Une vidéo postée sur les réseaux sociaux la semaine dernière montre deux enfants, âgés d'une dizaine d'années chacun, se disant français et expliquant pourquoi il ferait bon vivre à Raqqa, en Syrie, plutôt qu'en France, ce pays de « kouffar ». Comprendre : de « mécréants ». Tous deux armés, ils friment, jouent les caïds face à l'objectif d'un adulte qui compte utiliser la vidéo pour faire la promo de l'organisation terroriste l'Etat islamique sur Facebook. Le journaliste David Thomson, reporter à RFI et auteur du livre Les Français jihadistes *, répond à nos questions sur ce conflit qui attire des familles entières et dont les enfants sont utilisés pour en faire venir d'autres.
Marianne: Combien de familles françaises sont actuellement en Syrie ?
David Thomson : Il y a une soixantaine de familles, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.
Est-ce un chiffre qui a beaucoup augmenté ces derniers mois ?
Non. C'est constant depuis 2012. Des familles entières partent faire le jihad en Syrie, à la fois des familles françaises et des familles venues d’autres pays. Le jihad en Syrie est un jihad familial : on part avec femme et enfants. C’est une particularité.
Y a-t-il une raison à cela ?
Dans les conflits précédents, si les gens avaient pu partir en famille, ils l’auraient fait. Mais en Afghanistan, au Mali, sur toutes les autres terres de djihad précédentes, c’était quasiment impossible techniquement de le faire. Partir en famille dans les montagnes de Tora Bora ou dans le Sahel, c’était pratiquement inenvisageable. Se rendre sur place, seul, était déjà bien compliqué. Alors en famille, on n’y pense même pas... Et puis sur place, il n’y avait pas de structures d’accueil. Tandis que pour la Syrie, quand une famille arrive, dans presque tous les cas, un appartement l’attend. Il y a même, maintenant, des écoles qui sont mises en place. Tout est prêt pour accueillir les familles et d’ailleurs, l’Etat islamique fait tout pour inciter les gens à émigrer en famille. Donc ça, c’est quand même la grande nouveauté par rapport aux lieux de jihad précédents.
Est-ce donc pour inciter d’autres familles que les parents, sur place, mettent leurs enfants en scènes dans des photos ou des vidéos ?
Oui, c’est une façon de montrer qu’ils élèvent leurs enfants dans l’amour du jihad, de montrer que leurs enfants sont déterminés, comme eux, qu’ils sont prêts à combattre, qu’ils feront de futurs moudjahidines… C’est une façon aussi de montrer aux aspirants émigrants qu’ils peuvent venir en famille. Et d’ailleurs, il y a souvent, dans les vidéos officielles de l’Etat islamique, des scènes où l’on voit des enfants jouer dans les rivières, s’amuser dans des parcs d’attraction, aller à l’école, manger des bonbons… Tout est fait pour montrer qu’il y a tout ce qu’il faut sur place pour accueillir des enfants.
Les émigrants savent ce qui les attend vraiment une fois sur place ?
Sur les conditions de vie, en général, ils sont bien informés. Après, ça n’empêche pas qu’il y ait, bien sûr, des déceptions à l’arrivée. Sur les conditions d’accueil notamment, j’en connais qui étaient déçus par l’appartement qui les attendait à l’arrivée. Mais en général, les gens qui partent sont parfaitement informés sur la réalité qui est celle de la ville de Raqqa ou du territoire de l’Etat islamique.
Concrètement, quels rôles jouent les Français au sein de cette organisation terroriste ?
Les Français font la même chose que les autres. Ils ne sont pas cantonnés à des activités particulières parce qu’ils sont français. Il y a donc tout un tas d’activités auxquelles ils prennent part. Cela peut-être des activités administratives, puisqu’il faut bien administrer le territoire ou encore aller au combat, participer à la police islamique, faire des tours de garde et même distribuer de la nourriture aux nécessiteux…
Ceux qui viennent pour faire le jihad en Syrie et qui se retrouvent finalement déçus par la vie sur place peuvent-ils s’en aller facilement ?
Je ne peux pas donner de réponse fiable à cette question. Ce que je sais, c’est qu’il y a aujourd’hui à peu près 200 retours de Français. Il y a des gens qui rentrent, et d’autres qui ont pu rentrer. Après, certains disent que leur passeport a été confisqué ou alors que tout a été fait pour les empêcher de partir. Certains disent aussi être accusés d’espionnage… Je pense que le retour est compliqué, mais qu’il n’est pas impossible.
Comment cela se passe-t-il lorsque des parents sont tués en menant le jihad ? Que deviennent les enfants ?
C’est vrai qu’il y a ce cas de figure qui se pose parce que, parfois, le père meurt. Je connais plusieurs exemples. Donc dans ce cas-là, la femme et les enfants sont pris en charge par les compagnons du jeune qui est mort. Je connais au moins deux pères français qui sont morts : un qui avait deux enfants, un autre qui en avait trois. Les enfants sont restés là-bas et ce sont leurs copains qui sont chargés de s’occuper d’eux. La femme, dans ce cas, a le choix entre se remarier ou rester veuve.
Les femmes, elles, ne sont jamais amenées à combattre ?
Non. Ça ne veut pas dire qu’elles ne combattront jamais, mais pour l’instant, elles n’en ont pas le droit. Certaines ont demandé à combattre, mais elles n’ont pas eu l‘autorisation. Contrairement aux femmes kurdes. Mais elles portent quand même des armes, pour se défendre, en cas d’ultime recours… Certaines femmes font partie de la police islamique, aussi. Mais elles ne sont pas combattantes. Les hommes considèrent que le moment où les femmes combattront, cela voudra dire que la situation, militairement parlant, sera désespérée pour eux.
Et vous, qu'en pensez vous ?