"Les science de l'éducassion m'a tueR !"

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"Quels genres d'idéologues, de “pédagogistes inamovibles” (selon les mots de Jacques Julliard) trouve-t-on derrière la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem qui marque le point d'orgue d'une apparente fuite en avant ?" se demande Antoine Desjardins. Et pour ce professeur de Lettres de se pencher sur le "cas emblématique de Philippe Meirieu ex-directeur de l'IUFM de Lyon, professseur d'université en sciences de l'éducation, grand défenseur des thèses pédagogistes, conseiller et éminence grise de nombreux ministres depuis Allègre..."

« Le mixage des enfants de tous les niveaux permet
d'unifier les pensées en une pensée commune »

Philippe Meirieu

Le sens commun, consterné ou ahuri par les résultats pitoyables de notre école, s'interroge parfois pour savoir quels genres d'idéologues, de « pédagogistes inamovibles » (selon les mots de Jacques Julliard) on trouve derrière la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem qui marque le point d'orgue d'une apparente fuite en avant.

Qui, depuis quarante ans, inspire ces réformes désastreuses et monomaniaques, alors que de l'avis unanime des enseignants de terrain, la maîtrise du français, des mathématiques et de l'histoire, par exemple, s'effondre toujours mieux ? Petite Poucette (chère à Michel Serres) s'amuse bien avec les applis de son smartphone, mais Petite Poucette ne sait plus faire une phrase syntaxiquement correcte et sans fautes d'orthographe, mener à bien des calculs simples ou avoir un peu la mémoire de l'histoire de son pays.

Cette « génération mutante » qui manipule si bien les nouvelles technologies d'un pouce agile, n'est pourtant pas moins douée ni moins intelligente, que les générations qui l'ont précédée : on ne lui enseigne tout simplement plus ce qu'on devrait, rudiments et méthodes. Elle fait l'objet d'un abandon pédagogique programmé. Les professeurs de collèges s'épuisent bien souvent à enseigner en contrebande ce que les instituteurs ont été empêchés de transmettre.

Mais pourquoi ? Mais qui ?

Prenons le cas emblématique de Philippe Meirieu ex-directeur de l'IUFM de Lyon, professseur d'université en sciences de l'éducation, grand défenseur des thèses pédagogistes, conseiller et éminence grise de nombreux ministres depuis Allègre... Idéologue de l'école, ce théoricien coupé depuis des lustres de l'enseignement secondaire et primaire s'emploie depuis trente ans à soumettre l'école à un projet, que pour rester gentil on pourrait qualifier de sectaire. Elle doit, avant tout, former des citoyens qui dialoguent pour que la paix sociale puisse s'installer durablement. Vive les « savoir-faire sociaux » et autres « savoir-être ». L’école doit devenir un instrument au service du politique et le professeur un « tisserand du lien social ».

La pensée de Meirieu pourrait se résumer ainsi : la priorité de l'école doit être de lutter contre l'inégalité et non plus contre l'ignorance. Elle devra accoucher d'une société nouvelle où il n'y aura plus que de l'égalité. Machine qui va hâter la fin de l'histoire, des citoyens égaux sortiront désormais de ses chaînes de montage.

La facture est tombée : l'égalité est en passe d'être acquise au prix de l'ignorance de tousMeirieu vient de la gauche chrétienne et ne veut que le bien de tout le monde, la paix et l'amour dans les familles et dans la cité. Mais à quel coût ? L'aspiration par le bas ? Le rejet de la haute culture ? Le bourrage de crâne citoyen ? L'invitation à la lecture par l'étude d'une notice d'appareil ménager ? Oui, et pire que cela ! La facture est tombée après les « Trente Piteuses de la grammaire » et elle est lourde : l'égalité est en passe d'être acquise au prix de l'ignorance de tous. Des cohortes d'élèves traversent des années d'école sans avoir appris à maîtriser une culture de base (scientifique et littéraire) et dans l'incapacité totale de maîtriser leur langue maternelle. C'est juste l'intelligence du monde qu'on a mis a mal, la logique, la capacité argumentative.

Cette conception ultra progressiste (il y a toujours trop d'école à l'école, en somme), infusée depuis vingt ans dans les I.O., les « instructions officielles », n'a fait bien entendu qu'accroître considérablement les inégalités. Quant à l'ascenseur social, il n'est plus grippé mais totalement bloqué en sous-sol. Le ludique à marche forcée n'amuse plus « l'élève au centre », et l'ennui des « nouveaux publics » est à la mesure de la tristesse de cette absence d'ambition.

Utopie « généreuse » ? Projet d'essence totalitaire ? On est très très loin en tout cas de Jean Vilar et de son élitisme pour tous. L'école de Meirieu vise l'acquisition d'une culture commune et la construction de la loi. On exagère un peu ? Il suffit de se plonger dans certains de ses ouvrages déjà anciens.

Un miracle (sic) éducatif se produit si l'enseignant ayant fait son autocritique, se destitue, jette ses fiches de grammaire, libère la parole des enfants en allant au devant d'eux avec toute l'empathie souhaitable, pour expier, en vrac, son égoïsme de classe, son sadisme, son colonialisme, son goût pour la littérature bourgeoise ou la géométrie, son tropisme impie pour l'esprit critique et l'ironie chers à Voltaire, sa volonté de discrimination, son statut d'ancien bon élève, sans parler de sa trop grande bienveillance pour le mérite, le travail, la bonne volonté et même l'intelligence, tares dangereuses qui contribuent, si l'on n'y veille pas, à reconduire cette bourgeoisie que l'école doit travailler sans relâche à liquider.

Même passionné et excellent pédagogue, le professeur est un hérétique s'il pense que le fameux « apprendre à apprendre » n'a pas de sens en apesanteur, et que l'apprentissage d'une méthode doit toujours être lestée d'un savoir effectif. C'est en apprenant quelque chose d'intéressant que, par surcroît, on apprend à apprendre. Et il ne s'agit pas d'apprendre tout, évidemment, à une époque où cela n'est plus possible.

L'enseignant doit utiliser des dispositifs didactiques sophistiqués, s'adapter à des marottes, qui ont prouvé leur capacité indiscutable à faire chou blancDe toute manière, la corruption de l'enseignant est pour ainsi dire indélébile et originelle. Abjurer son être-enseignant à genoux ne pourrait pas même suffire pour se laver de sa faute. Il faut ainsi se livrer à des exercices de contritions pédagogistes dont les élèves feront les frais : allant contre sa conscience, l'enseignant ne doit surtout rien faire apprendre de solide en suivant un ordre prescrit par la raison. Il faut qu'il utilise des dispositifs didactiques sophistiqués, s'adapte à des marottes, qui ont prouvé leur capacité indiscutable à faire chou blanc en matière de transmission et qui ont également le mérite de créer le chaos dans les esprits. Des dispositifs qui créent de l'arbitraire et... de l'injustice.

Mais ce n'est pas vrai, m'objectera-t-on ! Le savoir, Meirieu ne peut pas l'avoir oublié dans la grande croisade qui est la sienne ? Sans doute ! Mais le savoir chez Meirieu, et c'est là sans doute la bonne nouvelle qui accompagne toutes les réformes, est exactement partout. Les cultures sont là pour nous sauver tous de la culture qui nous oppresse. La Fontaine nous toise ? Essayons Bouba. L'orthographe est un opérateur d'exclusion ? Supprimons-la, ça ira mieux. Malgré cela l'école reste encore trop méchante.

On croirait pourtant que la violence et le mépris viennent d'ailleurs quand il assène que les « républicains intégristes » (sic), les partisans de l’école-sanctuaire, « renoncent à dialoguer avec les élèves qui ne leur ressemblent pas, renforcent les ghettos, favorisent les tensions dans les entreprises dues à l'absence de dialogue social (...) préparent le terrorisme » (L'Ecole ou la guerre civile, avec Marc Guiraud, Ed. Plon, 1997). Ouch !

Bon, ouvrir le grand canal de la communication intersubjective (Habermas) pour construire la démocratie, c'est bien. Il faut se parler sans se mentir : parfait ! Mais pour le niveau en français, en mathématiques, en histoire, on fait quoi ? Un lycéen actuel a reçu 800 heures de français de moins que ses aînés, et entre en 2nde avec le niveau de fin de 5e du collégien de 1975 : on fait quoi ? Mais, que nous sommes idiots, bien sûr ! Le français est une matière « transversale » et de toute façon les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) prévus par Mme Vallaud-Belkacem vont rapidement remédier au problème.

Circulez « pseudo-zintellectuels » ségrégationnistes tenant d'une école dépassée !Heu-reux ! Circulez « pseudo-zintellectuels » ségrégationnistes tenant d'une école dépassée qui refuse de se soumettre à l'évolution du marché du travail, aux besoins d'une économie en crise et surtout aux injonctions de l'Union européenne.

Vous pensez qu'un élève qui travaille et apprend ne cause de préjudice à aucun autre ? Détrompez-vous ! Il occasionne une gêne considérable. Les bons élèves, pire les élèves doués, n'ont qu'à bien se tenir et devraient peut-être être ramenés à la normale. L'adaptation scolaire est de toute façon un signe majeur de névrose depuis Dolto. Alors éliminons ces vilaines névroses. Plus personne ne fera l'objet d'une insupportable violence symbolique ou ne sera bafoué dans son droit fondamental à être le « sujet de son propre apprentissage ». Autrement dit, il aura à se démerder tout seul et toute sa vie durant : Google est ton ami.

Désormais, les disciplines sont méchantes, l'interdisciplinarité est gentille et bonne. Le travail en équipe est bon, lui aussi. Fuite en avant vers le pire. Bienvenu dans la « tranversalité » bavarde qui récuse les frontières disciplinaires lesquelles ne sont propres qu'à tracer des ghettos ! Finis les cours structurés, il faut déstructurer au maximum. La rationalité, la cohérence et la logique propre à chaque matière doivent être déconstruites et atomisées : c'est ainsi que l'apprenant s'y retrouve le mieux, d'autant que ses lacunes sont grandes.

« Pédagogie inverse », « constructivisme », « interdisciplinarité », « pédagogie de projet », il y en aura pour tout le monde ! De façon générale, dès qu’il n’y a plus d’enseignement rigoureux, qu’on perd son temps à « faire découvrir » au lieu d’enseigner, qu’on se refuse aux exercices patients, systématiques et progressifs qui coûtent de la peine et donnent aussi beaucoup de plaisir, on est dans la modernité qui fait rage. Dès qu'on parle « objectifs », « compétences », au lieu de parler de Homère, Hugo, Maupassant, Thalès ou Marie Curie, le pauvre élève est payé en monnaie de singe.

Pour le coup, ce sont les élèves en difficulté ou de milieux défavorisés qui font les frais de ces méthodes !Jamais évaluées, ces méthodes obsolètes se sont révélées inefficaces et dangereuses pour la majorité des élèves. Elles portent en elles une forme d’élitisme, pour le coup, insupportable, car ce sont les élèves en difficulté ou de milieux défavorisés qui en font les frais. La Finlande longtemps citée n'est plus en tête des résultats, c'est vers l'Asie, par exemple, qu'un esprit curieux à la recherche d'une école efficace devrait tourner un regard sans préjugés.

L'interactivité du maître avec ses élèves, la pédagogie du dialogue, la bienveillance, sont acquises depuis longtemps. Les enseignants n'ont jamais eu besoin de la « recherche » pour découvrir par eux-mêmes l'intérêt de favoriser l'autonomie, par exemple, ou d'utiliser les ressources du numériques. Ils ont besoin de conditions décentes d'exercice de leur métier pour enseigner décemment. Toutes considérations bassement matérielles dont les théoriciens exaltés — éloignés du théâtre des opérations, mais prompts à investir les lieux de pouvoir et de décision — semblent se moquer éperdument.

Le grand vent de l'idéologie, quand il s'emballe, peut faire des sommités avec des habiles, des experts avec des médiocres, des chercheurs avec des maîtres du jargon. Mais l'école humaniste rejettera toujours la logorrhée managériale.

Une « séquence didactique » permet déjà de faire des économies sur les heures de français en zappant sur les activités, l'interdisciplinarité des EPI permettra de tailler dans les horaires des disciplines et de faire, à terme, des enseignants bi ou trivalents, capables d'enseigner à peu près tout, corvéables à merci, transformés en exécutants dociles, soumis à des objectifs de production. La flexibilité, si prisée du monde de l'entreprise, avec la dérèglementation en prime (horaires d'enseignement dissemblables, programmes à géométrie variable, arbitraire des conseils pédagogiques et surtout des chefs d'établissement) trouve déjà et trouvera encore à s'appuyer sur la réforme en cours.

La suppression des classes européennes et bilangues, la fin programmée du latin, permettront à Bercy, notre vrai ministère, de faire de subtantielles économies. L'élève de demain promis à l'excellence pourra s'exclamer : « Les science de l'éducassion m'a tueR ! »

 

A lire pour poursuivre votre réflexion : Contre-expertise d'une trahison, Agnès Joste, Fayard, Mille et une nuits, 2002 ; Une école contre l'autre, Denis Kambouchner, PUF, 2000 ; Vers une école totalitaire ?, Liliane Lurçat, F.-X. Guibert, 1999.

 

Extrait de: Source et auteur

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Un commentaire

  1. Posté par Jean-Paul Saint-Marc le

    Merieu sévit depuis le milieu des années 70.
    Vieux prof à l’ENNA de Nantes (en formation des PCET), je me souviens que déjà il postulait l’utilisation des journaux pour faire étudier le français aux élèves de CET…
    Donc cela fait 40 ans ! Je crois qu’il était alors professeur de CET à Lyon !
    (CET : collège d’enseignement technique !)
    Jean-Paul SAINT-MARC

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