Démocratie directe. Le citoyen menacé

Albert Leimgruber
Rédacteur

Le think-tank avenir Suisse a publié un document dont l’objectif est de réformer l’initiative populaire. Deux mesures principales y sont énoncées. D’une part l’augmentation du nombre de signatures à 4% du corps électoral (soit environ 212’000 signatures) et d’autre par un contrôle préalable du texte de l’initiative par la chancellerie fédérale.

La principale raison pour laquelle Avenir Suisse préconise cette réforme est le fait avéré que de plus en plus d’initiatives populaires fédérales sont approuvés lors de votations contre l’avis du gouvernement et du parlement.

 

Quatre questions se posent :

  1. Pourquoi de plus en plus d’initiatives populaires connaissent-elles un succès populaire ?
  2. Quels sont les reproches faits par Avenir Suisse aux auteurs des initiatives à succès ?
  3. A qui profite l’augmentation du nombre de signatures ?
  4. Quelles sont les conséquences d’un contrôle préalable du texte de l’initiative ?

 

Pour Avenir Suisse, le succès grandissant des initiatives populaires est avant tout le résultat d’un marketing politique efficace et d’un « populisme » cherchant à utiliser l’initiative populaire à des fins électoralistes. Cet argument laisse de côté le fait que chaque campagne de votation laisse l’avantage au parlement et au Conseil fédéral. Il est avéré que les autorités fédérales jouissent non seulement d’une grande légitimité et crédibilité aux yeux de la population, mais ils disposent en général également de moyens de communication largement supérieurs aux initiants (leurs conférences de presse sont reprises par les médias, les spécialistes en communication des départements fédéraux ont un accès privilégié aux monde médiatique, les médias eux-mêmes tendent à défendre la position du gouvernement et du parlement…). Ce double effet crédibilité + Communication offre un avantage de taille aux autorités fédérales lors des campagnes de votation.

 

L’acceptation de plus en plus fréquente des initiatives populaires ne serait-elle pas plutôt un symptôme d’un écartement de la classe politique des besoins de la population ? Nous constatons que parmi les initiatives populaires acceptées par la population, une large part concerne le domaine de la sécurité (lutte contre la pédophilie et les pervers sexuels) et de l’immigration (minarets, expulsion des criminels étrangers, immigration de masse). Il apparaît que le Conseil fédéral, même lorsqu’il est appuyé par le parlement, le monde économique, les médias, les milieux culturels et académiques, ne parvient plus à convaincre une majorité de la population de sa politique. Les citoyens se retrouvent confrontés à de nombreux problèmes au quotidien, allant de l’insécurité à la pression salariale en passant par la surcharge des infrastructures ferroviaires et routières ou encore le mitage du territoire.

 

Avenir Suisse reproche aux auteurs des initiatives populaires leur « populisme », l’appel aux « bas instincts » des citoyens ou encore l’utilisation de l’initiative populaire comme moyen de marketing lors de campagnes électorales (ce qui peut vite se retourner contre les initiants, comme les Verts’libéraux ont dû le remarquer à leurs dépens). A en croire les auteurs de la feuille de discussion, le peuple serait une masse facilement manipulable, victime de manipulateurs (en principe des milliardaires habitant sur le bord du lac de Zurich). Le fait que lors des sessions parlementaires, la salle des pas perdus grouille de lobbyistes ne vient pas remettre en cause la manipulabilité du parlement pour le think-tank néolibéral. L’opinion que se fait Avenir Suisse de la population suisse démontre plus un manque de compréhension démocratique qu’une analyse scientifique. On peut plus facilement acheter un parlementaire qu’une majorité populaire.

 

La proposition d’augmenter le nombre de signature représente-t-elle un renforcement de la légitimité d’une initiative ? Il est plutôt probable que cette mesure ne donne l’exclusivité des initiatives populaires aux grands partis (qui de plus risquent d’être financés par des milliardaires habitant sur le bord du lac de Zurich). L’effet de la hausse du nombre de signatures serait donc la transformation définitive de l’initiative populaire en outil de marketing politique pour les grands partis. C’est donc profondément antidémocratique.

 

Autre exigence de l’usine à penser : le contrôle préalable. Avenir Suisse propose que la chancellerie fédérale puisse valider le texte de l’initiative populaire. Un tel processus est carrément contraire à l’esprit démocratique. Des personnes que le peuple n’a pas élues pourront s’arroger le droit de décider quelles initiatives peuvent être soumises à la votation. En Suisse, le pouvoir émane du peuple, qui est le souverain et qui a la possibilité de participer à la rédaction de sa constitution. Les critères d’invalidation des initiatives populaires (unité de la forme, de la matière et respect du droit international impératif) sont largement suffisants. L’expérience démontre que la sagesse populaire dépasse les intérêts des parlements et des gouvernements. La population agit dans son intérêt et non pour les intérêts d’un parti ou d’un lobby.

 

S’attaquer à l’initiative populaire, comme le fait Avenir Suisse c’est s’attaquer aux libertés individuelles, et par ce biais à la démocratie directe, la souveraineté populaire et finalement à notre identité, notre force, notre pays.

 

Albert Leimgruber, 10 avril 2015

Editeur et rédacteur en chef Voix Libre

www.voix-libre.net

 

 

 

4 commentaires

  1. Posté par Le pragmatique le

    Et je continuerai à voter selon mes “bas instincts” quand bien même avenir suisse me l’interdirait.

    Il faudra qu’a venir suisse se radicalise et mette la lobotomie à son programme.

    Mieux vaut crever debout que vivre à genoux. Les baillis de Bruxelles on n’en veut pas.

  2. Posté par Odidole le

    Bien vu et bien dit. La Française que je suis observe avec envie votre liberté d’expression. Tenez bon sur votre droit de vote !
    En France la liberté d’expression est réservée aux tenants du politiquement correct et aux “bien pensants” de gauche. On nous promet plus de référendums à chaque présidentielle et l’on n’en voit pas le début d’un seul. Les lois sont imposées par une minorité qui représente le quart des Français et si l’on manifeste contre un projet de loi, non seulement on n’est pas écouté mais on a droit au gaz lacrymogène et autres intimidations… J’ai honte de la façon dont est gouverné mon pays.

  3. Posté par François le

    100% d’accord avec ce texte d’Albert Leimgruber que je félicite et dont je répète la conclusion :
    “S’attaquer à l’initiative populaire, comme le fait Avenir Suisse c’est s’attaquer aux libertés individuelles, et par ce biais à la démocratie directe, la souveraineté populaire et finalement à notre identité, notre force, notre pays.”

  4. Posté par fstonborough le

    Bien vu et bien dit. Les Suisses de l’étranger, dont je suis, regardent avec incrédulité et tristesse l’évolution d’une Suisse – ou du moins d’une partie de ses élites – qui ne croit plus en ses valeurs et à son originalité. Qui a moins envie de se défendre que de se soumettre. Pourquoi?

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