La vie réelle en démocratie également donne tort aux constructivistes

Stevan Miljevic
Enseignant
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La transmission culturelle par l'école est fortement contestée. Décriée car rendant les élèves passifs et donc incapables d'apprendre quoi que ce soit et décriée car autoritaire, donc non démocratique. Ces deux aspects comptent parmi les plus importantes sources de justification sur lesquelles se basent les adeptes des pédagogies dite "actives" ou "constructivistes" pour imposer leurs méthodes.

Qu'en est-il concrètement? S'agit-il de faits avérés qui appellent réellement modification ou est-on en face de croyances quasi religieuses promulguées par une secte d'intégristes pédagogistes? Essayons d'y voir un peu plus clair. Pour y parvenir, des situations de la vie de tous les jours vont être convoquées. Après tout, puisque les constructivistes estiment qu'il faut traiter les élèves comme des citoyens à part entière dans l'enceinte scolaire, il n'y a guère de raison de penser qu'on ne peut se servir d'exemples tirés de la vie quotidienne des citoyens pour illustrer la pertinence ou non de certaines pratiques scolaires.

Le premier de ces exemples est la publicité. La pub est omniprésente dans notre monde, à la télé, dans la rue comme dans nos boites aux lettres. Dans la plupart des cas, nous ne nous intéressons pas franchement à elle et la subissons d'une manière plutôt passive. Or, puisque les différentes entreprises continuent à nous bombarder de messages publicitaires, il faut conclure que cela fonctionne et qu'elles en tirent bénéfice. Les sommes gigantesques investies dans le domaine permettent d'affirmer sans trop d'hésitations que les résultats obtenus sont à la hauteur de l'investissement. Par conséquent, il nous faut bien conclure que, même si nous subissons la publicité passivement, celle-ci parvient à modifier nos comportements dans le sens désiré par le commanditaire du message. Autrement dit, même dans des situations de passivité présumée très prononcée, nous ne sommes pas inactifs contrairement à ce qu'affirment les constructivistes puisque nous assimilons un message suffisamment fort pour changer(ou renforcer) nos habitudes.

Cette entrée en  matière ne doit toutefois pas nous inviter à considérer qu'un élève amorphe est un élève qui apprend avec assiduité, bien au contraire. Elle invite simplement à ne pas confondre illusion de passivité avec inactivité. Lorsqu'un élève écoute avec attention son enseignant, il n'est pas si inactif que cela et son activité mentale est largement supérieure à ce que prétendent les constructivistes. Bien sûr, il convient de distinguer entre un élève amorphe et un élève attentif, distinction que les constructivistes peinent donc à faire étant donné leur affirmation, ce qui, vous le conviendrez, n'aide pas à supposer que ces gens soient des enseignants hors pair.

En passant, ce genre de déformations grossières sont assez courantes dans la rhétorique constructiviste. Je pense par exemple à la vieille métaphore de la cruche. Qui n'a jamais entendu dire que, dans la pédagogie traditionnelle, on voyait l'esprit de l'enfant comme une simple cruche à remplir? Or, la métaphore d'origine, tirée des textes du père Jouvency au XVIIème siècle est en réalité beaucoup plus subtile: "Le maître n'oubliera pas que l'esprit des enfants est comme un petit vase d'étroite embouchure, qui rejette la liqueur qu'on y jette à flots et qui reçoit celle qu'on y introduit goutte à goutte." (1) En clair, ce que ce jésuite exprimait était la nécessité de tenir compte des limites imposées par l'architecture cognitive des élèves, ce qui, vous le conviendrez, n'a pas grand chose à voir avec la manière dont les constructivistes présentent la chose. Je laisse à chacun le soin d'apprécier la nécessité de ce type de stratagèmes lorsqu'on est sûr de son fait et que ce qu'on a à dire est réellement pertinent...

Fermons cette parenthèse pour revenir au sujet de base de ce billet et intéressons nous à l'information telle que nous la vivons dans notre société. La presse écrite ou le journal télévisé sont d'excellents exemples de transmission que nous vivons au quotidien. Dans les deux cas, il n'est pas question de construction des savoirs par le lecteur ou téléspectateur et, pourtant, dans les deux cas, ceux-ci arrivent à emmagasiner les informations qui leur sont données. Ils arrivent également à changer leur représentation du monde et de son fonctionnement sur la base de ces canaux d'information, ce qui exclut l'idée que ces connaissances n'ont pas un bon impact sur leur développement. Qu'on soit clair, le propos n'est pas ici de savoir si la presse écrite ou la télévision fournisse une information adéquate. Je ne traite pas des contenus. Il s'agit simplement de constater que ces vecteurs communicatifs sont amplement suffisants pour qu'un apprentissage se fasse et que rien n'exige une participation plus active au sens constructiviste du terme pour y arriver.

Passons maintenant à l'aspect démocratie. Les constructivistes se targuent de fournir un modèle éducatif plus démocratique. En fait, il s'agit là d'une énorme confusion. L'effacement du maître en tant que figure autoritaire n'a absolument rien de plus démocratique puisque toutes les démocraties fonctionnent à l'aide d'institutions autoritaires telles que la police par exemple. Personne, hormis quelques extrémistes, n'oserait prétendre que la dotation en forces de l'ordre d'un pays le rend antidémocratique puisque cela rejetterait à peu près toutes les nations dans le camp des dictatures. De même aucun de ces mêmes pays ne fonctionne sans hiérarchie puisque le principe même des démocraties telles que nous les vivons consiste à déléguer le pouvoir de gouverner à des instances législatives, exécutives et judiciaires et que ces instances se trouvent à la tête de hiérarchies (notamment l'exécutif) nécessaires au fonctionnement d'un état moderne. Il y a donc grave confusion entre démocratie et nivellement égalitaire et collectiviste dans les écrits des théoriciens constructivistes. Je rappelle en passant que la réalisation la plus aboutie en terme d'état collectiviste et égalitaire (l'URSS) s'est immédiatement muée en une société outrancièrement hiérarchisée et policée. Le fait que cette création se soit emparée du constructivisme éducatif pour en faire le pilier de son système de formation n'est aucunement du au hasard (2).

Plus encore que la confusion entretenue vis-à-vis de ce qu'est une démocratie, j'affirme que, paradoxalement, l'enseignement constructiviste est fondé sur des bases qui ne sont pas compatibles avec la pratique de la démocratie telle que nous la vivons. Dans notre société, le citoyen vote sur des projets et élit des représentants. Or, ces projets et les orientations de ces représentants doivent être présentés aux citoyens pour que ceux-ci puissent se décider en pleine connaissance de cause et choisir ce qui leur convient le mieux. Nous n'avons ni le temps ni la compétence de construire nos savoirs à propos de ces sujets. Cela demanderait, en effet, à chaque citoyen de passer par chaque fonction  touchant à chaque projet ou chaque programme politique, ce qui est totalement impossible. L'usage de la démocratie exige donc la transmission par les candidats ainsi que divers intervenants plus ou moins experts dans leur domaine des informations nécessaires aux citoyens pour que ceux-ci puissent faire des choix raisonnables. Penser qu'on pourrait fonctionner sur la base d'une philosophie de construction des savoirs est irréaliste car cela exigerait de chaque citoyen un degré de formation impossible à obtenir mais également la mise sur pied d'un système assez similaire à celui de l'esclavage pour dégager le temps nécessaire à la construction de ces savoirs si celle-ci était possible. Autant dire que lorsque les constructivistes prétendent faire de l'école le lieu de la vie réelle, ils sont complètement à côté de la plaque. Sauf bien sûr à considérer la praatique citoyenne comme relevant de l'échange de bistrot avec ses pairs.

Il est même possible d'aller plus loin en affirmant que si les pratiques transmissives ne sont pas aptes à fournir les savoirs et savoir faire nécessaires dans le cadre scolaire comme le soutiennent les constructivistes, elles ne sont alors pas non plus capables de fournir au citoyen les outils mentaux sur lesquels repose le bon fonctionnement de la démocratie puisque, comme on l'a vu, la pratique de celle-ci se base sur la nécessité de la transmission par les candidats et les experts des éléments nécessaires à la prise de décision démocratique!

Autant dire tout de suite que nier la transmission à l'école ne favorise en aucun cas la pratique de cette même transmission dans la vie extra-scolaire. L'inverse aurait même tendance à être beaucoup plus réaliste.

Stevan Miljevic, le 23 octobre 2014, pour les Observateurs et sur le net

(1) Clermont Gauthier, "De la pédagogie traditionnelle à la pédagogie nouvelle" in Gauthier, Tardiff "La pédagogie, théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours", 3ème édition, Gaëtan Morin, p.101

(2) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/14/heures-de-gloire-du-constructivisme-lurss-des-annees-20/

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