[Reprise] Dix raisons pour lesquelles les États-Unis ne sont plus la terre des hommes libres

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Par Jonathan Turley, le 13 janvier 2012

Tous les ans, le département d’état publie des rapports sur les droits des personnes dans d’autres pays, répertoriant l’adoption de lois et règlements restrictifs partout dans le monde. L’Iran, par exemple, a été critiqué pour son refus de tenir des procès publics équitables et les limites imposées à la vie privée, tandis que la Russie a été épinglée pour ses entorses à l’application de la procédure judiciaire. D’autres pays ont été condamnés pour leur utilisation de preuves secrètes et pour torture.

Alors même que nous passons au crible les pays que nous considérons comme des dictatures, les américains restent cependant certains que toute définition d’un pays libre doit comprendre le leur – le pays de la liberté. Pourtant, les lois et les pratiques du pays devraient ébranler cette certitude. Dans la décennie qui a suivi le 11 septembre 2001, ce pays a drastiquement réduit les libertés civiles au nom d’une sécurité renforcée. La Loi d’Autorisation (du budget) de la Défense Nationale en est l’exemple le plus récent. Signée le 31 décembre, elle autorise la détention de citoyens sans limite de temps. A partir de quel seuil la réduction des droits des personnes dans notre pays change-t-elle notre définition de nous-mêmes ?

Alors que tous les nouveaux pouvoirs sécuritaires nationaux adoptés par Washington étaient sujets à controverse dès leur promulgation, ils étaient souvent discutés indépendamment les uns des autres. Mais ils n’agissent pas indépendamment les uns des autres. Ils forment une mosaïque de pouvoirs pouvant faire apparaître notre pays, au moins en partie, comme autoritaire. Les américains proclament souvent à la face du monde que notre pays est un symbole de liberté, tout en rejetant des nations comme Cuba et la Chine dans la catégorie des dictatures. Nous n’avons objectivement qu’à demi raison. Ces pays manquent réellement des droits individuels de base comme l’accès à une justice indépendante, les excluant de toute définition sensée du mot “libre”, mais les États-Unis ont maintenant beaucoup plus en commun avec de tels régimes que quiconque ne voudrait l’admettre.

Ces pays ont aussi des constitutions qui prétendent garantir les libertés et les droits. Mais leurs gouvernements ont toute latitude pour dénier ces droits et ne laissent que peu de place à une quelconque contestation citoyenne : ce qui est précisément le problème avec les nouvelles lois de ce pays.

La liste des pouvoirs acquis par le gouvernement des États-Unis depuis le 11 septembre nous met dans une inquiétante compagnie.

Assassinat de citoyens américains

Le président Obama a revendiqué, comme le président George W. Bush avant lui, le droit d’ordonner l’assassinat de n’importe quel citoyen considéré comme terroriste ou instigateur du terrorisme. L’an dernier, il a ainsi approuvé le meurtre du citoyen américain Anwar al-Awlaqi et d’un autre citoyen américain. Le mois dernier, des représentants officiels du gouvernement ont confirmé ce pouvoir, déclarant que le président peut donner l’ordre d’assassiner tout citoyen qu’il considère être allié à des terroristes. (Des pays comme le Nigeria, l’Iran et la Syrie ont été régulièrement critiqués pour les exécutions d’ennemis de l’état en dehors de toute procédure judiciaire.)

Détention arbitraire sans limite de temps

Selon la loi validée le mois dernier, les personnes soupçonnées de terrorisme doivent être détenues par les militaires ; le président a aussi le pouvoir de faire mettre en détention sans limite de temps les citoyens accusés de terrorisme. Alors que le gouvernement affirme que cette disposition ne fait que codifier la loi existante, des experts contestent largement ce point de vue, et l’administration s’est opposée aux tentatives de remise en cause d’un tel pouvoir devant les tribunaux fédéraux. Le gouvernement continue de revendiquer le droit de dépouiller les citoyens de leurs protections légales à sa seule discrétion. (La Chine a récemment codifié une loi plus limitée sur la détention de ses citoyens, pendant que des pays comme le Cambodge ont été stigmatisés par les États-Unis pour les “détentions prolongées” qui s’y pratiquent).

Justice arbitraire

C’est au président désormais de décider si une personne devra être jugée par la Cour fédérale ou par un tribunal militaire, un système dont le manque de protection procédurière nécessaire est raillé sur toute la planète. C’est Bush qui s’est attribué cette autorité en 2001 et Obama a perpétué cette pratique. (L’Egypte et la Chine ont été décriées pour avoir appliqué à certains prévenus, civils compris, une justice militaire séparée.)

Recherches non mandatées

Le Président peut maintenant ordonner une surveillance sans avoir besoin de mandat, ce qui comprend la possibilité nouvelle de forcer les entreprises et les organisations à fournir des informations sur les finances, les communications et les associations des citoyens. Bush a acquis ce pouvoir généralisé à la faveur du Patriot Act de 2001 et Obama a étendu ce pouvoir en 2011, en y incluant les recherches d’absolument tout, depuis les documents commerciaux jusqu’aux historiques des bibliothèques. Le gouvernement peut utiliser des “lettres de sécurité nationale” pour exiger, même sans présomption légitime, que des sociétés fournissent des informations sur des citoyens – en les obligeant à ne pas dévoiler cette procédure à la partie affectée. (L’Arabie Saoudite et le Pakistan possèdent des lois qui permettent à leur gouvernement d’opérer une surveillance discrétionnaire étendue.)

Preuves secrètes

L’emploi de preuve secrète par le gouvernement pour mettre des individus en détention est devenue une habitude, que ce soit devant une cour fédérale ou une cour militaire. Elle permet aussi de forcer le rejet des procès contre les États-Unis, il suffit de remplir une déclaration qui affirme que le procès amènerait le gouvernement à dévoiler des informations classées secrètes et qui mettraient en péril la sécurité nationale – un procédé utilisé dans de nombreux procès en violation de vie privée et largement accepté par les juges fédéraux, sans aucune objection. Même les avis préalables, cités comme étant la base des actions menées par les administrations Bush et Obama, sont classés secret défense. Cela permet au gouvernement d’invoquer des arguments légaux secrets pour appuyer des procédures secrètes grâce à des preuves secrètes. De plus, certains procès ne sont même jamais portés devant les tribunaux. La cour fédérale rejette régulièrement les recours constitutionnels contre des politiques et des programmes, se réfugiant derrière une étroite définition des fondements juridiques de saisine d’une affaire.

Crimes de guerre

Le monde a réclamé des poursuites contre ceux qui ont pratiqué la torture par l’eau contre des terroristes présumés sous l’administration Bush, mais l’administration Obama a déclaré en 2009 qu’elle n’autoriserait pas les enquêtes ou les poursuites contre les employés de la CIA responsables de ces actes. C’est mépriser non seulement les obligations des traités mais aussi les principes du droit international de Nuremberg. Quand des tribunaux de pays comme l’Espagne ont décidé d’enquêter sur des officiels de Bush pour crimes de guerre, l’administration Obama a, selon certaines sources, pressé ses homologues étrangers d’empêcher de telles poursuites, malgré le fait que les États-Unis aient longtemps prétendu à la même autorité envers les présumés criminels de guerre d’autres pays. (De nombreuses nations ont empêché que des enquêtes soient menées contre des officiels accusés de crimes de guerre et de torture. Certaines, comme la Serbie et le Chili, se sont finalement résignées à se soumettre au droit international ; les pays qui ont refusé des enquêtes indépendantes comprennent l’Iran, la Syrie et la Chine.)

Tribunal secret

Le gouvernement utilise de plus en plus le tribunal secret de surveillance des agents de renseignement étrangers, qui a étendu ses mandats secrets pour y inclure tous les individus suspectés d’aider ou d’encourager des gouvernements ou organisations étrangers hostiles. En 2011, Obama a renouvelé ces pouvoirs, en y incluant la possibilité de rechercher secrètement des individus n’appartenant pas à un groupe terroriste identifiable. Son administration a confirmé le droit d’ignorer les limites imposées par le Congrès à propos d’une surveillance de ce type. (Le Pakistan a placé la surveillance pour la sécurité nationale sous l’autorité opaque de l’armée ou des services de renseignement.)

Immunité face à l’examen de constitutionnalité d’une loi

Comme l’administration Bush avant elle, l’administration Obama a fait pression et obtenu l’immunité des sociétés qui, sans en avoir le droit participent à la surveillance de citoyens, rendant ainsi inutile toute action au nom de l’atteinte à la vie privée. (De la même manière, la Chine balaie les protestations contre l’immunité, qu’elles viennent de Chine ou d’ailleurs, et il est ordinaire qu’elle bloque les actions en justice contre les sociétés privées.)

Surveillance continue des citoyens

L’administration Obama a défendu avec succès sa volonté de pouvoir utiliser des appareils dotés de GPS afin de suivre tous les mouvements d’un individu ciblé sans décision ni examen judiciaire préalable. (L’Arabie Saoudite a mis en place un système de surveillance publique massive, et il est de notoriété publique que Cuba surveille activement certains de ses citoyens.)

Transferts exceptionnels

Le gouvernement a désormais la possibilité de transférer des citoyens nationaux ou étrangers dans un autre pays au moyen d’un système appelé procédure de transfert exceptionnel. Il a été dénoncé comme étant un moyen d’utiliser d’autres pays comme la Syrie, l’Arabie Saoudite et le Pakistan pour torturer les suspects. L’administration Obama affirme qu’elle n’abuse plus de cette pratique comme c’était le cas sous Bush, mais elle insiste sur le droit d’utiliser ces transferts sans aucune entrave – y compris pour les citoyens américains.

Ces nouvelles lois arrivent accompagnées d”injection d’argent dans un système de sécurité étendu au niveau des états et de la fédération, incluant une augmentation des caméras de surveillance publique, des dizaines de milliers d’agents de sécurité et une extension massive d’une bureaucratie chasseuse de terroristes.

Certains politiques haussent les épaules affirmant que ces pouvoirs renforcés ne sont qu’une réponse à la situation actuelle. Le sénateur Lindsey Graham (républicain – Caroline du Sud) a donc pu déclarer sans objection dans un entretien publié au printemps dernier que “la liberté d’expression est une brillante idée, mais nous sommes en guerre”. Bien entendu, le terrorisme ne “se rendra” jamais et ne mettra jamais fin à cette “guerre ci”.

D’autres politiques justifient l’existence de tels pouvoirs, le problème se ramenant selon eux à l’utilisation qu’on en fait. Cette réponse est fréquente chez les libéraux qui ne peuvent se résoudre à dénoncer Obama comme ils ont dénoncé Bush. Le sénateur Carl Levin (démocrate – Michigan), par exemple, a souligné que ce n’était pas du ressort du Congrès de décider sur la question de la détention illimitée : “c’est une décision que nous laissons à ceux à qui elle appartient – c’est-à-dire à la branche exécutive”.

Et lors d’une déclaration relative à la signature de la loi de financement du département de la Défense, Obama a déclaré qu’il n’avait pas l’intention d’utiliser ce dernier pouvoir pour emprisonner indéfiniment des citoyens. Néanmoins, il l’acceptait avec regret tel un autocrate malheureux.

Une nation autoritaire n’est pas seulement définie par l’utilisation excessive de pouvoirs, mais par sa capacité à pouvoir les utiliser. Si un président peut vous prendre votre liberté ou votre vie par sa seule autorité, tout droit ne devient guère plus qu’un privilège discrétionnaire soumis au bon vouloir de l’exécutif.

Les rédacteurs [NdT : de la constitution] ont vécu sous un régime autocratique et comprenaient ce danger mieux que nous ne le faisons. James Madison, dans un avertissement célèbre, a prévenu que nous avions besoin d’un système qui ne dépende pas des bonnes intentions ou des motivations de nos dirigeants : “Si les Hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire.”

Benjamin Franklin était plus direct. En 1787, une Mme Powel s’en prit à Franklin après la signature de la Constitution en demandant, “Eh bien, Docteur, qu’avons-nous là, une république ou une monarchie ?” Sa réponse fut assez froide : “Une république, Madame, si vous êtes capable de la garder.”

Depuis le 11 septembre, nous avons créé le gouvernement que nos Pères fondateurs redoutaient : un gouvernement avec des pouvoirs ravageurs et largement incontrôlables laissant seulement au peuple l’espoir qu’ils seront utilisés sagement.

La clause de la détention indéterminée dans le projet de budget de la défense sonnait comme une trahison de la part d’Obama pour les défenseurs des libertés civiles. Alors que le président avait promis son veto sur la loi du fait de cette clause, Levin, le parrain du projet de loi, a divulgué au sénat que c’était en fait la Maison-Blanche qui approuvait la suppression de toute exception pour les citoyens américains quant à la détention indéterminée.

La malhonnêteté des politiciens n’a rien de neuf pour les américains. La véritable question est de savoir si nous nous mentons à nous-mêmes lorsque nous appelons ce pays la terre des hommes libres.

Jonathan Turley est titulaire de la chaire Shapiro de droit des libertés publiques à l’université George Washington.

Source : The Washington Post, le 13/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

Extrait de: Source et auteur

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3 commentaires

  1. Posté par Pierre H. le

    @Geronimo
    Tout-à-fait d’accord avec vous sur tout ! Même analyse, même parcours ! Aussi sur le fait que les USA étaient un pays d’hommes libres avant que les allochtones européens ne l’envahissent. Sauf qu’alors, avant, ce n’étaient pas les USA…

  2. Posté par Geronimo le

    Les USA étaient un pays d’hommes libres avant que les allochtones européens ne l’envahissent. J’ai toujours été fasciné par les peuples amérindiens pour leur mode de vie on ne peut plus respectueux de la terre et des hommes, leur sagesse, leur lucidité et leur courage. Vit-on vraiment mieux aujourd’hui? J’ai malgré tout longtemps été pro américains et anti-URSS (guerre froide oblige). J’ai longtemps été pro UE et anti Blocher. J’ai toujours été anti capitalisme totalitaire et pour une économie au service de l’homme, mais j’ai malgré tout succombé au consumérisme par tentation et par aisance. Aujourd’hui je vois notre monde, l’idéologie socialiste, le capitalisme à la Tafta, la propagande niaiseuse et irresponsable des genres et des droits de l’homme, la dhimmitude face au nazi-islamisme, le totalitarisme des élites, leurs mépris pour leurs propres peuples. De racine chrétienne j’ai souvent tendu l’autre joue, mais j’ai appris de l’histoire des amérindiens que, sans racine, sans terre et sans nation, l’homme ne sais plus qui il est ni où il va, et que les civilisations sont perdues. Alors aujourd’hui, je suis islamophobe, anti américain, anti UE, membre récent de l’Asin et bientôt de l’UDC. Mais toujours pas antisémite, ni totalitaire, n’en déplaise à certains. Pour sauver notre civilisation, notre indépendance, notre libre arbitre et notre liberté, j’en appelle aux Peuples européens pour ne pas finir comme mon pseudo.

  3. Posté par Pierre H. le

    Je me demande si les USA ont jamais été un pays d’hommes libres ! Après avoir été pendant longtemps américano-béat, je me pose de sérieuses question. Une des seules nations au monde fondée sur les terres de quelqu’un d’autre par des pères fondateurs franc-maçons qui a connu la ségrégation raciale au 20ème siècle (même dans la 2ème moitiée), la prohibition, et où l’impôt sur le revenu est anticonstitutionnel mais prélevé quand même et ceci depuis que le gouvernement US n’imprime plus sa propre monnaie lui-même mais l’emprunte à la FED, banque privée qui facture des intérêts élevés que les impôts anticonstitutionnellement prélevés servent à rembourser. Un pays d’hommes libres ? Et moi je suis le Pape !

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