Il est "libre" Maspero, comme ses "Libres enfants de Summerhill" (1970)
Eric Aeschimann a écrit dans L'Obs (Bibliobs) : "François Maspero, l'éditeur révolutionnaire est mort".
Il nous parle d'un éditeur mythique, mort à l'âge de 83 ans. Avec lui, "les Damnés de la Terre" ont été préfacés "radicalement" par Jean-Paul Sartre : "En le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur, et un opprimé".
Eric Aeschimann note : "Quand ils prenaient la plume, les penseurs de cette époque n'y allaient pas de main morte… De cette conception radicale du métier d'éditeur, François Maspero fut la figure de proue…"
Cet "écrivain, libraire, intellectuel engagé, a été d'une exigence et d'une constance jamais démenties". Maspero était issu d'une famille "intellectuelle prestigieuse. Son père était sinologue et son grand-père était égyptologue, tous deux professeurs… Très tôt, il lâche ses études d'ethnologie pour acheter, à 23 ans, une librairie du Quartier latin (et) en 1959, il créé les Éditions Maspero… Pendant 15 ans, en pleine effervescence pré et post- 68, ce sera un haut lieu de la vie intellectuelle et politique… Il réédite des classiques comme Paul Lafargue, Rosa Luxemburg, Léon Trotski… Les interdictions se succèdent, les condamnations aussi…"
Sa librairie "la Joie de lire" est un "lieu mythique". Il subit les agressions répétées "des maoïstes qui lui reprochent d'être un "commerçant permanent de la révolution". Ce qui ne surprendra personne, de la part de ces activistes décérébrés et violents de la "gauche bobo ultra des années 1970", toujours prêts à cogner !
Philosophe, il a déclaré : "Je pense ne pas m'en être trop mal tiré". Eric Aeschimann rapporte "la visite d'Alain Geismar et Serge July, venus lui proposer (un livre) et qui, sur son refus, "m'ont aboyé que le jour viendrait où je devrais restituer toute la laine que j'avais tondue sur le dos de la révolution." Ce sont les mêmes qui veulent nous faire la morale aujourd'hui, comme les représentants de la "gauche bobo friquée".
"En 1974, épuisé, il doit revendre sa librairie, "dans un tourbillon d'imprécations et une marée de merde", dit-il dans "les Abeilles et la Guêpe", son autobiographie. En 1982, il cède sa maison d'éditions à François Gèze, qui la rebaptisera "Éditions La Découverte"… C'est bien, pour "paraphraser "Macbeth" : "une histoire pleine de bruit et de fureur, écrite par un fou et racontée par un idiot." (Eric Aeschimann)
Maud Mannoni a préfacé la traduction française des "Libres enfants de Summerhill" (1970) : "C'est l'aventure d'une école autogérée (self governed) fondée en 1921 dans la région de Londres. Son fondateur, A.S. Neill, est un psychanalyste (qui) a mis ses découvertes psychanalytiques au service de l'éducation".
"A.S. Neill s'est dressé contre l'école traditionnelle, soucieuse d'instruire mais non d'éduquer. Il s'est dressé contre les parents hantés par le standard du succès (l'argent). Il s'est insurgé contre un système social qui forme, dit-il, des individus "manipulés" et dociles, nécessaires à l'ensemble bureaucratique hautement hiérarchisé de notre ère industrielle. À l'autorité fondée sur la contrainte physique, s'est, nous dit A .S. Neill, substituée "une autorité cachée, bien plus nocive et sournoise", fondée sur le "libre consentement", "libre consentement" obtenu par "la manipulation de l'individu". De là vient l'échec, nous dit-il, de toutes les formes d'éducation dites libérales. Summerhill a sa place dans (le) mouvement de pédagogie moderne…"
Bruno Bettelheim a écrit : "Relire l'œuvre de Neill, après 30 ans, fut une expérience passionnante… Tant de choses se sont passées au cours des derniers 25 ans, et même depuis la publication de "Libres Enfants de Summerhill" aux États-Unis, que je ne puis que conseiller, à ceux qui s'intéressent à l'éducation, de relire l'œuvre de Neill, en gardant à l'esprit les problèmes éducatifs du jour."
"Ce fut pour moi une expérience salutaire que de relire "Libres Enfants de Summerhill", pour la raison qu'en réfléchissant aux distorsions évoquées par Neill dans son livre… je dus reconnaître qu'il n'était en rien responsable de la fausse interprétation de ses idées… Je pense que c'est parce que l'homme et l'éducateur "en lui" sont beaucoup plus grands, plus importants, plus humains et plus extraordinaires…
"Ce que Neill sait faire mieux que quiconque, c'est diriger l'enfant… Ce qui est plus important, c'est que Neill devient extrêmement cher aux enfants et que bientôt ils ne peuvent s'empêcher de s'identifier à lui…
"Neill ne s'inquiétant pas de psychologie, pas plus que de ce qui provoque des changements chez ses élèves, il ne réalise pas que tout est dû à la façon dont ceux-ci s'identifiaient à lui. Summerhill est un succès, non pas parce que l'école est un lieu idéal pour éduquer des enfants, mais parce qu'elle est une extension de sa personnalité. Tout à Summerhill est une expression de Neill. À partir du moment même où ils arrivent à Summerhill, les enfants sont enveloppés par Neill, par ses convictions et ses principes…
"Partout, ils sentent l'impact puissant de sa personne et plus que tout, de son respect pour les autres. Et tôt ou tard, la plupart d'entre eux finissent par s'identifier à lui, même lorsqu'ils semblent lui résister… Ce qui est implicite dans tout ce qu'il dit, encore que ce soit très explicite lorsqu'il s'adresse aux parents, c'est que personne ne peut véritablement respecter un autre humain, à moins d'avoir un profond respect de soi-même."
Bruno Bettelheim donne une leçon utile à tous les éducateurs : "Le respect de soi demande qu'on ne se berne pas soi-même (et) le respect de l'enfant exige qu'on ne lui permette pas de se berner lui-même.
"C'est là où beaucoup d'adeptes de Neill déforment sa pensée. Ils pervertissent son enseignement de la véritable liberté (croyant) qu'il faut donner à l'enfant "la corde pour se pendre". Or, Neill dit que ce qu'il faut enseigner à l'enfant, c'est à se servir au mieux de la corde, afin de ne jamais se pendre avec, et de ne jamais pendre les autres… Aujourd'hui, beaucoup d'enfants souffrent d'une indulgence excessive.
"Ceux qui pensent que c'est ce que Neill préconise devraient relire "Libres enfants de Summerhill" :
"Permettre à un enfant de satisfaire ses caprices ou de faire ce qui lui plaît aux dépens des autres est néfaste. Cela le gâte et l'enfant gâté deviendra un mauvais citoyen".
"Neill sait qu'il ne faut pas permettre à des esprits en formation d'imposer leur volonté à d'autres… Neill sait que s'abandonner à la coercition ne laisse chez l'enfant que de la haine et du mépris.
"Voilà une leçon pour les parents indulgents ou les écoles où on donne aux élèves une fausse liberté.
"Et Neill cite l'exemple des parents qui laissaient leur fils de 4 ans taper sur le piano du voisin avec un maillet et qui regardaient autour d'eux, avec un sourire triomphant qui semblait dire :
"L'autonomie de l'enfant n'est-elle pas une chose merveilleuse ?"
"C'est (le cas) des parents qui donnent à leur enfant assez de corde pour se pendre, pour se berner et les berner eux aussi… Neill raconte une autre histoire qui montre son "bon sens", la caractéristique la plus précieuse lorsqu'on s'occupe d'enfants, et combien celui-ci manque à ceux qui ne comprennent ni la valeur de la liberté, ni les dangers de l'anarchie : "Une mère m'amena un jour sa fillette de 7 ans. "Monsieur Neill, dit-elle, j'ai lu tout ce que vous avez écrit. Et avant la naissance de Daphné, j'avais décidé de l'élever exactement selon vos méthodes". Daphné était debout sur mon piano à queue, avec ses chaussures à semelles épaisses.
"Elle sauta de là sur le sofa et passa presque à travers les ressorts.
"Vous voyez comme elle est naturelle, dit la mère, une véritable enfant neillienne !"
Et Bruno Bettelheim de conclure : "Le mouvement en faveur de la liberté (éducative) a été gâché et rendu détestable, parce qu'un trop grand nombre de ses adeptes n'ont pas les pieds sur terre… Ce que les lecteurs de "Libres Enfants de Summerhill" ne comprennent pas, c'est que si un tel cadre éducatif impose peu d'exigences spécifiques, ce genre d'institution est des plus exigeantes. Et cela parce qu'un tel cadre demande de l'enfant qu'il développe un degré très élevé de respect de lui-même et de véritable respect des autres."
"Neill pense, qu'afin d'élever des enfants sainement, les parents doivent arriver à comprendre qu'ils "gâtent leurs enfants en leur permettant d'avoir tous les droits"… Tout enfant est égoïste et croit que le monde lui appartient… Les enfants gâtés sont incapables d'apprécier la liberté, qu'il s'agisse de la leur ou de celle des autres… Plus tard dans la vie, l'enfant gâté a beaucoup plus de difficultés que celui qui a été soumis à une discipline. L'enfant gâté est très égocentrique…
"Trop peu de discipline peut être plus néfaste que trop de discipline". Si c'est ce que l'expérience a appris à Neill, qui certainement n'a pas un "esprit disciplinaire", il serait bon de méditer sur ses paroles".
Merci à toi, François Maspero, l'éditeur révolutionnaire de "Libres enfants de Summerhill" (1970) !
"Maspero refusant de faire surveiller "la Joie de lire", le grand jeu consiste à y voler des livres, comme si c'était le commencement de la révolution, voire un acte de bravoure… "Encore maintenant, il y en a qui osent s'en vanter devant moi !", s'indignait-il longtemps après". (Eric Aeschimann)
Lequel d'entre nous pourrait dire, aujourd'hui, avec lui : "Je pense ne pas m'en être trop mal tiré" ?
Thierry-Ferjeux MICHAUD-NERARD, 14 avril 2015
J’éprouve de la méfiance, presque de la défiance, envers la caste psy en général. Pour en avoir rencontré quelques spécimens clairement marqués de bien-pensance. Je confesse avoir été en ce sens bien influencé, éclairé. Par Neil Armstrong, lu il a plus de trente ans et reçu comme une pierre blanche. Par Arthur Janov, Thomas Szas, Ronald Laing, Maria Montessori et j’en passe.
Donc je remercie le pédopsychiatre, qui fait un bond considérable dans mon estime, d’évoquer Sumerhill, et Maspéro, comme il le fait. Et les Observateurs pour cette publication.