Par Pascal Décaillet
ELECTIONS • Héritée des Lumières et de la Révolution française, la démocratie représentative ne parvient-elle pas doucement à ses limites? N’est-il pas temps d’entamer une réflexion sur un nouveau système, plus direct, pour les générations qui viennent?
Des affiches, des sourires, des tronches. Tous, l’air sympa. Des campagnes, des stands, des raclettes, des saucisses. Du blanc de messe. Des grappes de militants, qui tentent de vous harponner. Des ballons, pour les enfants. Des annonces dans les journaux, des slogans. Des attaques, des missiles. Des baisers de Judas. Des chats, des chiens, des photos de famille, sur les réseaux sociaux. Ça fait un moment que ça dure, ce système. Les supports changent, en fonction de l’évolution des techniques, mais au fond, voilà bientôt deux siècles que le principe demeure: le citoyen délègue à d’autres le pouvoir de décider à sa place. Siéger en son nom. Dans le délibératif d’une commune (Conseil municipal, à Genève), le législatif d’un canton (Grand Conseil), ou celui de la Confédération (Conseil national, Conseil des Etats). Cela s’appelle la démocratie représentative. D’aucuns nous décrivent ce système comme inégalable, inattaquable: on n’aurait jamais fait mieux. Je ne suis pas certain de partager ce point de vue.
Citoyenneté
Nous fonctionnons encore comme au temps des diligences. A l’époque où le système de délégation parlementaire se met en place (autour de la Révolution française, puis deux siècles, riches de soubresauts, jusqu’à aujourd’hui), la plupart des gens ne savent pas lire, n’ont pas grande idée de la vie politique de leur pays, ne connaissent pas les lois, seraient incapables d’argumenter, du haut d’une tribune. Alors, on délègue. A des gens instruits, combatifs, courageux, sachant s’exprimer. Et il faut bien dire qu’en ce temps-là, l’invention des parlements fut un progrès exceptionnel par rapport aux systèmes d’Ancien Régime. De sujet, vous deveniez citoyen. En élisant vos députés, vous participiez à la vie du pays. D’abord, seulement les hommes. Puis, beaucoup plus tard (1945 en France, 1971 au niveau fédéral en Suisse), les femmes. Aujourd’hui encore, ma foi, à part rêver à livre ouvert (ce à quoi je m’aventure ici), comment concevoir un meilleur système?
Il faudrait pourtant, doucement, commencer à inventer autre chose. Juste après l’antenne, ce dimanche 10 mai vers 18h45, à Uni Mail, je discutais avec Pierre Conne, candidat PLR non-élu, mais fort bien placé, et ayant mené une belle campagne. Et il y a eu un moment, très fort, où ce paisible sexagénaire, ce gentleman aux yeux bleus, m’a glissé: «Il faut que les jeunes inventent autre chose. Nous sommes au bout d’un système.» Je crois qu’il a raison.
Le lieu, certes, l’ambiance, avec cette surabondance de candidats, heureux ou déçus dans le jeu de miroirs de leurs ambitions, tout cela se prêtait à un sentiment de trop-plein, presque de nausée. Allons-nous, pour l’éternité, laisser se développer, comme une machine à Tinguely, la mécanique recommencée de ces cirques électoraux? Candidats, assemblées, affiches, coups bas, alliances de dernière minute, promesses? N’est-il pas temps d’inventer un nouveau système démocratique, où le citoyen, la citoyenne, serait en prise plus directe avec les décisions à prendre? Je ne parle ici, vous l’avez compris, ni de demain, ni d’après-demain. Mais d’une évolution, dans les générations qui viennent, de notre rapport à la citoyenneté. En attendant, bonne chance à tous les élus communaux 2015-2020. Et surtout, bon courage!
@ Pierre H :
Vous avez raison de le rappeler : il faut de l’éthique. Celui qui reçoit le pouvoir en délégation doit être maître de ses désirs pour prétendre à la légitimité, servir et non se servir. Cependant, à cette aune, il y a fort peu d’hommes politiques pouvant légitimement gouverner. Il ne leur reste que la contrainte légale.
Je ne crois pas que la démocratie soit à bout de souffle ou qu’il faille trouver autre chose parce qu’elle aurait fait son temps ou simplement parce que même si ça marchait, c’est devenu de la routine sans plus aucune surprise et que donc il faudrait inventer quelque chose de nouveau pour être moderne ou être stimulé de nouveau. Un peu comme “qu’est-ce qu’on pourrait inventer de mieux que les roues pour une voiture à moins qu’elle ne vole?” Je ne vois pas. Mon idée est que la vraie démocratie n’a jamais existé. Citez-moi un seul pays démocratique aujourd’hui. Il n’y en a aucun ! Notre problème ou notre dégénérescence ou notre déclin ne vient pas de la politique mais de l’éthique. Comme Churchill, je pense que la démocratie (la vraie) est le système le moins mauvais mais il ne faut pas des anti-démocrates et des corrompus à la tête des Nations qui dès lors n’ont plus de démocratique que le nom. Mais depuis que l’Homme est Homme, il est corruptible et donc c’est difficile d’avoir de vrais démocrates à la tête de démocraties. Et ne parlons pas d’autres systèmes que la démocratie qui eux, sont non éthique par essence. Ce qui manque à la démocratie, c’est un organe de contrôle. Les dirigeants qui se prennent pour des petits chefs ou des petits dieux doivent être mis à l’écart par la force s’il le faut pour le bien de la communauté. Bien sûr, l’organe de contrôle est corruptible lui aussi. D’où cette fameuse phrase de tête : “Le prix de la Liberté, c’est la vigilance éternelle”. Les citoyens, gens de la société, appelez-les comme vous voulez, ont toujours laissé aller trop loin les dirigeants qui se prennent pour des petits dieux en leur faisant confiance. Et les petits dieux commencent à se protéger et à mettre des verrous partout et deviennent “indélogeables”. Des dirigeants ne sont pas des chefs, ils sont élus pour représenter le peuple auquel ils appartiennent. Certains ici disent que la solution serait dans un empire avec une dictature dirigée, mais tous les empires sans exceptions se sont effondrés, aussi toujours pour des questions d’éthique. Alors, inventer de nouvelles choses, c’est très bien, mais si l’éthique n’est pas au rendez-vous, ça finira aussi en eau de boudin tôt ou tard…
Ce que disent les contributeurs est inquiétant, notamment les remarques sur la démocratie directe. Mais je suis perplexe comme Tocqueville : je ne saurais mettre le principe de souveraineté ailleurs que dans la Nation (ou le Peuple, comme on voudra) et en même temps je ne supporte pas la dictature de la majorité. “Suis-je en contradiction avec moi-même ?” se demandait Tocqueville.
La corruption est inhérente à l’état politique, nous n’y pouvons rien d’autre qu’essayer d’ériger des barrières juridiques, vouées à être contournées : c’est une course de vitesse. Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, disait paraît-il Machiavel (ou un autre…!)
Cela dit, Bourbon, Bonaparte ou République, ce n’est là que le principe de répérage ; l’un comme l’autre de ces régimes peut être aussi bien démocratie que despotisme ; là, dans démocratie ou despotisme, est le principe de pouvoir, et c’est lui qui fait problème, en fait. La prospérité déteste le désordre – nous l’avons assez vu avec nos révolutions – mais elle est incompatible avec le dirigisme économique – nous en faisons l’expérience en France depuis trente ans. Le XVIIIe a cru naïvement aux “despotes éclairés”, mais Frédéric II et la Grande Catherine ont été de vrais despotes dont les lumières n’étaient que de façade.
Je crois que l’on peut tirer un leçon à méditer de l’Histoire de France de Jacques Bainville (réédition en “Texto” chez Taillandier). Il semble ne pas prendre parti, mais on dirait que ce maurrassien regardait se succéder les régimes, depuis Louis XIV, d’une manière fort désabusée. J’en conclus qu’il n’y a pas de “bon” système politique, simplement des bricolages historiques qui réussissent quelquefois un peu, échouent le plus souvent, profitent un peu aux uns, beaucoup aux autres.
Du même avis que Pascal Décaillet, je montre dans mes cours d’écologie que le système démocratique ne convient pas pour résoudre les problèmes urgents relevant par exemple de la macroécologie.
J’en ai parlé à un ami historien qui a été catégorique: le système politique qui a permis, dans l’Histoire, les progrès les plus spectaculaires est incontestablement l’Empire, c’est-à-dire une dictature éclairée.
On est pas sortis de l’auberge… 😉
@ Vautrin
Même le système helvète de la démocratie directe est à bout de souffle. Nos élus sont des corrompus. Bien entendu, ils ne touchent pas de pots de vin, c’est bien plus subtil. Combien d’avocats, combien de juristes, combien de membres de conseil d’administration? Et je ne mentionne pas les adeptes des dogmes issus de la gauche toute confondue persuadée que l’homme est bon, que c’est la société qui le rend pervers, que toutes les cultures se valent.
Athènes pratiquait le tirage au sort :
http://www.cndp.fr/archive-musagora/citoyennete/citoyennetefr/election.htm .
Proposé aujourd’hui par Etienne Chouard (Voir le web).
L’idée est dans l’air. Il est clair que le système “représentatif” est à bout de souffle (je parle ici pour la France), car il n’est plus guère qu’émission de chèques en blanc pour une caste politique qui n’en fait qu’à sa tête, ou plutôt selon les désirs du gouvernement.
La démocratie directe est nécessaire, et les moyens techniques actuels en faciliteraient l’expression. Qu’au moins toutes les décisions visant les lois fondamentales sur lesquelles s’édifie la société, les traités internationaux, impôts et taxes même soient décidés directement par les citoyens et non par le parlement. (Sur la question des impôts, je connais les objections).
Celui-ci devrait être ramené au rôle qu’il avait sous l’Ancien Régime : un organisme juridique voué à des tâches techniques (car on ne peut pas faire siéger le peuple sans désemparer, non plus), responsable de ses actes devant les citoyens.