Il y a trois semaines, le quotidien parisien Le Figaro et l’hebdomadaire L’Observateur ont publié une dépêche en provenance de l’agence Reuters, rapportant que vingt-deux « militants » avaient été tués par l’armée algérienne. « Militants » de quoi ?
En fait, lors de cette opération, l’Armée nationale populaire algérienne (ANP) a non seulement neutralisé un groupe terroriste important mais elle a aussi mis la main sur un véritable arsenal de guerre près de la localité de Ferkioua, dans la wilaya de Bouira. Dans les secteurs voisins de Blida et Boumerdès (1ère région militaire), deux caches d’armes ont été découvertes contenant une mitrailleuse de type PKT, une mitraillette de type (MAT-49), quatre fusils de chasse, un fusil à répétition. Les militaires ont également découvert un lance-roquettes de type RPG7, deux canons de fusils semi-automatiques, six obus RPG7, huit charges d'obus, 38 téléphones portables bricolés en systèmes de mise à feu d’explosifs, 13 bombes de confection artisanale, quatre paires de jumelles et une importante quantité de munitions de différents calibres. Le communiqué officiel ajoute que 24 kilogrammes de TNT, 12,5 kilogrammes d'explosifs, 170 litres d'acide nitrique ont été également saisis ainsi que 31 détonateurs, six mètres de mèche de détonateur, un groupe électrogène, deux panneaux solaires, des vêtements, des denrées alimentaires et d'autres matériels de survie.
En qualifiant les membres du groupe terroriste neutralisé de « militants », Reuters et ses repreneurs parisiens ont mis le feu à la blogosphère, obligeant ainsi Le Figaro à corriger, son nouveau titre devenant : « Algérie : 22 islamistes tués par l'armée ». Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Ramtane Lamamra, a qualifié - le 21 mai dernier - l'élimination de 25 terroristes à Bouira « d'opération audacieuse » et de « bond qualitatif » reflétant la capacité de l'ANP et des services de sécurité à contrôler et à éradiquer les cellules terroristes. M. Lamamra a souligné que « le monde entier reconnaît le professionnalisme des forces de sécurité et de l'ANP dans la lutte antiterroriste », concluant qu’ « il est important que d'autres parties puissent tirer profit de l'expérience de l'Algérie dans la lutte antiterroriste acquise grâce aux sacrifices de ses enfants ».
Evidemment, ce « glissement sémantique » n’est pas sans rappeler l’infâme campagne du « Qui-tue-qui ? », initiée durant les années 90 par les quotidiens Libération et Le Monde, qui s’évertuaient à attribuer les meurtres des GIA (Groupes islamistes armés) à … l’armée algérienne ! Ben voyons… Si depuis le temps, historiens, anthropologues et experts militaires ont tordu le cou à cette opération de désinformation et de propagande, on doit déplorer aujourd’hui encore que les séquelles de cette machination perdurent, qu’elles sont responsables de la permanence et de la résurgence régulière d’un véritable inconscient selon lequel les auteurs d’attentats terroristes – en Europe et aux Etats-Unis – sont bien des « terroristes » alors que dans le monde arabe, ils peuvent être considérés comme des « militants ». Encore une fois : militants de quoi ? Les médias en question répondent rarement à la question ; faute de place et de temps, répondent fréquemment les responsables d’édition. Ce n’est pas si simple ! Les journalistes se drapent, le plus souvent, dans une illusoire « objectivité », faisant d’eux la profession qui a le plus grand mal à admettre, sinon à mettre en discussion ses a priori idéologiques.
En fait, cette appellation de « militant » pour désigner des jihadistes armés s’est généralisée à partir de mars 2011 en Syrie. Et l’on doit ce tour de passe-passe (proprement idéologique) à l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), officine très contestée et contestable à l’appellation controversée puisque ses principaux animateurs sont de vrais « militants » - justement - des Frères musulmans syriens… En fait, cette difficulté à nommer les auteurs de violence extrême, sinon radicale tient, notamment à l’absence de définition universelle du « terrorisme ». Dans la France occupée, Jean Moulin était le chef du Comité national de la résistance (CNR) nommé par le général de Gaulle, donc un héros pour les partisans de la France Libre, tandis qu’il était qualifié de « terroriste » par ses geôliers et les autorités de Vichy… Que dire de Yasser Arafat, selon qu’il est jugé par les opposants ou les partisans de la libération de la Palestine ? On pourrait multiplier les exemples à l’infini.
Pour notre part, nous nous félicitons que les Nations unies ne soient jamais parvenues à établir une définition fermée du « terrorisme » puisque celle-ci doit toujours être remise en situation et en immersion hic et nunc, selon un contexte historique et politique déterminé et précisé. Pour revenir à la dernière opération de l’ANP de Bouira, si l’on fait son travail de journaliste correctement, on ne peut que constater et rapporter qu’il s’agissait bien de « terroristes » et non de « militants » désincarnés. Ces terroristes préparaient des attentats au nom de Dae’ch et de la restauration du Califat… Les journalistes négligeants et ignorants auraient pu tout aussi bien rappeler que c’est en Algérie, dès la fin des années 80, que des terroristes ont commencé à égorger, brûler et torturer leurs victimes en prétendant ainsi, déjà à l’époque, rétablir un Califat…
Comme l’écrit le philosophe allemand Jürgen Habermas, la presse est un véritable pouvoir, mais souvent un pouvoir sans responsabilité ! Lorsqu’on y ajoute l’ignorance et l’arrogance, on mesure l’ampleur de la tâche pour revenir au plus près de la vérité… Vaste programme !
Richard Labévière, 7 juin 2015
“… mais souvent un pouvoir sans responsabilité!”. Souvent? Quand on lui colle un procès, pas autrement! En avez-vous déjà entendu un, ou lu, confesser qu’il a menti, brodé, suggéré, insinué? Le tout sans trop se mouiller!