Emploi, chômage, migration…

Anne Lauwaert
Ecrivain belge

« Créer des emplois » « inverser la courbe du chômage » voilà les mantras…

Mais est-il possible de « créer des emplois » si de plus en plus une seule machine fait le travail de centaines de personnes ?

Ci-dessous, la « distributions du travail » vécue en Inde en 1993.  Le jour où l'ordinateur va remplacer des centaines d’employés de poste ou de banque, que vont faire ces personnes ?

Il ne s’agit pas de malheureux paysans chassés de leurs terres par les changements climatiques. Les employés des postes ou banques sont les classes moyennes… Que vont faire ces gens quand leur travail sera pris par une machine ? Ils viendront chercher du travail…en Europe ?

Il y a 30 ans, la vallée dans laquelle je vis, était composée de 9 communes avec bureau postal. Aujourd’hui les communes sont regroupées et bientôt il n’y aura plus de poste car il faut épargner. « Epargner » c'est-à-dire que, au lieu que ce soit la poste qui paye des postiers, ce sera le contribuable qui payera l’indemnité des postiers qui seront au chômage ? Même les petits boulots disparaissent, les laveurs d'assiettes dans les restaurants sont remplacés par un lave-vaisselle et les balayeurs de rue par le camion-brosse alors que les aides dans les hôpitaux sont remplacées par des robots... Et les gens qui ont du travail construisent de nouvelles machines pour remplacer les travailleurs... qui les construisent...

La population continue d'augmenter alors que les emplois continuent de diminuer. Tôt ou tard la collision va être frontale …

On avait déjà oublié de contrebalancer l'abolition de la sélection naturelle grâce aux progrès de la médecine par le planning familial pour limiter les naissances. Ajoutons-y l’afflux des « migrants »… Est-ce que tout d’un coup on va se rendre compte qu’il y a trop de personnes sur notre petite planète?…

Et alors, on fait quoi ?

 Extraits de mon livre « Les oiseaux noirs de Calcutta »

Le bureau postal occupait un pavillon en face de l’hôtel. Les deux employés qui étaient assis devant leur guichet, avaient déposé leur tête sur leurs bras croisés, et ils dormaient.

-« Hm, hm ... » - dit Alice en frappant à la porte.

Ils regardèrent les cartes postales : trente cartes postales ! et toutes pour l’Europe !...

Le premier employé prit une carte postale en main et l’examina soigneusement, il ouvrit un tiroir, prit un timbre-poste, ferma le tiroir, donna le timbre avec la carte à son collègue,  qui prit avec l’index un peu de colle d’un petit pot, l’étendit sur le timbre, colla le timbre sur la carte et déposa la carte à l’autre bout des guichets. Ensuite le premier employé recommença avec la deuxième carte postale exactement la même procédure... et ensuite avec la troisième jusqu’à la trentième...

Ensuite ils firent un nouveau tour pour oblitérer tous ces timbres. Enfin, ils firent par écrit des comptes tout à fait exacts : 30 cartes postales x 11 roupies = 330 roupies... en... 73 minutes...

(…)

Pour changer les traveler’s chèques, ils allèrent à la Banque Nationale de Paris. Avec un tel nom Alice s’attendait à un service à l’occidentale. Elle dut donner ses chèques et son passeport et puis s’assoir et patienter. Il y avait tout un itinéraire bureaucratique à suivre. Pourquoi se dépêcher ? Les employés circulaient entre les bureaux. Les grands ventilateurs tournaient lentement et faisaient voleter les feuilles retenues par de grosses boules en verre appelées sulfures. Des plateaux chargés de tasses de thé circulaient. Un employé ouvrit son « attaché case » qui contenait un essuie-mains, une bouteille d’eau, un miroir et il commença à se peigner. Un autre sortit des toilettes avec la fermeture éclair de son pantalon encore à moitié ouverte. Les documents d’Alice flottaient quelque part au gré des ventilateurs nonchalants…

Elle s’impatienta et alla vers le guichet pour demander combien de temps il fallait encore attendre.

“Some time…”- répondit un employé.

“ Mais enfin –insista Alice – changer un chèque dans un hôtel ça dure deux minutes…”

“En effet – répliqua l’employé - ici nous ne sommes pas dans un hôtel, nous sommes dans une banque…”

Après “un certain temps”, Alice reçut son passeport, le certificat de change et tous les sous…une grosse liasse de roupies…  à quoi cela avait-il servi de s’énerver?

De la banque ils allèrent à la poste.

L’employé pesa le paquet et dit combien de timbres étaient nécessaires puis il envoya Alice à un autre guichet pour y acheter les timbres. Au milieu du bureau se trouvait une vaste table ronde sur laquelle trônait un pot de colle. Tout le monde prenait de la colle du bout de l’index et chacun collait ses timbres. Ensuite on retourna dans la file pour attendre son tour de présenter les envois à l’employé qui oblitéra les timbres et le paquet fut expédié…

(…)

Autre expérience à la poste :  L’employé pesa le paquet.

-“4,600kg… mais je ne puis expédier ce paquet car il n’est pas cousu dans une toile de coton”…

-“Le paquet est sûr car sous le papier il y a une feuille de plastique…”

-“ Je ne peux prendre cette responsabilité…”

-“Je la prends… pas de problème…”

-“Vous ne m’avez pas compris: je ne peux pas expédier ce paquet car la règle dit que tous les paquets doivent être cousus dans une toile en coton…”

Alice se demanda s’il s’agissait-là d’une règle qui subsistait encore de la période coloniale …

-“Mais comment voulez-vous que je couse mon paquet dans du coton? Où vais-je acheter un morceau de coton ?”

-“Ne vous inquiétez pas madame – dit quelqu’un derrière elle – je puis vous coudre votre emballage pour 30 roupies…”

Alice se retourna et se trouva nez à nez avec un jeune homme qui tenait une petite valise à la main. Ils sortirent, le monsieur ouvrit sa valise, y prit une feuille de plastique qu’il étendit sur le trottoir, s’y assit et invita Alice à s’assoir, puis il prit un morceau de toile en coton blanc, il mesura la grandeur du paquet, découpa, emballa, prit un fil et une aiguille et se mit à coudre le paquet…

-“Pendant que vous attendez vous pouvez déjà remplir les formulaires pour les douanes…”

Quand le paquet fut cousu il y apposa des cachets de cire et puis ils retournèrent au guichet pour acheter les timbres.

-“Cela fait 460 roupies”

-“Mais ces timbres n’ont pas de colle…”

-“Venez avec moi, j’ai aussi la colle pour les timbres…”

Ils retournèrent s’assoir sur le plastique, l’homme prit dans sa valise un sachet en plastique dans lequel il conservait de la colle de farine. Il en prit sur l’index et colla les timbres, puis il enroula un exemplaire des formulaires pour le coudre  sur l’enveloppe de coton. Ils retournèrent au guichet.

-“Non, non, protesta l’emballeur, vous devez oblitérer les timbres tout de suite devant nous que je puisse être certain que le paquet de ma cliente parte et arrive  à destination sans entourloupe…”

L’employé oblitéra tous les timbres et confia le paquet à un autre employé qui l’emporta et alla le déposer dans un grand panier ad hoc…

-“Si vous avez des choses à faire à la poste – lui dit son emballeur – venez chez moi, je connais ces lascars, mais je connais aussi les ficelles et les trucs du métier.”

Alice comprit que si elle était restée à Calcutta, son emballeur serait devenu son postier privé. Elle l’aurait payé et lui aurait défendu ses intérêts. Voilà un marché honnête qui donnait du travail à tous.

Mais qu’allait-il se passer le jour où la poste indienne allait se moderniser comme la poste en Europe, avec des machines qui font le travail de centaines de personnes… Qu’allait-il se passer le jour où, dans les banques,  des centaines de  comptables qui faisaient encore tous les comptes à la main avec un crayon sur du papier, allaient être remplacés par un seul ordinateur…

Puis elle se rendit compte qu’elle avait oublié ses cartes postales. Elle retourna au guichet, demanda les timbres et se rendit compte que l’employé des timbres ne lui avait pas rendu la monnaie la première fois. Elle prit les timbres et paya en retenant les 20 roupies qu’il avait oublié de rendre et il ne protesta pas… Elle prit ses timbres et alla s’assoir à côté de l’emballeur, glissa un billet de 5 roupies sous son presse-papier, il poussa le sachet avec la colle vers elle, elle colla ses timbres , donna le paquet de cartes postales à l’emballeur et glissa encore un billet de 5 roupies sous le presse papier. L’emballeur sourit , hocha la tête de façon à dire combien il appréciait de travailler pour les gens qui comprennent les règles de bon entendement…

Alice regarda sa montre. Elle était arrivée à 10h et maintenant il était 13h. Ah, si les postes suisses travaillaient à ce rythme en période de fin d’année…

Le paquet mit 264 jours pour arriver à destination en Suisse, mais il arriva en parfait état.

Toute l’Inde fonctionnait à ce rythme, et encore… la poste fonctionnait bien…

Anne Lauwaert

Un commentaire

  1. Posté par BLUM Dominique le

    Je reconnais, dans votre article, Madame, la Poste indienne que j’ai connue de Delhi à Pondichéry, en 75: des bureaux où 5 à 6 fonctionnaires indolents officiaient, dans une touffeur que ne parvenait pas à dissiper un fan tout aussi indolent qu’eux.
    A chacun sa tâche, en effet; le 6ème dormait carrément, sur une planche, à Bénarès. Mais c’ETAIT HUMAIN!
    5 jours pour vous délivrer un pli posté à Paris intra muros tend à devenir la norme, dans mon quartier.
    Dire que des Mermoz, Saint Exupéry ont risqué leur vie pour porter des sacs de courrier au-delà des mers, des chaînes andines!
    Vous évoquez “le planning familial pour limiter les naissances”.
    En France, l’IVG, grand acquis des féministes, ne me paraît pas avoir pénétré les communes islamisées et africanisées de France. D’où la “démographie dynamique” dont bénéficie notre pays, selon les m”dias.
    Hélas, l’économie ne suit pas.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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