PHILIPPE BARRAUD
Heimat: une saga de plus de cinquante heures de film, un des grands chef-d’œuvre du cinéma du XXe siècle. Et voici que le réalisateur Edgar Reitz nous offre deux nouveaux joyaux, d’une beauté inouïe.
Diffusé à partir de 1984, Heimat avait bouleversé les Allemands, et pas eux seulement. A travers cette monumentale chronique d’une famille de Rhénanie (d’où Reitz est originaire), les Simon, c’est toute l’histoire de l’Allemagne, de 1919 à l’an 2000, qui se déroule sous nos yeux.
Après Heimat, I, II et III, Edgar Reitz a signé deux nouveaux films, Chronique d’un rêve, et L’Exode*. Les spécialistes diraient qu’il s’agit d’un préquel, une histoire située avant celles déjà contées. On se trouve plongé dans les années 1842-1844, époque marquée par une terrible crise économique, en raison notamment de conditions météorologiques qui ont assommé les paysans. Epoque marquée aussi par une forte émigration, les campagnes se vidant de leurs forces vives, qui émigraient au Brésil par centaines de milliers.
On suit le fil de l’histoire à travers le cadet des fils de la famille Simon, Jakob, formidablement incarné par le jeune Jan Dieter Schneider. Ce garçon, fils d’un homme fruste, forgeron et petit paysan, a un don exceptionnel pour les langues, et la passion des livres – au grand désespoir de son père. Il rêve de Brésil, apprend les différents dialectes des Indiens, rêve, rêve dans ce monde étriqué et misérable.
Le génie de Reitz est de nous accrocher d’emblée dans les péripéties de la vie du petit village de Schabbach, marqué par la dureté des temps, la maladie, le froid, la mort omniprésente: un hiver, les enfants meurent par dizaines, mais on ne peut pas les enterrer tant le sol est gelé en profondeur. Peu avant de mourir, la mère de Jakob évoque tous les enfants qu’elle a perdus – destin banal à l’époque, mais la douleur n’était pas moindre.
Le scénario est ciselé, et surtout, comme dans les précédents épisodes, la photographie est extrêmement soignée, les images en noir et blanc et cinémascope sont somptueuses, qu’elles décrivent les douces collines du Hunhsrück, ou les intérieurs qui, savamment éclairés, témoignent d’un soin méticuleux du détail. On découvre en particulier la forge extraordinaire du père Simon, et l’atelier du lapidaire muet Fürchtgott, avec ses poulies, ses engrenages, son enchevêtrement de courroies qu’entraîne une grande roue à aubes.
C’est en somme ce qui retient le plus dans ce nouveau monument de Reitz de près de cinq heures: sa bouleversante beauté formelle, son amour des gens, et le souffle de l’Histoire qu’il a su nous faire partager.* Disponible en DVD et BluRay.
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