Un nouveau vampire : l’universalisme

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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Sous les coups de principes universels, peuples et individus vacillent, trébuchent et, parfois, s'effondrent. C'est très frappant dans le cas de la France qui s'auto-déclare volontiers patrie du plus grand de ces principes, les droits de l'homme, droits universels s'il en est. Eh bien ce pays qui, plus qu'un autre, devrait se sentir fort pour avoir brandi ces droits depuis plus de deux siècles, voit paraître des livres qui parlent d'un suicide du pays ou de son identité en lambeaux. En Suisse, les petits marquis poudrés de la mondialisation morigènent les Helvètes en leur expliquant que le droit international doit avoir la priorité sur le droit national. Et chez nous aussi, nous assistons à des réactions ou indignations contre ces petits marquis, mais les choses se passent de manière plus feutrée. En outre, notre pays, avec ses particularismes, remparts naturels contre la standardisation, répugne à faire table rase au nom de l'universalisme. Mais nous ne savons pas si ces remparts seront solides assez longtemps. Seuls les États-Unis échappent, on ne sait trop comment, à cet arasement des singularités par l'universalisme. Ils mènent une danse internationale tout en restant une patrie. Est-ce parce que ce sont eux et non les Français qui ont en fait enfanté les droits de l'homme ? On n'en sait rien.

 

Tout se passe comme  si quelque chose s'était mis en place qui nivelle tout patrimoine immatériel (les mœurs, l'histoire,)  et du même coup, biffe le futur. Ce quelque chose, c'est ce que j'appelle ici un vampire. Il ne tue pas d'un coup mais lentement, en vidant sa victime de sa substance, de son histoire, de sa singularité. Pour les bien-pensants, c’est-à-dire pour les nouveaux vampires, la singularité c'est mal, l'universel, très bien.

 

Parmi ceux qui sont vidés de leur sang,  il n'y a pas que des nations. Les individus deviennent eux aussi exsangues sous les amoureuses morsures d'une propagande consumériste leur faisant croire qu'ils peuvent vivre dans l'instant, délestés du passé et du futur. Ils en viennent à croire  que leur destin consiste à profiter de l'infinité des produits étalés sur des affiches, sur des spots publicitaires ou sur des rayons de supermarché avec, si possible, du "discount". Du citoyen, il ne reste pratiquement rien. Un consommateur l'a remplacé, qui se réjouit de l'abolition des frontières et des tickets "low cost". Au paradis du consommateur roi, il a été fait place nette pour une jouissance style club med. Les vampires aiment les plages de sable fin et savent admirablement suggérer que toute opposition à cet exode vers les grandes plages du consumérisme est du fascisme. C'est ainsi qu'ils nous préparent à une jouissance universelle. Ceux qui ne veulent pas rejoindre cet exode sont des clones de Hitler. Si ce n'est pas dit, c'est suggéré.

 

Dès lors, s'écarter de la ligne universaliste est immédiatement dénoncé comme une abomination. Un tel écart, nous explique-t-on, conduit immédiatement au rejet de l'autre, rejet qui constitue le pire péché qu'on puisse commettre. En quoi consiste-t-il ce péché,  comment en arrive-t-on à rejeter l'autre ? Questions rarement posées et qui, lorsqu'elles le sont, provoquent une réponse immédiate, cinglante, irréfutable. Quand on rejette l'autre, on est un monstre, point barre.

 

On aimerait bien qu'un hardi aventurier nous annonce qu'il a découvert un tel monstre. A quoi pourrait-il bien ressembler ? A-t-il mordu sauvagement le sein de sa mère ? S'est-il révolté contre son père au point de le dépecer ?

 

La mode intellectuelle est à la dénonciation de l'essentialisation. Par exemple, ce serait affreux de parler des musulmans en général,  car tout musulman serait différent d'un autre. Tel serait très gentil, tel autre pas du tout. Même chose pour les femmes,  les Juifs ou les homosexuels. Cet argument tient la route, d'autant que c'est souvent à partir d'une essentialisation qu'on stigmatise l’autre et fait de lui une chose méprisable. C’est vrai, mais alors, pourquoi se complait-on à essentialiser ceux qu'on a déclarés d'extrême droite ? Pourraient-ils, nos nouveaux vampires dans les veines desquels coulent non du sang mais de la moraline, nous expliquer cela ? Un intellectuel connu en Suisse romande,  Bernard Crettaz, expliquait récemment à la RTS que le rejet de l'autre, c'était très mal. Pas un mot sur ce que pourrait être celui qui rejette l'autre. Bernard Crettaz est sympathique et comme il apparaissait à la télévision, j'ai regardé son cou avec inquiétude. Avait-il été mordu par un universaliste vampire ? Heureusement, je n'ai rien vu. Il peut encore refuser une invitation aux bals organisés par les oligarques mondialistes, ces maîtres de ballet dans le château de Dracula. Je souhaite qu'il en ait la force.

Jan Marejko, 24 octobre 2014

 

 

3 commentaires

  1. Posté par Renaud le

    Oui Jan, j’ai lu ce texte récemment. S’il n’y avait pas cette ambiance je ne l’aurais pas lu, alors on peut dire qu’il y a un côté positif aux évènements de ce début de 21e siècle, ils font réfléchir. A plus court terme que le gouvernement mondial je crains un retour du balancier à contrario du détestable sentimentalisme débridé vers un ordre moral également détestable. Il faut donc être prudent dans la critiques.

  2. Posté par Jan Marejko le

    Renaud, vous posez la bonne question. Pourquoi est-ce si difficile de comprendre la morbidité d’un système totalisant ou totalitaire ? Une réponse possible est qu’un tel système semble promettre une vie sans heurts, sans douleurs, un fonctionnement doux. Il n’est donc pas seulement imposé de l’extérieur mais aussi souhaité par ceux qui lui seront finalement soumis. Nombreux sont les auteurs qui ont pressenti cela, le premier étant La Boetie dans son ouvrage intitulé La servitude volontaire.

  3. Posté par Renaud le

    Le mal qui s’avance c’est une autorité mondiale contraignante que même un grand esprit comme Benoit XVI appelait de ses voeux. Je crois que c’était en 2009. Au nom des plus grands principes et des meilleurs sentiments ce sera la mise en esclavage d’un peuple mondial soumis à un clergé d’élites bien pensants. On peut en avoir une toute petite idée en regardant le fonctionnement de l’Europe. Il sera extrêmement difficile de penser contre cette autorité mondiale censée faire le bien de l’humanité en général et des êtres humains en particulier. Si même un pape de haut niveau intellectuel n’est pas capable de penser l’erreur de cette idée de gouvernement ou gouvernance mondiale et l’horreur dans laquelle elle nous plongerait, ce seront peut-être des scientifiques qui pourront nous alarmer. Est-ce tellement difficile de comprendre la morbidité d’un système totalisant?

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