sur une autre question : pour ou contre la SSR ?
La campagne aura été mémorable. Les partisans, d’un bout à l’autre, n’ont cessé de nous répéter l’enjeu réel du scrutin (la réforme de la taxe), mais plus ils s’égosillaient, plus les opposants braquaient leurs projecteurs sur la SSR, trop grosse, trop gourmande, trop de chaînes, trop de bureaucratie, trop à gauche, trop européenne, bref une addition d’excès. Et plus les partisans leur disaient « Ça n’est pas le sujet ! », plus les autres en rajoutaient. Devant l’opinion publique, ils marquaient des points, les opposants, parce que jusqu’à nouvel ordre, on a le droit de discuter de ce qu’on veut. Et puis, si la discussion a dévié, il faut bien croire que cela correspondait à un besoin profond, longtemps retenu, de la population : pouvoir enfin s’exprimer, pas seulement au bistrot mais par la voie des urnes, sur ce Mammouth, gigantesque, pesant, aux appétits démesurés.
La campagne a été rude. Du côté des opposants, l’USAM n’a pas ménagé ses adversaires, notamment en Suisse alémanique. Du côté des partisans, d’incroyables arguments ont été utilisés : en Suisse romande, on a traité de « mauvais Romands » les opposants, parce qu’ils affaibliraient la SSR, au bénéfice (comme le Tessin !) de la fameuse « clef de répartition » de la redevance. Rationnellement, l’argument était faux, puisque précisément la SSR ne perdait pas un centime dans cette votation. Mais voilà, le combat n’avait rien de rationnel : petit à petit, les gens ont laissé sortir des années, voire des décennies, de colère rentrée contre un diffuseur public national jugé trop gâté. D’ailleurs, le résultat le plus étonnant est celui du Tessin : 52% de non, alors que votre canton tire beaucoup de bénéfices de la clef de répartition. Donc, au Tessin comme ailleurs, on a voté clairement sur autre chose que sur l’enjeu : pour ou contre la SSR, pour ou contre ses programmes, pour ou contre la Berne fédérale, peut-être. Comme si le scrutin fonctionnait comme révélateur des malaises propres à chaque région. De la même manière, pourquoi diable le Valais a-t-il, seul en Suisse romande, dit non (53,5%) ?
Et maintenant ? Eh bien, la transformation du paysage médiatique suisse ne fait que commencer ! Nous sommes en pleine révolution des habitudes de consommation, des supports de réception, des modes de production. Et on vient encore nous parler d’un immense consortium national, une usine à gaz, avec des structures incompréhensibles (l’organisation institutionnelle, parallèle à la hiérarchie professionnelle), un budget démesuré, un géant blessé qui commence à tituber, et dont les faux pas risquent encore de faire bien des dégâts. Car en termes d’image, même avec sa victoire à la Pyrrhus à 50,08%, la SSR a perdu la bataille. Le réformer, la dégraisser, est désormais à l’ordre du jour, sur toutes les lèvres de Suisse, de Chiasso à Schaffhouse, de Sion à Coire !
Oui, la bataille des médias ne fait que commencer. La SSR, paraît-il, fait du « service public ». Fort bien ! Et le Giornale del Popolo, il n’en fait pas, en informant jour après jour ses lecteurs ? Et les TV régionale privées, en collant à la proximité de leurs spectateurs ? Et la NZZ, avec ses pages politiques et économiques et culturelles ? Fini, le temps de l’arrogance de la SSR, comme si elle était seule au monde à produire de l’information sérieuse : le géant commence à tituber. Ça n’est pas encore la chute. Mais le temps de l’orgueil et de la superbe est terminé.
Pascal Décaillet, 17 juin 2015, Première parution : Giornale del Popolo, sous le titre "Il Gigante incomincia a titubare"
La France aussi, a un service public “stupidement partisan”.
1- Il ne serait pas plus mal qu’on s’accorde sur quelques principes éthiques simples. Lorsque quiconque a été partie prenante à une institution – M Decaillet a émargé à la SSR- il serait judicieux que la personne en cause s’abstienne de mises en cause aussi pertinentes soient elles, pour éviter le soupçon du règlement de comptes.
2- Toutes les grandes nations ont un service public fort. C’est un fait. La BBC fait honneur à la Grande Bretagne, la France n’a pas trop à rougir de son service public (en particulier de radio), idem pour l’Allemagne. En revanche, l’Italie, par exemple, dominée par des entreprises privées misérables et un service public stupidement partisan y perd en termes d’images. La Suisse doit comprendre qu’il y a, en terme d’intérêt général, une question de standing et de reconnaissance internationale. N’oublions pas que si, en effet, le service public est largement dominant c’est que, comme dans l’essentiel de l’Europe, parce que c’est lui qui a commencé. Il se trouve, malheureusement, qu’à la différence par exemple de la France où les médias dominants (RTL, TF1) sont des médias privés, les médias privés suisses n’ont pas su percer. Et à un certain moment, il faut tout de même, puis qu’on parle tant de concurrence, se poser la question de leur qualité. Ni RTL, ni Europe1, n’ont jamais demandé un centime à l’état français. Ils ont gagné par leur bonne tenue. C’est un peu commode de rejeter la responsabilité sur les autres. Il est curieux qu’un site qui plaide pour des valeurs libérales conservatrices, découvre subitement les vertus d’un argumentaire… qui, à bien des égards, est très étatiste…